mercredi 31 décembre 2014

N.H.Ø.P., de bois et de métal

à la mémoire de Niels-Henning Ørsted Pedersen

Un nom si long, imprononçable, riait
son ami le pianiste catalan Tete Montoliu.

Alors je m'en souviens par ses quatre
initiales. Quatre comme ses cordes de
métal, de l'épaisse à la presque fine.

La contrebasse est un instrument étrange.
Elle a le coloris d'un meuble et la corpulence
d'un homme assoupi. À la suite de Lafaro, fauché

sur la route à vingt-quatre ans, il en jouait en dialogue,
non en appui rythmique. Je fais silence et écoute : la mort
ne peut rien. Sur le mp3, j'entends ses doigts qui courent

sur le métal. Et le bois de leur donner du corps comme un cognac
vieilli en fût de chêne. Pour N.H.Ø.P ? Un V.S.O.P, of course.

lundi 29 décembre 2014

"Where Can I Go Without You"

When Nina sang this romance,
I was six-month-old and
I was discovering the wide
world with my mummy.

Much time has passed since
the early sixties, Nina died
in the south of France, close
to my unforgettable wishes.

It's 12 o'clock and I'm listening
Nina's voice, once, twice, many
times. Slowly. With much more love
than my heart can contain...


dimanche 28 décembre 2014

La noia dels cabells blaus / La jeune femme aux cheveux bleus

No la conec de res, va ser un flaix
enviat per un amic poeta. A fora, 
el vent bufa fort i la Nina canta
el dolor de qui no té res, de qui ho
té tot. No conec la noia, ni la vull
conéixer. Per no parlar-ne a deshora.
Només veig els seus cabells com un crit
silenciós de llibertat. Ara és l'hora
de guardar a l'armari els mots usats
i d'escoltar i escoltar encara com flueix
la vida.


***

Je ne la connais pas, ça a été un flash
envoyé par un ami poète. Dehors,
le vent souffle fort et Nina
chante la douleur de celle qui n'a rien, de celle
qui a tout. Je ne connais pas cette jeune femme ni
ne veux la connaître. Pour ne pas en parler mal à propos.
Je ne vois que ses cheveux comme un cri
silencieux de liberté. L'heure est venue
de ranger au placard les mots usés
et d'écouter et écouter encore couler
la vie.

ARA ÉS L'HORA, ANNA ÉS L'ONA / C'EST L'HEURE OÙ ANNA EST VAGUE

Ara és l'hora. De veure'ns sense veure'ns,
d'encetar el pastís d'ametlles de l'amistat
veritable. Confidències i necessitat. Ja no et veig
però sento els teus ulls que freguen les meves lletres.

Aclucant-los, podràs veure com neix, entre les terres de
l'Empordà, bescoll de tanques salades, les ones d'una altra
llibertat, de vidre i colors car tu ets ona, Anna, i, on
vagi, portaré els teus mots com un collar de vida franca.

***

C'est l'heure. De se voir sans se voir,
d'entamer le gâteau aux amandes de l'amitié
véritable. De confidences et de nécessité. Je ne te vois plus
mais je sens tes yeux qui frôlent mes lettres.

En les fermant, tu pourras voir naître, entre les terres de

ton Ampurdan, nuque de clôtures salées, les vagues d'une autre
liberté, de verre et de couleurs car tu es vague, Anne, et, où que
j'aille, je porterai tes mots comme un collier de vie franche.

ARA ÉS L'HORA / C'EST L'HEURE

Ara és hora,
ara és heura,
ara és era.

Ara és àrea
i ara és or

Entesa? - Entesos.

***

C'est l'heure
heure-lierre,
heure-ère.

Heure-surface
et heure d'or.

L'Entente ? - Entendu.

SMS

J'ai une amie, précieuse, avec qui
je ne communique que par sms, ou presque.

Les mois et les années passés ont été prodigues
en incompréhensions, de part et d'autre. Palliant
l'absence, le sms inventait une autre présence,

qui ne me plaisait pas. Et voici que les sms prennent
une autre tournure, ou est-ce moi qui les prends autrement ?

Je les attends, parfois même je les espère, ces petits mots
de rien du tout, du tac au tac ou après un long laps. M'habituerais-je
à cette vie en retrait où l'on ne pèse plus mais, petitement, exulte ?

samedi 27 décembre 2014

NINA

Elle n'est pas belle, elle est plus que belle,
elle est la vie poussée au désespoir. Je ne l'ai
pas connue, ses cendres ensemencent, depuis onze
ans, la terre d'Afrique.

