jeudi 31 mai 2018

Llibertat / Liberté

Si fos un nom de ciutat, li diríem Barcelona,
No pas perquè allà hi onegen llaços grocs, ni perquè
la llengua hi és de foc i les petjades de seda.

No. Senzillament perquè ma mare, que acaba d'enviudar,
em va proposar d'anar-hi plegats, després de Sant Joan,
quan els carrers guarden una calor que el sol declinant

comença a perdre, hora rere hora. Li mostraré una altra
Barcelona, la dels pobles aïllats i dels barris menestrals.
Hi sortirem molt de matí quan les brigades municipals tornen

l'argent de la nit a les calçades exhaustes i anirem a Sant Andreu
a esmorzar al Versalles abans de fer petar la xerrameca amb la Merche
a l'estanc dels Somriures. Allí viurem la llibertat i no la nomenarem.

***

Si c'était un nom de ville, nous l'appellerions Barcelone.
Non pas parce que les rubans jaunes y ondoient ni parce que
la langue y est de feu et les pas de soie.

Non. Tout simplement parce que ma mère, dans son récent veuvage,
m'a proposé d'y aller avec elle, après la Saint-Jean,
quand les rues conservent une chaleur que le soleil déclinant

commence à perdre, heure par heure. Je lui montrerai une autre
Barcelone, celle des villages isolés et des humbles quartiers.
Nous y sortirons dès potron-minet quand les arroseuses municipales

restituent l'argent de la nuit aux chaussées épuisées et nous irons à Sant Andreu,
déjeuner au Versalles avant de discuter le bout de gras avec Merche
au tabac des Sourires. Nous y vivrons la liberté et nous ne la nommerons pas.

Dauphin

à mon frère Alain

Mon cœur est triste, le père s'en est allé.
Mon cœur est triste et le dauphin s'impose.

Ni l'héritier du souverain, ni le compagnon
rutilant des joutes enfantines. Non : le dauphin

de pierre et d'encre, celui des fontaines du midi
et des cartographies antiques. Par lui, immobile,

au regard latéral, l'eau se fait vie et les océans
incertains délimitent des terres à conquérir.

Il me suffit de dire : «Dauphin» et l'imagination
surgit dans mon quotidien de cendre et de sable.

Mon frère et moi avions, sur le rebord de la fenêtre
de notre chambre, à Dunkerque, une ancienne mappemonde

en toile cirée adhésive. Les dauphins y prenaient silencieusement
leurs quartiers, nous invitant aux rêves que nous ne quitterions 

jamais.

lundi 28 mai 2018

Un bagage sans voyageur

C'est une valise souple,
d'un bleu défraîchi,
à l'enseigne d'une compagnie

aérienne au long cours. Fermée
de tout son long, elle creuse
les joues pour crier sa vacuité.

Deux ans, ou peu s'en faut, cela 
fait deux ans qu'elle attend dans
un placard étroit un voyage de retour

qui ne viendra pas. Aujourd'hui, elle
grince enfin sur ses roulettes, pour
emporter vers l'inconnu les effets

d'un homme, mon père, qui voyagea peu
mais rêva beaucoup, à des terres de moi
inconnues mais que son absence me découvrira.

A Damsel in Distress

Ils n'ont pas vingt ans et
ne se connaissent pas encore.
Le sel brûle leurs pieds

quand ils sortent au Zénith.
Elle vient du nord anglais.
Lui, du nord catalan.

Le hasard les conduira à rire
beaucoup ensemble. Puis, le soir
venu, il lui prêtera sa tente,

se repliant dans celle d'un proche
ami. Ils naîtront à l'amour plus tard.
Pas beaucoup plus tard. Trois jours

de plein été. Sans nuit ou presque.
Mais, pour l'instant, à un jet de 
caillou entoilé de distance, ils

sourient aux étoiles qu'ils ne voient
pas mais qu'ils s'inventent d'une pareille
eau, sans le savoir, encore.

jeudi 24 mai 2018

Com un crit silenciós / Comme un cri silencieux

Ajudau-me, amics, malgrat sa distància
de mar o d'accents, donau-me els mots
que necessit quan tenc por de perdre

mon pare, aquest roc de cultura i saviesa.
Fa cinquanta-cinc anys, em va ensenyar a
llegir, a collir de ses llengües, poncelles

i abrics. I des d'aleshores, devora sa casa,
enfora, me'ls recit per no perdre sa memòria.
Ajudau-me, amics, i us escriuré sa seva saviesa.

