mardi 24 février 2015
Début de soirée
était plus grand et les conversations
sonores. Avec Masami et Olivier, nous parlâmes
de Meiji et du carnaval au moyen-âge.
Une bière et quelques tapas plus tard, tu arrivas
et j'eus l'impression de retrouver le bar de tous les soirs.
Michel, contre le mur, peinait à se relever, porteur de mille
histoires tues. Tu me parlas de Port-Vendres et de Claude,
l'éternel peintre d'un unique paysage. Ta voix s'éraillait parfois
et ton grain de beauté à l'angle de ta paupière gauche souriait.
Tu me parlas de ton amour et de la rencontre qui ne faillit jamais
avoir lieu. Ton angoisse, le paysan tâtonnant dans la gare à la recherche
de l'amie d'une personne entrevue. les paroles allaient trop vite, j'avais
du mal à en fixer la beauté. Ce soir-là j'ai commencé à aimer Cindy que
je n'ai jamais vue et ne verrai peut-être jamais. Un mot s'est imposé que
Valérie a su imprimer en moi par son sourire : impermanence. Merci, Sophie.
lundi 23 février 2015
Rouge
Rouge comme les sièges
de moleskine usée, comme
les murs du bar, la céramique
des toilettes constellées
d'étiquettes amies.
Rouge comme un samedi
du mois de février sans heure
ni parole donnée. Rouge comme
ton cœur battant loin, battant près.
Rouge comme le cabriolet que jamais
tu n'auras et qui t'irait comme un gant
rouge comme l'encre qui rêve
et ne corrige pas et ne corrige plus.
Rouge comme le fin rideau des paupières
qui attendent le matin pour te conter du monde
les passions.
Les sens
les mots dansent et le Cava
n'est plus.
Tes mains, ton cou, tes yeux,
ton épaule plaisamment dénudée
dans la pénombre.
Les sens se taisent qui s'éveilleront
plus tard. Conscience de l'unique,
certitude ambrée
de la rareté. J'ai laissé des kilomètres
entre ces verres et moi. La route m'a avalé
qui m'a vu naître une énième fois.
La terre labourée s'est givrée de rosée. Elle
attend de crever au printemps de mille racines
...insensées.
Un verre avec Ghaouti
à Grenoble, au sortir des tréteaux.
Puis les années passèrent, l'espace
aussi. Au cœur de Bordeaux, en lisière
des Puces, une table improvisée.
Des huîtres et un verre d'entre-deux-mers,
glacé. La discussion s'amorce, lente, grave,
gente lamproie dans la Gironde envasée.
Puis elle s'élève et pétille. Ghaouti tempête,
se lève, s'élève contre ta proposition saugrenue.
Tu rentres, à peine éméché, certain de ne le plus
jamais voir. À sept heures du matin, la sonnerie
de l'immeuble t'apportera ses mots inattendus
et pourtant espérés.
dimanche 22 février 2015
La confidente
Paroles qui se croisent,
paroles nécessaires,
jamais impérieuses.
Tes mains avancent
sur le formica.
Jamais je ne les prends.
Je bois tes yeux, j'avale
ton regard. Jamais
tu ne t'en aperçois.
Paroles qui se croisent.
La tienne pulse.
La mienne se répand.
Partages
deux ou trois tranches de saucisson,
quelques biscuits salés, des mots
et du tabac.
Voici les ingrédients d'une soirée
réussie. Avec toi. Mais qu'ils disparaissent
et nous serons pareils, accroupis sous le volet,
à fumer comme des chenapans.
Et si l'estime, finalement, avait décidé de poser
ses valises, pour un temps, en marge de la ville,
et de confier à V. et à M. le soin de la veiller
comme on entretient une flamme oubliée.
samedi 21 février 2015
217
c'est tout ce qu'elle a.
Elle a perdu ses longs cheveux
qui plaisaient tant à son père, taillés
hâtivement à l'entrée au sana. Et, avec
eux, son prénom et son âme. Elle n'est
plus. Plus qu'un matricule qui givre au
vent glacé de Cerdagne. Six semaines sans
aucune visite. Les vexations, les paroles
amères. Les visites interdites, les lettres
abolies. Un même désamour sur le plateau cerdan.