Jour après jour, elle me réveille, à sept heures 
et vingt minutes. Trois minutes et trente-neuf
secondes hors du temps. La douche peut bien attendre.
L'écouter et l'écouter encore, fermer les yeux. Ouvrir,

dans le couloir, les portes des chambres de passage qui
donnent sur des vies uniques qui refroidissent au fond
des tasses, le matin, près du mégot écrasé et marqué du
rose tyrien qui tranche sur le noir et blanc des pochettes.


DÉPOSSESSION

à A. C., J. J et P. B.

«Ain't Go No/I Got Life»,
de Nina Simone tourne en
boucle, dans des craquements
imaginaires et je pense.

Je pense à tout ce que je n'ai
plus et qui demeure en moi, je
pense à tout ce que j'ai et qui
est heureux, loin, en cette heure.

Je pense à l'illusion de la possession
qui écrase au lieu d'épanouir. Je n'ai
pas de vin mais toutes les vignes m'attendent.
Je n'ai pas de chaussures mais déjà les routes

étroites sillonnent mon devenir. Je n'ai pas de cahier
mais le rouleau de Kerouac avale mes doutes. À côté
de moi, deux livres reçus ce matin d'amis chers, Pere
et Jordi. Dédicacés, non possédés, feuilletés, bus. Les

langues se croisent, je me revois dans un petit bar de
Poblenou en novembre. Devant moi un mince recueil de Jordi
glosant sur Kafka. À mes côtés, une maman et son garçon.
Une maman comme toi, un petit garçon comme toi. Le café

allait fermer, ils mangeaient en silence, serrés. Ils n'avaient
rien, ils avaient tout. L'amour faisait silence et l'aubergiste
tardait à abaisser le rideau. Sur l'écran Jean-François Michael
chantait «Adiós, linda Candy» mais nul ne l'écoutait. Nous étions

bien, sans nous connaître, sûrs de ne plus jamais nous revoir tant
la maman et son fils semblaient étrangers au quartier à un jet de
caillou du métro. Ligne 4, la jaune, station Poblenou. Vrombissement
léger qui fait trembler la structure du café. Tous les quarts d'heure,

comme une horloge. L'Estrella Damm tiédit dans la chope, je la vide d'un
trait, je remets Art K. dans mon sac à dos. De mon passage il ne restera
plus que la mousse sur les parois du verre incolore. La maman et son enfant
sont déjà partis. L'aubergiste abaisse le rideau. E la nave va.



La lyre échouée

à M.-A. P

La voile latine n'est plus
et la Catalane s'échoue,

Un filet de cordages en dessine
ce qui fut la toile, insensible

désormais au Grec ou au Mistral. 
Lyre sage qui attend mes doigts 

et frémit sous l'hommage. Histoires 
de marins, senteurs âcres des tavernes. 

Nuits sans lune à attendre l'anchois et à
jouer au tarot de Marseille, sans ciller.



mardi 23 décembre 2014

Caminant cap al 2015 / en marchant vers 2015

Caminant a la nit cap a l'any vinent,
recorda del dies passats els instants
feliços, compartits amb els amics,
alenteix la marxa, olora l'entorn,
hi trobaràs traces dels plaers futurs.

***

En marchant de nuit vers l'année nouvelle,
rappelle-toi des jours passés les instants
de bonheur, partagés avec tes amis,
ralentis le pas, respire autour de toi,
tu y trouveras l'empreinte des futurs plaisirs.

lundi 22 décembre 2014

Imaginar-te / T'imaginer

S'apropa Nadal. A la nit
els carrers són buits, freds,
sonors. Pàl·lides les mans
sota la llum muda de les garlandes,
camino lentament, reflexiu.

T'imagino. Acluco els ulls un instants,
sento la fredor de la mà sense el rostre
amat i penso en els anys passats, quan
circulàvem per les voreres sonores.
Solstici d'hivern. Des de fa algunes hores.

Solstici d'estiu a la Sagrera. Te'n recordes?
Sortiem de casa entre els petards i ens precipitàvem
cap al racó amic, de l'altra costat de la ciutat, a prop
d'un carrer amb nom de poeta. Allà, bevíem cava rosat
i ens feren una foto que encara hi és. A la paret.