***

Aidez-moi, mes amis, en dépit de la distance
de la mer ou des accents, donnez-moi les mots
dont j'ai besoin quand j'ai peur de perdre

mon père, ce roc de culture et de sagesse.
Il y a ciquante-cinq ans, il m'a appris à 
lire, à cueillir des langues, les bourgeons

et les manteaux. Et depuis lors, à côté de la maison,
au dehors, je me les récite pour ne pas perdre la mémoire.
Aidez-moi, mes amis, et je vous écrirai sa sagesse.

Souffle

Il dit l'ineffable,
d'un glissement de la 
langue sur les alvéoles,

puis des deux lèvres sèches,
à peine serrées comme pour
mieux le retenir un peu.

En son cœur, est la douceur
vocalique, en son terme l'E
muet comme un adieu ou, plutôt,

une promesse de se revoir. Souffle.
Mot sacré, dont je scrute la sinusoĩde
sur l'écran qui couronne mon père.

Le rouge des apnées, soutenu par le
continuum en jaune d'un cœur fatigué
battant la chamade, ne dure guère.

La poitrine se soulève à nouveau et
je revois avec terreur la puissance
sereine des ogres endormis dont

le sommeil, ainsi manifesté, laissait
aux petits malins un temps suffisant pour
dégringoler la tige alambiquée d'un haricot

magique. Souffle, silencieuse incantation 
d'un homme parmi d'autres, pour, encore 
quelque temps, de la vie retenir la magie.

mercredi 23 mai 2018

Sel

On la dit de pierre et de vent.
Mon île, si bleue en ses contours,
est plutôt de sel.

Un ami me l'a glissé à l'oreille,
puis il me l'a prouvé, vers à vers,
page après page.

Alors j'ai laissé la voiture, que des
requins m'avaient louée, sur le parking
de Catisa, à Mahon. Négligeant les appels

qui m'intimaient l'ordre de la restituer à
l'aéroport, puis les menaces, la langue ayant
changé pour celle de l'empire, j'ai jeté mon

téléphone dans une bouche d'égout et j'ai rejoint
Catisa. Il était tôt. Les voitures, yeux grand
ouverts, attendaient leur maître. La mienne, ou

plutôt la leur, n'attendait personne, elle était
garée de côté, recouverte d'une fiche couche de sel
qui en opacifiait les vitres. J'ai pensé à Stendhal

et au dépôt d'une croûte de sel sur un rameau déposé
dans une mine de Silésie. Ah le beau cas d'école.
Brillant mais improbable. Que savait Stendhal de la

Silésie et de ses mines glacées ? Moi, mon île, je la
connais et cette voiture existe, ou plutôt existait,
avant que je n'y misse le feu.

Je me suis penché sur la vitre, côté conducteur. Je n'ai
rien vu du clinquant coréen qui en agrémentait l'intérieur.
Mais je vous ai vus, mes amis, l'un après l'autre. Paco,

sur une échelle, réparant l'électricité d'un panneau 
défaillant devant plus de trois mille personnes, à sept 
minutes du début d'un match de basket. Pere parlant de 

Llompart, les yeux perdus dans un passé que je m'efforce 
de faire mien. Ponç,dans sa cabane de pin, parlant à 
Saint-François dans la langue de Dante, notre élu.

Miquel attablé en terrasse, tout auréolé de notes de
musique. Dani devant une table si blanche, régalant
mon enfant. Et tant d'autres que je ne peux citer, tant

mes larmes se sont brûlées au sel de ce miroir. L'amour se
cristallise peu à peu, écrivait Stendhal. Mon île, depuis plus
de quarante ans, m'enseigne la plus salée des amitiés, lentement.

lundi 21 mai 2018

Petit éloge de la matelote

Midi le juste. Sous mes pas, la mer étale, froide.
Sur ma droite, un nageur de crawl fend l'eau sans
que son visage ne m'apparaisse jamais tout à fait.

Son mouvement est régulier, efficace, mais mes yeux
s'ennuient à s'y attarder. Sur ma gauche, un homme jeune
s'exerce à la matelote, la nage ancestrale. Son visage

sourit dans l'effort, dodelinant à droite et à gauche, en
pendant parfait à ses bras dressés haut. Sa nage est lente, 
hachée, gracieuse et si humaine. Mon regard s'y accroche.

samedi 19 mai 2018

Mentre tornàvem / De retour

Mentre tornàvem de Fornells,
amic meu, per una carretera
estreta, em vas ensenyar

sa riquesa i es dolor de qui
ama sense ser estimat. S'amistat
fidel, s'atenció de cada instant,

s'espera des missatges de l'amada.
Enfora feia sol i es camí era sec.
Però sa llengua ens bullia, com plovent

a bots i barrals. Feia mesos que t'estimava,
amic meu, però aleshores, et vaig admirar,
com un germà segon que s'illa nostra em dava.