217 : deux sans disette, pour que l'amour en un jeu
de paroles te rende la plénitude qui te fut enlevée
il y a si peu de temps, quand tu étais enfant.
Une seconde
La chute d'une goutte d'eau pure, sphère effilée
par l'air et qui, en éclatant au sol, se multiplie
par mille et fait germer la vie.
Une seconde de ton regard entre deux mots. Vif et
suspendu un instant avant de saisir entre deux doigts
des bulles la flûte effilée à mille autres pareille
qui savent aimer la vie.
Une seconde de langue multipliée par autant de locuteurs.
Une poignée de syllabes de couleur épousées. Poppy,
rosella, amapola, coquelicot. Noms effilés aux sons mille
et qui font aimer la vie.
Coïncidences
et au même point deux êtres que rien ne préparaient
à se rencontrer. Poussière d'étoiles dans le vide glacé
entre les galaxies. Attirance et respect. Silence.
La vie est si fragile que tout rapprochement porte en lui
sa fin, proche ou lointaine. Nulle tristesse dans ce constat
mais un désir de vie qui transcende l'infélicité promise et fait
de la coïncidence un bien précieux à ne pas user prématurément
par précipitation ou familiarité de mauvais aloi.
vendredi 20 février 2015
Trois fois rien
Tu vends du rêve et des parfums,
trois fois rien. Plus que tout.
Quand Mathilde sort du travail,
étrangère aux regards, désenchantée,
elle sait qu'elle te trouvera, parole
apaisante et mains de magicienne.
Une heure de soins et de paroles,
une heure hors du temps et
si temporelle à la fois. Pour elle,
rien que pour elle. Mais par toi...
Sous la pluie
Qui es-tu sous la pluie ?
Ombre rapide ou pas hésitant ?
La nuit est froide et déjà février s'en va.
Je suis comme un chat et la question tenaille.
Si j'étais la lune, je commanderais à la pluie
de te laisser en paix, d'épargner tes cheveux,
miroir obscur de sa face cachée,
régal d'une main que jamais je ne fus.
mercredi 18 février 2015
Neighbouring
world. when I go away, I have a glance
at your home and sing. Silently.
Sun setting invites me to a coffee cup.
Or two. Black coffee as sang once the divine
Peggy Lee. Would you like to share it?
J'ai rêvé
par touches légères,
au hasard des rencontres,
d'un soir ou d'une heure.
J'ai rêvé l'été le long
de l'étang de Vendres
puis me suis endormi,
le nez dans les étoiles.
Le rêve était léger, ta présence
fugitive. Je m'étais approché
et déjà ta main, en un rire,
s'éloignait.
Alors j'ai cessé de rêver
et tu m'as manqué sans tout à fait
me manquer. Ma tasse vidée,
ton café s'y était imprimé.
mardi 17 février 2015
Xerrar i pensar / Converser et penser
parlar de les vides passades
i del present a penes compartit.
Un got, unes passes, un parc
zoològic visitat en un tres i no res,
quatre o cinc mots creuats, un camí
dibuixat. Somriures esbossats i riures
ofegats. Un dos tres toca la paret !
Si vols, a l'estiu, anirem a ballar.
***
Converser ensemble ou à distance,
parler de nos vies passées
et du présent à peine partagé.
Un verre, quelques pas, un zoo
visité en deux temps trois mouvements,
quatre ou cinq mots échangés, un chemin
dessiné. Des sourires esquissés et des rires
étouffés. Un, deux, trois : soleil !
Si tu veux, cet été, on ira danser.
Fumées
Là, sur le bar anthracite
une cigarette fine, tenue
entre index et majeur.
Ici, la main contre le montant
de la porte du bar tient un
caliqueño d'une voix rauque.
Ici et là, dans deux langues
que rien n'oppose, une même
passion discontinue et dont
je ne saurai rien. Ici, du moins,
là, j'espère respirer un soir ou
l'autre la fumée jusqu'à m'en étourdir
et à oser parler. À mon tour, sans fumer.
Sport
seule demeure de sa présence la tache brune
et tiède de l'huile du moteur sur le carreau.
L'homme qui ne l'a pas vue fume tout en marchant,
tête baissée. Il néglige la lumière à la fenêtre
délaissée qu'il dépasse de quelques pas.