***

Noël approche. La nuit,
les rues sont vides, froides,
sonores. Mes mains pâles
sous la lumière muette des guirlandes,
je marche lentement, je réfléchis.

Je t'imagine, je ferme les yeux un instant,
je sens le froid de la main orpheline du visage
aimé et je pense aux années passées, quand
nous circulions sur les trottoirs sonores.
Solstice d'hiver. Depuis quelques heures.

Solstice d'été à La Sagrera. Tu te rappelles ?
Nous sortions de chez toi parmi les pétards et nous nous précipitions
vers ce coin ami, de l'autre côté de la ville, près 
d'une rue au nom de poète. Là, nous buvions du cava rosé
et on nous fit une photo qui y est encore. Sur le mur.

samedi 20 décembre 2014

Muse et Musée (Béatrix 1)

Les tableaux peuplent ma tête,
mais je vais peu au musée. Je lui
préfère les hasards de la ville,

les coins de rue, les marchands de
marrons. Un ami cher me dit à peu près
la même chose. De passage dans une ville

méditerranéenne, il renonce au musée et
gagne un vernissage en clandestin, chapardeur
de pistaches et de vermouth. C'est là qu'il

la rencontre, celle dont il ne connaît ni la
langue ni le passé. Nous la nommerons Béatrix.
Des heures les attendent, ils ne le savent pas

encore, eux qui frôlent flûtes et regards. Que
l'air salin vivifie quand la nuit se fait d'encre
et que les horloges perdent leurs aiguilles d'or !

Mon amour méditerranéenne

Je vis seul et on me croit disert,
avec, sur le visage, le sourire de ma
mère comme unique étendard.

J'aime la compagnie de mes amis et du
hasard, je bats la campagne et sillonne
les villes. De la mi-matinée aux heures

creuses de la nuit, je cueille des fleurs 
d'asphalte et des écailles de comptoir.
Mon secret : des visages, des voix, un

cliquetis de cendre et d'or et le secret
caché de mon amour méditerranéenne, 
de son pas vif, de son intelligence exquise.

Que le passé est beau qui n'est plus mais
diffuse encore ses encens. La terre cuite
est tiède et le doigt se poudre de ce

qui fut, jadis ou naguère, et sans qui je ne
serais pas. J'aimais être aimé. Je sais à présent
que j'aime aussi aimer.

Coiffage paternel

M. coiffe lentement les cheveux de sa fille.
A. se tait. Elle sent l'enfant qui lentement,
en elle, laisse la place à la femme qu'elle
sera et qu'elle voit s'épanouir sur le visage
de K, son aînée.

M. ne dit rien non plus. C'est un samedi de la
mi-décembre, Noël est encore loin. En peignant
la chevelure soyeuse de sa fille, il pense à 
sa tête si petite entre ses doigts quand elle ne
parlait pas encore 

et le regardait de ses grands yeux ouverts. Le temps
a filé, l'amour a filé sa toile qui jamais ne s'étiole.
M aime ses filles et ses filles aiment ce père sage et
bourlingueur, modèle qui jamais ne se voulut tel et qui
ainsi transmet.

vendredi 19 décembre 2014

L'Anna

"I la María se fue,
buscando sol
en la playa".


I l'Anna se n'anà,
buscant pedretes
de vidre i colors

pels camins aspres
de l'Empordà. Els ulls
plens de paraules

occitanes, les butxaques
de contes ja escrits. Deixà
uns amics i unes amigues

que signaren, ja ho sé, el
irrepetible conveni del Pi
on es comprometien

a visitar-la sovint.

***

"I la María se fue,
buscando sol
en la playa".

Et Anna s'en fut,
à la recherche de cailloux
de verre et de couleurs


sur les chemins âpres
de l'Ampurdan. Les yeux
pleins de mots


occitans, les poches
de contes dèjà écrits. Elle
laissa quelques amis et amies


qui signèrent, je le sais,
l'accord unique dit du Pi(n),

où ils s'engageaient

à lui rendre visite souvent.

Le vin chaud

Je le sens et entends la cuillère
qui l'anime. Sombre comme
cerise en forêt noire, il attend

son buveur. Ses buveurs, plutôt.
Un ancien jeune-homme à Stetson
de feutre, une brune soignée au

regard lointain. Les mots s'écoulent.
Nul ne semble écouter l'autre, le temps
pèse et s'englue. Le vin chaud s'ennuie.