***

De retour de Fornells,
mon ami, sur une route
étroite, tu m'as appris

la richesse et la douleur de celui
qui aime sans être payé de retour. L'amitié
fidèle, l'attention de chaque instant,

l'attente des messages de l'aimée.
Dehors il faisait soleil et le chemin était sec.
Mais la langue bouillonnait comme une averse

de pluie. Cela faisait des mois que je t'aimais,
mon ami, mais alors, je t'ai admiré,
comme un frère second que l'île me donnait.

Précision

Tu m'as appris la précision de la langue,
en me la rappelant. Tu relèves mes fautes,
t'assures qu'elles ne proviennent pas d'une

graphie singulière, mais juste. Ton goût de
la langue te conduit à en goûter le bruissement
quand tu conduis ton lourd véhicule sur les routes

de la Drôme. Tu m'as appris la précision de la langue
et l'amertume poivrée d'un fin carré de chocolat sur
la pointe de celle-ci, quand le repas s'achève.

Ongles et cheveux

On dit qu'ongles et cheveux continuent de pousser,
un temps, sur ceux que le souffle de vie a quittés.

Je ne l'ai jamais éprouvé mais j'aime cette prégnance
de l'empreinte, le pas du pied nu sur la grève, que

la marée neuve avalera, mais qui demeure, un temps.
Un temps, seulement ? Non, un temps, merveilleusement.

Ainsi s'inscrivent les musiques et les lectures, 
les savons et les tablettes de chocolat. Les conserver

pieusement, comme une force, un vade-mecum, et non 
pas un viatique insignifiant pour que, de l'amour, demeure 

l'âmitié.

vendredi 18 mai 2018

Da sein

Il est, en marge de la ville, un lieu abandonné,
pompeusement baptisé du nom de musée ferroviaire.
C'est une antique rotonde, où le feu couvait sous

les locomotives à vapeur partant pour la lointaine
Alsace. C'est là que nous sommes passés, un jour de
mai. La grève s'essouflait, la chaise de l'entrée de

son gardien s'étant vidée. Non loin, la Féria commençait
dans l'atmosphère épaisse des apéritifs anisés. Dans un
coin, deux amis devisaient de l'essentiel. Le sol fade

poudroyait, contrastant avec la lagune saline des regards
épuisés. Quand l'après-midi parvint à son terme, ils se
levèrent tous deux, une lumière neuve les avait inondés.


Nemausus

Que triste est Nîmes sous le soleil,
à l'ombre de ses arches. Les pas glissent
et se perdent en ce jour sans express.

La voix chancelle et se brise, elle cliquète
sur l'écran sombre, abolissant les distances
autre fois chéries.

Tant de souffrance et si peu d'humanité. Ou bien
trop. Les mots me manquent, j'attends et, sans le
vouloir, j'effeuille ce joli mois de mai.

Épouvantail

Il n'existe plus que sous son sens figuré,
porté par une amère ironie ou un mépris
hautain.

On voit, dans les champs et les futaies,
ses pâles successeurs : minces CD naguère
gravés et qui se défraîchissent

au vent et au soleil. Non, celui que je cherche,
c'est mon alter ego, mon double de paille et
de bois, affublé d'habits vieux

et d'un chapeau crevé. Avec ses yeux caves où
picorent les corbeaux. Fixe mais en perpétuel
mouvement, quêtant de la brise le moindre

soubresaut avant de s'endormir le soir, droit
comme l'as de pique et la justice des peuples
au regard fier. Un refuge, mon bercail.

jeudi 17 mai 2018

Un canal

L'eau coule, noire et glacée,
entre les piles du vieux pont.

Ils n'en ont cure, pas plus qu'ils
ne voient les entrepôts autrefois

majestueux ou les péniches basses,
chargées de grain ou de charbon.