Elle est partie au sport, comme chaque soir. Quel sport ?
Il n'a pas songé à le lui demander. Ou plutôt oui. Il y a songé
puis il s'est tu. Le sport importe peu. Elle est ailleurs comme
elle est ici, libre et souriante. Elle ne parle pas et boit le monde,
par petites gorgées. Il le saura, si elle le souhaite, autour d'un café
ou d'une coupe de vin frappé. Richesse de l'absence qui dit puis se tait.
Un bon amic / Un bon ami
Mentre bevíem lentament,
m'ensenyà a escriure versos,
sense canviar-hi res o ben poc.
L'alè, la disposició. Em recordà
la presència del lector i em digué
que no em coneixia ni havia de temptejar.
Era al Zürich ; un amic comú ens mirava.
Sense dir res, assentia i bevia, lentament.
Fou un moment d'amistat profunda. I bona.
***
à J. J.
Cependant que nous buvions lentement,
il m'apprit à écrire des vers,
sans rien y changer ou fort peu.
Le souffle, la disposition. Il me rappela
la présence du lecteur et me dit
qu'il ne me connaissait ni devait tâtonner.
C'était au Zürich ; un ami commun nous regardait.
Sans rien dire, il acquiesçait et buvait, lentement.
Ce fut un moment d'amitié profonde. Et bonne.
samedi 14 février 2015
Aléas
Trois dés jetés sur le formica sombre.
Trois faces livides sans le moindre point.
Grâce de la main claire qui lance.
Grâce de la frange brune qui voit.
Jour néfaste et souffle qui passe.
Le sort reviendra en six rangées
de points de jais. Demain ou ailleurs.
Je le saurai et te sourirai.
El desmemoriat de Vilapicina
Tot sol, dempeus, amb cara fosca,
mira al davant sense veure'm.
A ses mans, unes monedes, seques,
no es mouen ni fan soroll. No demana
res. Res de l'altre món. D'aquest, un dia
formà part. Dia llunyà, esborrat, ningú
se'n recorda. Ningú el veu, entotsolat,
el desmemoriat de Vilapicina.
Pujant per Fabra i Puig
a N. A. i X. G.
Ni un Valentí ni una Valentina,
l'amor és per tot arreu i el cel,
entre blau i carbassa, s'aixeca.
Vorejo el mercat i pujo, a poc a poc,
són pocs els vianants, tots callats,
tracto de veure'ls als ulls, no puc.
Ja han baixat cap a la vida humil,
cap a la vida veritable. Només sóc
una veu estranjera que camina.
Porto una motxilla fosca, pesada,
sense no res a dintre, o ben poc,
o molt, i més que molt:
la vostra amistat, amics, assaborida
a la nit entre sopar i teatre mentre el sol
no deixava d'amagar-se darrere dels carrers.
Al mercat de la Mercè
no hi balla tothom.
Només hi ballen
carnisseres de postín,
quatre nenes amb disfressa.
el cos de colors, seductores.
I si no les admira ningú,
¡Allá ellos! Parlen castellà,
i beuen vi. Angèliques...
vendredi 13 février 2015
Attente
Bien disposées, propres
et délicatement exotiques,
elles semblaient attendre
qui les chausserait et les
délivrerait des grilles de bois.
Je n'eus pas ce courage mais,
quittant la rue de Ferran Junoy,
je sentis, confusément, qu'elles
guideraient mes pas vers une autre
Barcelone.
mercredi 11 février 2015
Hendécasyllabes non phaléciens
Mytilène est loin et vous lui souriez.
Sappho y chanta des femmes la beauté
avant de s'endormir pour enfin rêver.
Je vous croyais toutes deux en Allemagne,
voilà qu'on me dit que vous longez les côtes
des Landes jusqu'à la plage de la Concha.
Bilbao au couchant, l'or de Guggenheim,
un peu d'axoa fumant, les trois couleurs
d'une Ikurriña de poivrons et d'amour.
La voisine, pas les voisines
Je ne suis pas Renan Luce et le pluriel me déplaît,
alors je m'interroge. La rue est large et jamais
je ne la franchirai sans y être invité.
Hasardeuse, la proximité n'est pas promiscuité.