Corps souffrant

Souffrance de l'inconnue,
à quelques jours des fêtes.

Corps alité sans sommeil, lits
parallèles à roulettes qui jamais

ne se meuvent. Tic-tac lancinant
de la pendule absente. Le salon

est loin et la voisine tarde. Votre
petite-fille, Madame, elle, ne tardera

pas, elle a votre regard et des histoires
plein sa musette. Redressez-vous,

oubliez les murs fades et les tuyaux
chromés. Le salon est revenu. «Prendras-

tu, ma S***, un peu de cette tarte aux
pruneaux que tu aimais tantôt ?»
 Noël

approche et, à quai,  les cargos s'enrouent.
Je pense à vous, Madame, que je ne connaîtrai

jamais, mais dont je devine l'espiègle passé dans
les yeux noirs vifs de votre petite-fille estimée.

Une muse

Silencieuse et présente. Par touches
parfumées. Frange brune le long du
port glacé. Pavé sonore qui la regrette

déjà, à l'angle du quai. Le restaurant
ouvre ses deux battants et l'odeur de
soupe flotte, corsaire de poireaux

cuits et d'épices outre-atlantiques. Si
je ne t'avais rencontrée, jamais je ne
t'aurais inventée. Trois mois écoulés

et mon esprit durablement frangé. Tu
m'emmuses, le vois-tu, chargée des
cadeaux dont tu honores déjà les tiens ?

Le soleil des mourants

Coup de poing dans l'estomac
en son temps. Soleil tiède d'un
coin de rue l'hiver. Lu, bu, puis
oublié.

Un ami cher m'en envoie photo
à l'instant, du tarmack de l'aéroport
qui le conduit à Dakar et les années
défilent.

On revient toujours à ses amours, dit-on.
Je reviens à Izzo. Trop tôt disparu, rhapsode
des pauvres et des sans langue, passionné
serein.

jeudi 18 décembre 2014

Mirall trencat / Miroir brisé

Parlava tant que no se n'havia adonat.
Tot i que els darrers dies l'en havien
apropat: les converses literàries, les
fotos de nit pels carrers foscos i freds.

Treballava tant que no l'havia escoltat,
ni tan sols havia obert el petit fitxer
que l'Alba li havia enviat. El guardava
per a la nit del dimecres, la meitat de

la setmana. L'Albert era un d'aquests
miserables que es passen el dia pregonant
això de "in medio stat virtus". I no són
capaços de veure el que tenen al davant.

L'Alba li envià un missatge tímid, un segon
més precís. Desprès de banyar el petit i
de jugar amb ell mentre s'adormia, l'home
s'assegué i obrí el fitxer. Les paraules ballaven,

la llengua era precisa, la percepció delicada no
perdia res al ser representada. Passava d'un món
a l'altre, en saltar les pàgines. Tenia por d'anar
de pressa. Vint-i-una pàgines. El pes de l'ànima segons

els metges bojos del segle dinou. A vegades, perdia el
fil de la narració i havia de tornar enrere. El sol l'hi
esperava, sempre. Sens adonar-se'n, es precipitava lentament
cap a la revelació final, el moment en que el conte deixa de

ser-ho, en que el mirall es trenca i la vida impossible, per ser
rebutjada, es posa a sagnar. "Ecce homo" ? Que no, home, pobre
diable, "ecce mulier", la més fina de totes però que ell sense
voler-ho i per no passar per pesat havia guardat en un racó del
seu cor solitari.

***

Il parlait tant qu'il ne s'en était pas rendu compte.
Même si ces jours derniers l'en avaient 
rapproché : les conversations littéraires, les
photos la nuit dans les rues sombres et froides.

Il travaillait tant qu'il n'avait su l'écouter,
ni même avait ouvert le petit fichier
qu'Alba lui avait envoyé. Il le gardait 
pour le soir du mercredi, la moitié de

la semaine. Albert était un de ces
misérables qui passent leur journée à proclamer
"In medio stat virtus". Et ne sont pas capables
de voir ce qu'ils ont devant les yeux.