Ils jouent au tennis avec une balle
de mousse jaune. Lentement, constamment,

non loin de l'hôpital où naîtra leur fils
premier. Le sol est fait de poussière

légère dont se repaît la balle tendre.
Bientôt son or s'affadit et s'assimile

à la grisaille alentour. Pourquoi me vient-
il tout à coup à l'esprit les mots de l'antique

batellerie : bief, écluse, embouquer, halage ?
Dans mon esprit, ce souvenir se mêle à celui d'un

autre canal, projeté il y a des siècles, au sud 
de l'Europe et sur lequel j'avais écrit un article

qui m'avait fait plaisir. Les joueurs continuent de
se renvoyer la balle et, en moi, le canal s'alanguit.

mardi 15 mai 2018

Trente-trois

à Vincent

- Dites «trente-trois».
- Et pourquoi donc, et
trente-trois quoi, d'ailleurs ?

Trente-trois ans ? Trente-trois dents ?
- Nous n'en avons que trente-deux, au plus
fleuri de notre vie, ne l'oubliez pas.

- Et pourquoi ne pas en inventer une nouvelle,
une dent d'espièglerie, comme il en est de sagesse
qui vous font souffrir pendant vingt ans, couché

sur un vieux canapé, telle une bête malade. ?
- Dites «trente-trois», puis songez à Jouvet, plus
qu'au Christ en croix. Le théâtre naît souvent

de mots inopinés, inopportuns pour qui n'a plus un
cœur d'enfant, et moi je sais qu'à trente-trois ans,
trente-quatre ou même quatre-vingt-sept, vous serez

toujours jeune et de la vie cueillerez l'essence la 
plus rare, sur la pointe de la langue, le bout du nez
ou en la mordant à pleines -trente-trois- dents.

Un torchon

Il a du chiffon le rêche
et du matelas entoilé le
dessin sage.

On le cantonne à la cuisine
ou on l'oublie au hasard des
tâches humbles.

S'il devient vêtement ou turban
coloré, c'est à la faveur d'un
carnaval improvisé.

J'aime m'y essuyer les mains, riches
des senteurs de la vie et, s'il m'était
donné de vivre mille ans,

je le voudrais toujours à mes côtés,
semblable et différent, indispensable
réceptacle de l'humanité qui sourd.

Le vent

C'est le vent qui souffle
quand nous nous étreignons.

Tempétueux et serein. Les peaux
tremblent et nul bruit, au dehors,

ne se laisse percevoir. Les paupières
se closent en un balai de cils fiers.

N'était l'étreinte et son indicible
chaleur, on dirait, enlacées, les statues

de marbre de ces amants anciens dans une
crypte oubliée. C'est le vent qui souffle...

samedi 12 mai 2018

No us deixaré, amics meus / Je ne vous laisserai pas, mes amis

Record una conversa en una escala de marbre fi.
Noltros acabàvem de dinar «a lo grande». Ortigues
fregides i rajada as forn.

Vam parlar de moltes coses i els minuts em van semblar
anys, per fi. Des rellotges volia aturar ses manetes.
Cada volta m'és més difícil de deixar s'illa estimada.

Ses generacions s'agafen de la mà i xerren en pla. Lluny,
molt lluny, queden ses costes franceses i ses roques són
de cendra viva. No us deixaré, amics meus, i tornaré.

***

Je me rappelle une conversation dans un escalier en marbre fin.
Nous venions de déjeuner grandement. Des anémones de mer
frites et de la raie au four.

Nous avons parlé de bien des choses et les minutes m'ont semblé
des années, enfin. Aux horloges, je voulais arrêter les aiguilles.
Il m'est de plus en plus difficile de laisser mon île aimée.

Les générations se tiennent par la main et parlent notre langue. Au loin,
très loin, sont les côtes françaises et les roches sont
de cendre vive. Je ne vous laisserai pas, mes amis, et je reviendrai.


Si Dieu existe, il est minorquin

Le lourd véhicule avance lentement 
sur la route étroite et sinueuse.

Les herbes riantes ont laissé place
à des roches serrées. La chaleur est
là, enfin, quand soudain, derrière

les verres fumés, surgit un paysage
lunaire, de sable gris et d'étendues
d'eau calme. Chacun redevient un

enfant en perdant le nord. Magnétique,
s'entend. La boussole indique le nord-
est. Son aiguille est un long piton

bariolé de blanc et de noir. Nul café,
nul guide pour célébrer cette entrée
dans ce monde neuf. Vous qui passez,

laissez toute espérance et, de la main,
balayez le sable de cendre. Si Dieu existe,
assurément, il est minorquin...


lundi 7 mai 2018

Aïllament / Isolement

Sa meva Itaca és de pedres i de vent,
una illa blanca al mig del blau del mar.
Hi solc anar quan verdegen ses herbes

bones. D'un avió blanc com una gavina de
s'Altra Banda, surt i em precipit a ses
tavernes des port. Fuig des món i busc

els amics. No vull cap torre de vori devora
es camí. Es meu aïllament és de fetge frit
i de birra gelada amb sa família i es amics.