La fin de la semaine approche et des chalets de la plage
aux premières pentes de Montjuich il y a bien de la
place et des respirations.
Te savoir là et ne pas te déranger. Pressentir que des
mois passeront avant une nouvelle discussion ne me fera
pas languir. Avoir une voisine coiffeuse quand, presque
chauve, on coupe les cheveux en quatre, pas mal, non ?
«Le vent se lève, il faut tenter de vivre»
La discussion a évoqué des années et des terres
que jamais je n'aurais imaginées. La femme qui se
tenait devant moi, de blanc et de noir, mais pas
de gris, ni une fois, ni cinquante, me fascinait,
m'invitant au silence feutré d'une cigarette fine
longtemps caressée, jamais fumée. La bouteille de
Champagne glacée était depuis longtemps finie mais
je n'avais pas soif. À un moment - il était tard,
ou tôt -, je feignis la fatigue pour la laisser
se reposer. Le sommeil ne vint pas, pas tout de suite,
du moins. La femme que j'avais eue devant moi, si brune,
était-elle la blonde métropolitaine qui, voici vingt ans,
déchirait les non-dits de l'Océan Indien ? Je le crois. Et même
si j'émaillai parfois l'échange d'anecdotes, elles me parurent
sans sel.
Cinquième commandement toltèque : être sceptique et apprendre à écouter.
Suite du chemin de l'Œil-doux
1 - le champ déplacé
Te souviens-tu de ce champ de coquelicots
devant ta maison, au début de notre amour.
Je ne le voyais pas et tu me le décrivais
avec flamme.
Un jour, le champ fut fauché, la terre
retournée et les coquelicots s'en furent
rejoindre le mobilier imaginaire de notre foyer.
Eh bien, figure-toi que ce matin, sur le chemin
du gouffre de l'Œil-doux, je le vis pour la première
fois. Déplacé en marge de la route, il était pareil
à ton récit énamouré. Au retour, dans une nuée de
touristes alsaciens, allemands et suisses, j'en ai
fait une photo qu'ici-bas je te joins, mon coquelicot bleu.
2 - la photo égarée
Sur la carte mémoire, en relief discret, une photo
de Sassenage, tôt le matin ou tard le soir. L'air est
encore sombre ou l'est déjà qui s'illumine à la lueur
calme des Alpes enneigées et aux feux criards d'un
tramway à son terminus et des commerces éloignés. L'immeuble
semble morose. En bas à gauche, une lumière jaunâtre domine de
rares voitures. Les appartements montrent leur dos. Derrière,
la vie couve et les dialogues naissent, insoupçonnés.
J'ai peu connu la résidence des Colibris et la rue des Pies
de Sassenage mais elles sont en moi, secrètement, comme une
porte ouverte vers ce temps possible qui ne fut pas et qui
cependant me fait, jour après jour, à l'ombre de ta vie.
3 - à l'écart du chemin tracé
Quelques cailloux blancs de Poucet, une étroite clairière
et me voici à l'écart du chemin tracé. Ça sent le graphite
et le miel. Je ferme les yeux et la leçon de choses de l'école
me revient. C'était haut en France et si loin de l'Œil-doux.
Je fais silence et m'accroupis. Des trilles d'oiseaux se
rapprochent et me courtisent. Un bourdonnement me tire de ma
rêverie. Non-chemin des possibles, havre de vie ou pause nécessaire,
cet écart m'a requinqué et je reprends ma route vers l'eau calme
et froide où jamais on ne peut se baigner.
4 - Dans l'ombre de la falaise
Cercle parfait, eau glacée dans l'ombre
de la falaise de craie. Le vertige me prend
et pourtant ne me penche. Combien de millénaires,
d'ères peut-être pour en arriver à cette perfection ?
Les touristes ne sont pas encore là, ils ne tarderont
pas. Un arrêté municipal les dissuade de s'immerger.
Le feront-ils, au péril de leur précieuse existence ?
Je me recule. En moi l'image de l'orbe parfait.
5 - rupture scalaire
Variante sèche et plane du gouffre,
la roche blanche ménage une pincée
de terre pour les fourmis affairées.
Un instant, je perds le sens commun
et me trouve précipité à leur échelle.
Revivre la scène finale de La planète
des singes, sans nulle eau, dans un
silence assourdissant. Humble porte-faix
au service de la communauté des fourmis.