Alba lui envoya un message timide, un second
plus précis. Après avoir baigné son petit et
avoir joué avec lui tout en l'endormant, l'homme
s'assit et ouvrit le fichier Les mots dansaient,

la langue était précise, la perception délicate ne 
perdait rien dans la représentation. Il passait d'un monde
à un autre en passant d'une page à l'autre. Il avait peur
d'aller vite. Vingt-et-une pages, le poids de l'âme à en 

croire les médecins fous du XIXe siècle. Quelquefois, il perdait 
le fil de la narration et devait revenir en arrière. Le soleil
l'y attendait, toujours. Sans s'en rendre compte, il se précipitait
lentement vers la révélation finale, le moment où le conte cesse

d'en être un, où le miroir se brise, où la vie impossible, par
suite du refus, se met à saigner. "Ecce homo" ? Mais non, pauvre
type, "ecce mulier", la plus fine de toutes mais que lui à, son corps
défendant, pour ne pas passer pour un lourdaud, avait gardée dans un coin
de son cœur solitaire.

mercredi 17 décembre 2014

LLIBRETAT / LIVRETÉ

al J. J.

No llegeixo molt. Escric poc. I breu.
Però visc rodejat de llibres i no puc
seure -ni ser- sense la seva companyia.

Al costat meu, obres comprades -firades,
diria una amiga admirada-, a Barcelona
fa algunes hores. Llegides o a mig llegir.

Els més estimats són els oferts per un poeta
amic. Un blanc i un negre. Flexibles, olorosos.
Quin regal! Quan els agafo, tinc entre les mans

hores, dies, setmanes, mesos de llibertat perduda,
teclejant, retrobant traces de versos i de passos
oblidats, sepultats. Paradoxa absoluta: la meva

llibertat neix de la llibertat aliena sacrificada.
Com el podré regraciar sinó oferint-li, dia rere dia,
una antologia dels versos admirats, en plena llibretat?

***

Je ne lis pas beaucoup. J'écris peu. Sec.
Mais je vis entouré de livres et je ne peux
m'asseoir -ni être- privé de leur compagnie.

À mes côtés, des œuvres achetées -raflées,
dirait une amie admirée-, à Barcelone
il y a quelques heures. Lues ou à demi-lues.

Mes préférés sont ceux que m'a offerts un poète
ami. Un blanc et un noir. Souples, odorants.
Quel cadeau ! Quand je les prends, j'ai entre les mains

des heures, des jours, des semaines, des mois de liberté perdue
à taper, retrouver des traces de vers et de pas
oubliés, ensevelis. Paradoxe absolu : ma

liberté née de la liberté d'autrui sacrifiée.
Comment pourrai-je le remercier sinon en lui offrant, jour après jour,
une anthologie des vers admirés, en pleine livreté?

mardi 16 décembre 2014

La fille au piercing

Elle est devant moi, un peu de côté
et parle tout en grignottant un petit
pain rond. Fidèle à une amie qui me

l'a enseigné, je renonce à mes lunettes.
Son visage, régulier, est flou. Mon regard
se prend au piercing argent qui lui traverse

la narine droite comme un poète maudit accrochait
son chapeau au croissant de la lune. Elle croise les
jambes en se tenant la cuisse gauche avant de la laisser

se balancer doucement. Elle se mord les ongles, j'aime,
puis croise les bras tout en hochant la tête pour écouter
son amie, que je ne verrai pas et qui déjà s'enfuit.

Yeux

Un wagon de métro. Quelconque.
Ligne 1. La Rouge. Entre La Sagrera
et Catalunya. Figures penchées vers
des dispositifs mobiles. Pas un regard.

Deux visages s'en distraient, silencieux.
Un homme appuyé à la barre verticale
qui donne sur l'issue. Yeux mornes derrière
d'épaisses lunettes aux verres jaunes, comme

polarisés. Pour se protéger des agressions d'un
monde qu'il ne regarde pas, qu'il ne regarde plus ?
Ses yeux ne cillent pas. Couleur indéfinissable. Au
dessous, les rides ravinent le visage sec depuis

longtemps. Oueds. Assis devant moi, une femme sans
lunettes. Beau visage. Harmonieux. Yeux explosés par
la fatigue ou la tristesse. Aucun regard. Un musicien
ambulant survient qui joue au violon l'un des concertos

brandebourgeois de Bach. Son regard s'anime mais elle
ne cille pas, elle non plus. Le musicien sort précipitemment
sans achever son morceau. Je lui emboîte le pas. Les geeks
n'ont pas levé la tête. Fondo est le terminus du métro.