Ho necessit. Dues o tres vegades a l'any. I
quan torn a Besiers, ciutat càtar, em deix
s'aïllament per retrobar-lo millor. Després.

***

Mon Ithaque est faite de pierres et de vent,
une île blanche au milieu du bleu de la mer.
J'ai coutume d'y aller quand verdissent les bonnes

herbes. D'un avion blanc comme une mouette de
l'Autre Côté, je sors et me précipite dans les
tavernes du port. Je fuis le monde et cherche

mes amis. Je ne veux pas de tour d'ivoire près du
chemin. Mon isolement est fait de foie frit
et de bière glacée avec ma famille et mes amis.

J'en ai besoin. Deux ou trois fois l'an. Et
quand je reviens à Béziers, ville cathare, je laisse
mon isolement pour mieux le retrouver. Après.

dimanche 6 mai 2018

Plénitude

Je remplis patiemment des cannellonis
à l'aide d'une petite cuillère. Un à
un, je les dispose dans un plat à feu

puis les nappe d'une sauce à base de 
tomates et de champignons. Le four est 
chaud. Trente minutes suffiront.

Je pense à mon fils petit, déjà si grand,
qui les dégustera demain soir. Il s'en
remplira la panse qu'il fera claquer

d'un geste de la main, satisfait. Content.
Et pourtant ce n'est pas ce mot de contentement
qui me vient à l'esprit mais plutôt celui

de plénitude. Celle des puissants, ostentatoire,
ne me chaut. J'aime l'hasardeuse qui se tisse
de détails anodins et me comble, irrémédiablement.





Un balcon sur la mer

A-t-on jamais rêvé de construction humaine
plus belle que ce balcon festonné ? En lieu
et place de la gueule sombre ouverte sur

la façade en attente, menaçant de chute brutale
quiconque s'en approcherait, un entrelacs de fer
forgé, avec des fleurs, de riantes arabesques et,

au-dessus, un garde-corps de bois verni. C'est là,
à la tombée de la nuit, que je te dissuaderai de
sillonner les coupe-gorge de la capitale au printemps

pour voir s'abîmer le soleil dans les flots, entre les 
deux îles, la grande et la petite où il fait si bon 
vivre. Nous ne parlerions pas et la mer nous avalerait.

samedi 5 mai 2018

De coutil blanc

J'ai rêvé d'un matelas de coutil blanc, 
sans drap ni sommier, à même le sol 
posé, au sortir d'un camion au long cours. 

Il dédaignerait l'alcôve pour le salon clair, 
entouré d'une guirlande de lumignons rouges. 
Ah, la belle hiérogamie. 

J'en ai rêvé en plein cœur de la nuit, sans 
aiguille ni luciole. J'avais besoin de nouveauté, 
et de toi à mes côtés.

P'tit cœur volé

Si petit que j'avale
le «e» qui l'introduit.

Tout petit et violet,
comme les bijus que mon

père taillait à l'apéritif
avec leur chair jaune omelette.

Un ptit cœur volé sur un forum
et que je t'offre, battant,
entre mes pauvres mains.

Si petit que rien n'y est écrit.
L'avenir, par mes lèvres, le fera,
riche du passé qui nous a guidés.

S'il m'était donné de retourner en
enfance et d'y tracer chemin,

j'en prendrais une poignée étincelante
que je sèmerais comme on gagne sa vie.

Mais je ne suis qu'un poète qui, pour toi,
le façonne et dessine, le cœur dans tes étoiles.

Summa arbor

Il fut un temps ou l'on tutoyait les cimes
aux accents pas encore tombés dans l'abîme.
L'arbre dressé dominait sans qu'il fût question

d'y imaginer un quelconque habitat. Ce temps est 
révolu. Les cimes se sont égalisées en un moelleux
canapé. Un puits de carbone au doux nom de canopée.

Bien sûr on ne le voit ni on n'oserait s'y poser
un jour. De curieux et lents appareils la frôlent
porteurs de cornues et de sondes alambiquées.