6 - la mer, la mer toujours recommencée
«Le vent se lève, il faut tenter de vivre»,
Valéry me revient, avec insistance. La mer
est proche qui iode l'air salin. Derrière
les pins et les cistes, la vie m'appelle.
L'eau glacée du gouffre s'y réchauffera et
s'y vivifiera. À droite l'opulente Catalogne,
à gauche la flamboyante Provence. Devant, au
hasard des flots, les cailloux clairs de mes
îles chéries.
Ceux dont je ne parlerai pas
par la désinence celte qui sent bon
le combat. Un fils, un presque fils.
D'eux deux, je ne parlerai pas.
Pourquoi as-tu été infidèle ?
ne t'ont pas fait varier. Forte de
ton amour qui ne dit pas son nom
pour un homme d'exception qui porte
mon prénom, tu m'interroges.
Nulle curiosité malsaine dans tes propos,
nulle accusation ni pointe de mépris, une
marque d'estime vers celui que tu apprends à
connaître. Tout, rien, jamais n'importe quoi.
J'écoute votre amour qui ne dit pas son nom.
J'admire ce musicien polyglotte aux quatre coins
du monde, votre avoir lieu qui des frontières
étroites d'une maison toujours s'est affranchi.
Il porte mon prénom mais n'est pas un alter ego.
Alors je m'interroge. La réponse du désir
insatiable ne me suffit plus, ni celle du Peter Pan
sautillant qui croit se prolonger par des miroirs
artificiellement démultipliés. Ai-je vraiment aimé ?
Aujourd'hui, dans ma réponse, je ne le pense plus.
Un jour tu as mouru
la maladie desserrait l'étau et tu t'y endormais.
Tu ne voulais pas glisser, tant l'anniversaire
de la mort de Gislain te faisait redouter des
amis communs les pleurs injustement redoublés.
Alors tu as mouru, la nuit s'est faite, sans peur,
en confiance, et au matin la vie t'avait rendue.
Réunion
la Réunion en toi perd et retrouve
la majuscule d'une phrase à l'autre.
Du créole de ton fils t'ouvrant aux
cases colorées de Bas de la Rivière
à la Mercedes se frayant un chemin
en bimbeloteries. D'un salon par
dix-sept fois dessangélique à la
zoreille blonde dessalée, un saut,
rien qu'un saut. Celui de tes paroles,
qui suivent le cours d'un Jacquart ouvert
voilà peu pour fêter une presque infirmière.
De retour chez moi, la forteresse franchie,
je ne sus si tu avais parlé ou si la couette
tiédie m'avait inventé tes confidences. La nuit
passée, le peignoir bleu, rarement enfilé, me trouve
devant l'écran interrogeant ces heures où, pour une fois
bien peu je m'exprimai. Quand naquit la Réunion ? Au cœur
de tes propos ? Avant Tahiti et le congé sabbatique ou bien
tout juste après ? Peu me chaut. Une Réunion neuve s'est dressée,
de mille religions, et qui déjà n'est plus, tenante de la moitié
de ton cœur d'un autre moi épris...
mardi 10 février 2015
Derrière ses lunettes...
noires qui lui mangent élégamment une partie
du visage. Il faut dire que je l'avais si peu
vue. Ou presque.
Ce fut un éclair, effacé bientôt par un dégivrage
aussi inopiné qu'impérieux. La route m'avala et
je partis vers mes étudiants et l'enseignement de
l'ubuesque pratique catalane des heures.
Ce n'est que plus tard que je revis son visage, ton
visage que le soir allait me rapporter tout aussi
inopinément avec une bouffée de lectures. Des yeux
clairement sombres qui parlaient en silence.
A deshora / Hors d'heure
sobre vida i passió, el plaer
dels dies, la tensió gradual
dels sentiments i la dificultat
del viure a dos.
Era d'hora, molt d'hora, gairebé
no veia la pantalla petita del
mòbil i m'equivocava teclejant.
Tu contestaves en frases llargues
sense faltes.
Sense veure'ns, rèiem i esperàvem
la resposta a una pregunta que ni tan
sols sabíem si l'havíem enviat.
Foren hores impermanents, tan belles
com el sol que a fora s'anava aixecant.