Ni Déu ni amo / Ni Dieu ni maître

"- Adéu siau"
"- Adiooooós".

Paraules creuades
a la sortida de la Font

de la Sagrera, un bar estret
de la plaça Masadas. En un món

on no li queda el més petit racó al
Déu dels avantpassats, només s'oposen

les llengües. Cosa estranya. Impensable
ja que d'altres persones entren i surten.

Parelles rares: una senyora gran, enraonant
en català, acompanyada d'una noia grassoneta

sovint dominicana que li contesta en espanyol.
La conversa, professional, al començament es fa

càlida de sobte, fins i tot entranyable. La Dolores li
parla a la Dolors del nòvio o de qui pensa que podria

ser-ho. La Dolors li contesta des dels anys i la seva experiència
per tranquil·litzar-la. Res de l'altre món. El nostre món. De meravella.

***

"Au revoir" (en catalan)
"AU REVOIR" (en espagnol)

Mots échangés
au sortir de la Fontaine

de la Sagrera, un bar étroit
de la place Masadas. Dans un monde

où le Dieu des ancêtres n'a plus le moindre
petit coin, seules s'opposent

les langues. Chose étrange. Impensable
étant donné que d'autres entrent et sortent.

Couples bizarres : une dame âgée, parlant
en catalan, accompagnée d'une jeune femme grassouillette

souvent Dominicaine qui lui répond en espagnol.
La conversation, d'abord professionnelle devient

chaleureuse tout à coup, et mêmeintime. Dolores
parle à Dolors de son fiancé ou de quelqu'un dont elle pense qu'il pourrait

le devenir. Dolors lui répond du haut de son âge et de son expérience
pour la tranquilliser. Rien de bien extraordinaire. De l'ordinaire. Merveilleux.

dimanche 14 décembre 2014

Deux femmes

Serrées et souriantes
sur un bord de la photo.

Derrière elle l'ocre et
le ciel d'une plage du

Nord. Un même sang les
unit, une même curiosité.

Un seul sourire sur trois
générations. La photo est

un instantané et la parole
en est absente. Que se sont-

elles dit ces femmes du midi
déplacées au Septentrion.

Le vent désordonne les cheveux
clairs de la petite-fille, une

épaisse écharpe de couleurs 
protège son aïeule qui, elle

aussi, fut jeune, les cheveux 
libres. Le temps se suspend,

un brin. Pour faire mémoire du
pas de deux femmes appariées.


«Cap a la vida tu, jo cap a casa» / «Vers la vie pour toi, pour moi vers la maison»

La matinada ha perdut les agulles
i, al darrere, la caldera s'adorm.
Fullejo la Poesia del Pere Rovira

per preparar la trobada amb tu, Joan,
que no conec i amb qui treballaré els
pròxims dos, tres o quatre anys. M'agrada

tornar als llibres estimats, si bé deixats
de banda. Com solc fer amb els punts de pàgina
que, gairebé sempre, són tiquets de compra o de bar.

Retrobo el volum verd i prim de Mar endins,
comprat a Documenta en sortir de casa d'una
amiga poblenovina o L'amor boig, novel·la

total i senzilla que acaronava una mà estimada,
i busco en les paraules assossegades un camí per
seguir endavant. Cap a la vida. O cap a casa.

***

Le petit matin a perdu ses aiguilles
et, derrière moi, la chaudière s'endort.
Je feuillette la poésie de Pere Rovira

pour préparer ma rencontre avec toi, Joan,
que je ne connais pas et avec qui je travaillerai les
deux, trois ou quatre prochaines années. J'aime

revenir aux livres aimés, quoi que laissés
de côté. Comme j'ai coutume de faire avec les marque-pages
qui, presque toujours, sont les tickets des courses ou des bars.

Je retrouve le volume vert et mince de Au large,
acheté à la librairie Documenta au sortir de chez
une amie de Poblenou ou L'amour fou, roman

total et simple que caressait une main aimée
et je cherche dans les mots apaisés un chemin
pour poursuivre ma route. Vers la vie. Ou vers chez moi.