On dit que là est le creuset de la vie qui bouillonne.
Mais on dit tant de choses et bien loin de la canopée,
en bas, à l'ombre, avec toi je voudrais me coucher.

vendredi 4 mai 2018

Rayer les rails

à Axel et Michel

Toute ma vie, je les ai vénérées, ces bibliothèques
de briques. Entrepôts, gares, rotondes et dépôts, où
se pressaient des milliers d'employés au service d'un

public qui ne les voyait pas. J'ai grandi dans une
bourgade de bord de mer qui en vivait, les yeux tournés
vers le contrefort rouge que surmontait la gare-frontière.

Et voici que les tags couvrent les entrepôts aux portes
définitivement closes et que les pelleteuses s'affairent
sur les façades des maisons insalubres. Bien sûr, le train

m'emmènera, bien sûr, déjà il m'emmène, dans le confort 
de la moquette et des sièges moelleux. Mais je pleure sur 
ce monde que j'ai connu vivant et sans qui je n'aurais étudié.



jeudi 3 mai 2018

Insulodependència / Insulodépendance

No ploris, mare, que ens hi apropem.
Deixa'm eixugar les teves llàgrimes
i endur-me la sal que les fa brillar.

Ambdós portem els somnis oblidats dels
que hi van néixer i van haver de sortir-ne
de tanta fam com patien. Deixarem la ciutat

blanca on ens esperem al migdia i anirem a
la platja petita, entre roques i coves.
I allà barrejarem la sal dels teus plors

amb la sorra que modelen les petjades sense
canviar-la mai. Aleshores, rics del morter
familiar, tornarem a La Rueda i hi festejarem.

***

Ne pleure pas, maman, car nous en approchons.
Laisse-moi essuyer tes larmes
et emporter le sel qui les fait briller.

Tous deux, nous portons les rêves oubliés de ceux
qui y sont nés et ont dû en sortir,
tant ils avaient faim. Nous laisserons la ville 

blanche où l'on nous attend pour midi et nous irons
sur la petite plage, entre roches et grottes.
Et là, nous mêlerons le sel de tes pleurs

avec le sable que modèlent les pas sans
jamais le changer. Alors, riches de ce mortier
familial, nous reviendrons à La Rueda et nous y festoierons.

Abyssinie

Un abysse est né aux confins de la corne de sable.
Les jeunes poètes, épuisés par la verve libre,
y prennent une retraite imméritée sous couvert

de trafics inconnus. Musc, or, armes, épices,
tout est bon à la main qui échange et au visage
qui se tait. La profondeur, éblouie par le soleil,

délaisse les fonds glacés pour gagner l'horizon poudré. 
Mais déjà la nuit se fait, violette au ponant, et l'abysse
disparaît, tout comme des poètes les feuillets au vent mauvais.

mercredi 2 mai 2018

L'horizon

J'ai pris ma barque légère
et ses lourdes rames et
je m'en suis allé léger

vers le large. Il faisait 
frais. Le soleil pointait
au levant et, de part et

d'autre de sa couronne
d'airain, une fine ligne
célébrait les noces du

ciel et de la mer. Perdant
peu à peu mon sourire, sentant
mes joues se creuser et mes

muscles se raidir, j'accélérai
le mouvement. Je ne ramais plus,
je souquais ferme, les yeux

perdus dans cet horizon qu'à
aucun moment je ne vis proche.
Ainsi va la vie qui nous courbe

sur l'ouvrage et jamais ne nous
distrait d'un but louable mais
merveilleusement inaccessible.

Une bouteille à la mer

à mon ami Ponç

Il est des marins d'eau douce,
forts en gueule et malhabiles.
Mais que penser d'un passager

clandestin d'eau douce ? D'un
enfant polisson, comme on dit
dans notre île. Orphelin, grêle,

passant ses jours, de la promesse
du soleil à sa disparition, à laver
des bouteilles dans un cul de basse

fosse et qui, un jour, s'enfuit en
rampant se mêler aux rongeurs, au
fond d'une câle fleurant bon le thé,

le rhum et les épices, de lui inconnus.
Il a pris l'une des bouteilles, l'a
séchée, bouchonnée, après avoir écrit

de son pauvre sang les mots d'un espoir
fou et l'a lancée en sortant à la lune.
Découvert, menacé d'être jeté par dessus

bord, il voit s'ériger un père qui se nomme
Dignité. Je ne vous conterai pas la suite,
le livre vous attend, comme bouteille au rivage.