***
Hors d'heure nous nous sommes écrit,
sur la vie et la passion, le plaisir
des jours, la tension graduelle
des sentiments et la difficulté
de vivre à deux.
Il était tôt, très tôt, et c'est tout juste
si je voyais le petit écran de
mon portable et je me trompais en tapant.
Toi, tu répondais en phrases longues
et sans faute.
Sans nous voir, nous riions et nous attendions
la réponse à une question dont nous ne
savions même pas si nous l'avions envoyée.
Ce furent des heures impermanentes, aussi belles
que le soleil qui, au dehors, commençait à poindre.
lundi 9 février 2015
L'impertinent
Il n'a que faire des autres et de la bienséance,
il va où le vent le pousse. Là où pointe un jupon,
voilà déjà qu'il le trousse. En pensée, puis en manières
car l'impertinent n'est pas mauvais bougre et si ses gestes
rudoient, son âme est bien candide. L'impertinent roucoule
mais jamais il ne dévoile et dans l'intimité, loin de l'indécente
société, il s'endort sur un vieux dictionnaire ouvert à la page "I".
"I". Comme... impermanence;
Lidos
de sable et de saladelles,
le lido.
Et sur l'étroite bande, un
fil tendu et ton manteau
blanc qui avance.
Je n'écoute plus le vent
menteur et ses histoires
de poivrots,
Je te regarde, de dos, avancer,
ballerine de jais et d'ambre,
je soutiens mon souffle.
Nul besoin de mes bras venus
tard. D'un bond, tu sautes,
et tu reparles. Un brin.
Il y a
et il y a ce que tu lis. Le
papier défroissé à la lueur
d'un soir de février, les
souvenirs des ans passés,
sans commune mesure mais parfois
dans une semblable démesure. Les
yeux qui nous unissent dans le
silence de la lecture (toi), de
l'écriture (moi), sont un miroir
aux alouettes. Bientôt tu écriras,
bientôt je te lirai, impermanente
flâneuse des bords de la Robine.
Il y aura ce que tu ne diras pas
et il y aura ce que je lirai.
Promis ?
Lectures
dans la salle d'attente comble. Que sont
les mots quand la chair de ta chair souffre ?
Les heures passent lourdes, l'appel se ralentit.
Comment était la lumière du mont Faron quand il
la décrivit ? Ce qui te semblait facile dans
l'obscurité de la chambre ne l'est plus. Ton cœur
bat pour deux et tu voudrais faire tienne la souffrance
endurée, l'appétit tranché dans le vif. Tu ne cries pas,
tu ne t'emportes pas. Tu es là, tu soutiens ton enfant qui
ne l'est déjà plus. Autour de toi, silence et impatience.
Que belle sera l'impermanence quand vous serez revenus...
dimanche 8 février 2015
Le salon de coiffure
la couleur de son papier, l'odeur qui
y flotte, subtile ou entêtante.
Les personnes qui s'y rendent aiment
qu'on caresse leurs cheveux, qu'on frôle
leur visage, qu'on leur donne un peu de
ce qu'elles recherchent, mais surtout elles
aiment le miroir léger, sans tain, que leur
tend la coiffeuse, riche d'une vie de hasard
et de découvertes. Qui l'entendrait jurerait
le dialogue léger, presque insignifiant, mais
dans l'obscurité de la chambre, quand le froid
coupe les paupières et déchire le rêve laissant
à nu l'esseulée, il prend un relief inattendu.
Et si cette femme, seule, savait tendre des liens ?
La mer était notre amie
et je ne sus la voir ni
l'écouter. La bande de
sable était mince pourtant
à Vias et l'amour aveuglait.
Moins de passion, plus de
patience eurent suffi à me
la faire longer, les pieds
crissant sous le sable humide.
L'iode de l'honnête pirate
m'en eût rapporté le chant. Et
j'eusse enfin compris la leçon
de l'ailleurs : la distance,
portée par la saveur saline,
pénètre sous la peau et donne
au temps la ressource oubliée.
samedi 7 février 2015
Les livres brûlent
puis se dessèchent, j'avance
à tâtons. Mais je ne suis ni
Homère ni Œdipe. Les livres
brûlent. Ma vie n'est rien, un
souffle sur le monde effacé
à peine exhalé. Mais les livres
que je ne lirai pas portent
le souffle de ces hommes humbles
dont je serrai un instant la main.