Train de nuit pour Lisbonne

Le livre est mince que je n'ai pas lu.
Les livres les plus précieux sont ceux
dont on repousse sans cesse la lecture

mais que l'on offre à ceux que l'on aime.
Sans jamais rien leur demander. Il m'a suffi
de voir la couverture, fraîchement déballée,

sur le marbre du bar pour savoir que ses pages
nous liaient. Derrière la pierre de vie dressée
est la tasse mousseuse, non encore entamée.

Le café refroidit et pourtant tu as choisi d'en
différer la dégustation pour m'offrir cet instantané,
tout comme je diffère ma lecture en t'offrant ce mince

volume. Hier j'ai relu les poèmes des trois derniers
mois. Tu y étais présente. Les accidents de la vie s'en
étaient allés et les mots restaient. Pour quelque temps.

Je relis peu mes vers. Par hasard où pour préparer une 
refonte ou une - rare -édition. Comme s'ils étaient ce livre
que je ne lis pas et ne cesse d'offrir à celle que j'aime.



samedi 13 décembre 2014

Villes sans nom

Je suis né dans une ville qui n'a plus de nom,
une autre s'en est repue où s'appontent les pétroliers.

Est-ce pour cela que je suis sensible aux villes sans nom
ou aux noms volés ou oubliés ? Celleneuve de Léo Malet, Es
Castell où je ne trouve plus aucune mention de la Villacarlos

de mon adolescence. Je pense aux escargots qui se dessèchent
derrière les plaques indicatrices des communes. La vie se meurt,
elles demeurent. Un jour viendra cependant où le bulldozer les

renversera. La Cette de tes ancêtres brutalisée en Sète pour ne
pas faire doublon avec le démonstratif, comme si une confusion
pouvait être envisageable, gratte à ma porte et le Bar'à Lire,

mémoire inattendue, garde en son sein, tout contre les toilettes
des rues où s'étale le nom vénérable et véritable. Déployez vos 
ailes, villes sans nom et laissez-moi la vie, qui n'en a pas besoin.

Banlieue, lieu banni

Assise au bord de la voie de dégagement,
elle joue avec ses mains. Roumaine, Serbe,
Bosniaque, qui se soucierait de le lui demander ?

Nul ne passe dans cette voie où la terre s'amasse.
À cinquante mètres le ruban infini des camions serrés,
aveugles. Pas un répit. La ville est loin, tout comme

les cités-dortoirs. Que fais-tu, petite, et quel âge
as-tu ? Les pervers déjà monnaient ton silence. Lieu
banni, la banlieue des voies n'a pas de langue. Tout

s'y paie et s'y évacue. Un jour, tu ne seras plus, mais
je ne t'oublierai pas, petite fille qui ressemble à la
mienne, que la vie ne m'a pas permis d'élever, dans un lieu

pourtant non-banni.

vendredi 12 décembre 2014

La Bordelaise

La Gironde s'évase pour lui faire
la cour à cette brunette au pas vif,
son eau bistre frise à son approche.

Elle n'en a cure, sa sœur lui manque 
et elle vient lui parler. Débouchera-
t-on un Côte de Bourg à la tombée du

jour dans le petit appartement clair ?
Il n'importe. Deux regards se croiseront,
riches des vies passées qui les animent

toutes deux.

Els ulls de l'Alfons / Les yeux d'Alfons

1

Escoltes l'amic parlar del
teu últim llibre. No et mous,
tens la mirada fixa i els ulls
grisos, entre foscos i clars.
Hi sento córrer una llàgrima
o me l'imagino?

2

Parles al públic, amb ulls
d'entremaliat. No et contesten
però ja vius el diàleg amb les
cares conegudes. Com és que
coneixes tantes cançons?

3

Ja és hora de llegir les cinc
pàgines que has preparat. Ara és
temps d'emprenyar-te. Rere les
ulleres els teus ulls s'han fet
petits i foscos. Durs? Clarividents.

***

1

Tu écoutes ton ami parler de

ton dernier livre. Tu ne bouges pas,
ton regard est fixe et tes yeux sont
gris, entre sombres et clairs.
Je sens qu'en coule une larme,
ou me l'imaginé-je ?

2


Tu parles au public, avec des yeux

coquins. Ils ne te répondent pas
mais tu vis déjà le dialogue
avec les visages connus. Comment se fait-il
que tu connaisses autant de chansons ?