Brûlés, le rideau se referme. Sur
le passé. Et sur l'avenir, hélas.
Le cinquième accord toltèque
je les vis lentement œuvrer
un soir de vendredi. Le nom
me plaisait, sonore et mystérieux.
De retour chez moi, je lus qu'ils
procédaient d'un titre à grand tirage
écrit après une expérience de mort
imminente. Je lus patiemment chacun
des quatre mais ne fus attrapé que par
le cinquième publié treize ans plus tard
avec un cœur neuf en torse. J'ai fait la
moitié du chemin : je suis sceptique, reste
à apprendre à écouter.
Lien ténu
Lien ténu du sms qui bouscule
les heures. Quelques dizaines
de caractères contre le bizarre
apparent. On joue à colin maillard
contre l'autre. Tout contre mais
sans jamais peser. Derrière le
volet, l'aube est incertaine. Qu'importe.
L'échange a eu lieu et les esprits, un temps
rassérénés, de s'envoler vers l'île sans bouée.
Paroles déliées
Sous la croûte fendillée,
la lave pulse. Nul répit.
Le silence est illusion, la
parole se libère. J'écoute,
moi qui ai tant parlé. J'apprends
le monde. Rond comme les boules
de Lionel - ou sont-ce celles de Nadine ? -
contre la terre battue. Toulouse à moto
sous la pluie battante, un futur président
entrevu entre deux plateaux de petits-fours,
un escroc patenté à prime imméritée.
Banderilles de mots, les frites se plantent
dans le ketchup tiède. Il n'y aura pas de
mise à mort. Le taureau est repus
qui avait oublié ses herbages.
Impermanence
que, voici trois heures,
je ne connaissais pas.
Quatre syllabes sur un
air de tango. Présent
alangui, sans passé ni
futur. La gloire passe
et les honneurs aussi.
La rencontre est belle
qui n'est pas faite pour
durer mais pour être,
simplement. À un, deux,
trois ou quatre.
Les portes se sont refermées,
les voisins alités. Le froid sec
envahit la rue. Impermanence.
vendredi 6 février 2015
À distance
Sans poids ni intrusion, la chaleur
s'insinue. Un mot, un conseil, une
inquiétude, une plaisanterie.
Savoir que l'autre est là mais ne jamais
l'arracher à son monde ni à ses goûts.
Liberté des notes de musique qui s'envolent.
Toi la voix, moi le grave de la contrebasse.
Palabras de ultramar
despacio, con fuego en la mirada,
me alabó la inteligencia de tu trato
y el conocimiento de la otra lengua que
estamos compartiendo, día tras día.
Era tarde, muy tarde, estábamos arrinconados
contra la puerta de cristal, improbables porteros
de una noche sin límite. No dejé de interrogarle:
¿Cómo puede surgir y vivir a sus anchas una amistad
entre personas que no se conocen ni se conocerán nunca?
A nuestro lado, una pareja italiana dejó escapar una
preguntita sin relación aparente: «Chi lo sa?». Pensé
en los buques anchos cargados de semillas ultramarinas
y en los panes que aquí se comen sin conocimiento alguno
del lugar de origen de la vida sencilla, la vida placentera.
La memòria de l'amo / La mémoire du patron
Està eixugant els gots amb parsimònia,
aliè a la remor ambient. Arribo a la barra
per compartir cervesa amb mon amic, l'amo
aixeca la mirada i em saluda pel meu nom.
Som desenes de clients i jo hi vinc ben poc
sovint, a invitació d'una amiga o d'un amic.
Un nom, una paraula, dues síl·labes i em torna
el gust per la vida senzilla i sincera.
En tornar a Besiers, penso en aquest gest petit
i en el seu bar de la cantonada corba. Voleu saber
el seu nom? De l'amo, no us el diré. Però del seu
bar sí. És el Masami, nom de la seva estimada.
****
à D. D.
Il essuie les verres avec parcimonie,
étranger aux bruits ambiants. J'arrive au comptoir
pour partager une bière avec mon ami, le patron
lève les yeux et me salue par mon prénom.
Nous sommes des dizaines de clients et j'y viens bien
peu souvent, à l'invitation d'une amie ou d'un ami.
Un prénom, un mot, deux syllabes et je retrouve
le goût de la vie simple et sincère.
De retour à Béziers, je pense à ce petit geste
et au bar du coin courbé de la rue. Vous voulez connaître
son prénom ? Je ne vous dirai pas celui du patron. Mais celui
de son bar. C'est le Masami, du prénom de son aimée.
jeudi 5 février 2015
Flors vermelles / Fleurs rouges
Roselles, clavells, roses petites.
«Adéu, clavell morenet», em cantava
la mare mentre vorejàvem les vinyes
de Cabestany. Sang de passió als ulls
sense el regust insuls de la ferida.
Parleu, amigues, que sense vosaltres,
ja no puc escriure.
***
Fleurs rouges de mes amours.
Coquelicots, œillets, petites roses.
«Adieu, mon œillet brun», me chantait
ma mère quand nous longions les vignes
de Cabestany. Sang de passion aux yeux
sans l'arrière-goût fade de la blessure.
Parlez, mes amies, car sans vous,
je ne puis écrire.
Une fleur
non, surtout pas. Celle du bord
du chemin que l'enfant cueille pour
l'offrir à sa mère. Un pissenlit à la
tige épaisse. Ou le coquelicot gracile
foulé par le pèlerin sur la route de
Saint-Jacques. L'adorée ou la laissée
pour compte. Deux visages d'une même
humanité. Fragile et qui se répète.
À l'infini. Si fuera una de esas flores,
me iría por los mares, paquebote de ancho
porvenir.
mercredi 4 février 2015
Lectures poétiques
J'aime lire, lentement, le regard perdu dans
l'océan des visages. Ma voix ne m'appartient
plus qui cueille des galets. Eau glacée du
torrent, elle les fait bouger et les emporte.
«Tes yeux sont si profonds qu'en m'y penchant
pour boire...» Magie de la parole étrangère
que l'on fait sienne un temps et qui bouscule
l'ordre immuable des jours. Le livre replié,
les lampes éteintes, il sera alors temps, chacun,
de retourner à ses sommeils et à la langue commune.
mardi 3 février 2015
Peurs d'enfant
Le dessous du bureau sombre,
les voix lointaines des camarades,
les chaussures du maître frottant
le lino gris. Drôle de piquet. Pas
au coin lumineux, non. Sous le bureau
pendant de longues minutes. Le maître
se lève, le bureau s'élargit, sans
s'éclairer toutefois. Où est-il ?
Sa voix grave s'éloigne. M'aurait-il
oublié ? Devrais-je passer le reste de
mes tendres années dans ce recoin ?
Sa face rougeaude et débonnaire se penche,
la punition est levée. Je rejoins ma place,
le cahier à remplir et l'encre violette.
lundi 2 février 2015
Et tu t'es penchée
dans la chambre qui tiédit. Lointaine est
la soirée où tu en fis l'acquisition
et le livre, un temps redouté, te plaît.
Tes mots se joignent aux siens, s'y mêlent.
Tu souris, sans le vouloir, refermes le livre
et prends le stylo et le carnet à spirale.
Quelques idées jetées comme, autrefois, une
grêle désastreuse qui t'attacha aux tiens,
indissolublement.
Lèvres
se disjoignent et la lymphe
sourd, translucide.
Résine saline d'un pin oublié.
Patience infinie des lèvres
accidentelles
qui attendent leurs sœurs essentielles,
les tiennes, rose tyrien, aimantes et
qui seules, d'un baiser, sauront les refermer.
dimanche 1 février 2015
Il aime penser
À la dérobée, en plein
jour. Nul remords ou regret
dans ses pensées. Non.
Il la voit marcher à l'ombre
longue de janvier, la tête
penchée, dans ses pensées à
elle
dont il ne veut rien savoir.
Ou si peu. Orsay est proche
dont elle voit la peinture,
comme elle lui a glissé.
Une poignée de gaz
glacé dans les entrailles d'une
bonbonne petite.
L'enfant attend le retour de la
mère et la savante installation.
La grille se bleute
et la chaleur diffuse. Face à l'écran,
serrés tous deux, la pizza partagée
aura goût d'infini.