3


Il est temps maintenant de lire les

cinq pages que tu as préparées. C'est
le moment de te mettre en colère. Derrière
tes lunettes, tes yeux sont devenus
petits et sombres. Durs ? Clairvoyants.

jeudi 11 décembre 2014

Beure i deixar / Boire et laisser

Beure i deixar córrer
les hores. Beure a poc
a poc. Un glop, dos, un
got, com a màxim.

L'important és d'escoltar
les converses casuals, el
soroll de les copes cegues.
Imaginar-se ballant un

fox-trot endimoniat. Parar-se
de teclejar, sentir la remor de
les cadires. Somniar la platja de
Binibeca al mes de juny. I adormir-se.

***

Boire et laisser filer
les heures. Boire petit
à petit. Une gorgée, deux, un
verre, tout au plus.

L'important, c'est d'écouter
les conversations au hasard, le
bruit des verres aveugles.
S'imaginer dansant un

fox-trot endiablé. S'arrêter de
taper, entendre le bruit des
chaises. Rêver la plage de
Binibeca au mois de juin. Et s'endormir.

Le Masami

Ça sent le vin et le bois,
un trombone vrombit derrière
moi. J'attends Rémi, la nuit 
est froide et le bar accueillant.

À ma gauche, un verre à pied, jaune
comme de gentiane. Un petit Sauvignon,
sec comme un coup de trique. Le colloque
est loin et la poésie de Ferrater me poursuit.

J'aimerais croiser son renard puant de rouille,
revenant fourbu de l'improbable banlieue. Dis,
Gabi, pourquoi nous as-tu abandonnés ? Ici, pour
sûr, tu aurais trouvé compagne et te serais régalé.

L'horloge-calendrier

Parce que le temps digital m'ennuyait,
je me suis fait une horloge de cœur,
une horloge-calendrier en lettres 
blanches sur l'ardoise noire.

Jour après jour, à midi pétantes,
j'y lisais un menu brûlant où
le bœuf dansait avec les échalotes,
les sépious avec le paprika doux.

Et entre ces heures et ces jours ?,
me direz-vous. Je lisais des livres,
effeuillais des dictionnaires et jouais
les revues à la courte-paille. J'étais bien.

Sofia i/et Hugo

El cafè cremava en gots petits de plàstic blanc.
Me'n parlares com si fossin bessons. Encantadors.
Ta filla gran, la Sofia, ton fill petit, l'Hugo.

Mai havia pensat que tinguessis família.
Feia anys que no ens vèiem, des de
les classes meves, a l'antiga facultat.

I, de cop i volta, naixeren dues veus
i un mateix somriure. Ens separàrem.
El teu somrís ja era el seu.

***

Le café brûlait dans des gobelets de plastique blanc.
Tu m'en parlas comme s'ils étaient jumeaux. Charmants.
Ta fille aînée, Sofia, ton fils cadet, Hugo.

Je n'avais jamais pensé que tu pouvais avoir une famille.
Cela faisait des années que nous ne nous étions vus, depuis
mes cours, dans l'ancienne faculté.

Et, tout à coup, ce fut la naissance de deux voix
et d'un même sourire. Nous nous séparâmes.
Ton sourire était déjà le leur.

Dix villes en une

Il y a celle où je me tiens, dans 
une salle close, écoutant conférence
sur conférence.

Il y a celle où tu te tiens, si près,
où tu te lèves et circules, d'un pas
vif.

Et il y a toutes ces villes qui, la nuit,
nous lient et nous délient.
M'en parleras-tu ?

L'écharpe

Elle plie et replie son écharpe
à motif gris. Avec lenteur, les yeux baissés.
Elle la dépose sur le dossier de la chaise
qui la précède puis s'assied. Silence.

Elle parlera plus tard. Des horreurs de la guerre.
Mais, pour l'instant, elle est à mille lieues du colloque
qui se tient. Élégante. Elle caresse sa

cuisse gauche tout en écoutant la conférencière,
avec un détachement apparent qu'une conversation
ultérieure démentira. Je l'imagine ailleurs,
par l'esprit et par le souffle. À Cordoue, dont elle vient ?

Je ne sais. Elle s'est levée et l'écharpe,
sagement repliée, l'attend dans une fragrance tiède.
J'ai hâte de l'écouter. À travers les mots énoncés.

mercredi 10 décembre 2014

«Je voudrais finir le voyage avec vous...»

à toi, qui te reconnaîtras.

«Je voudrais finir le voyage avec vous...»,
l'expression me surprend d'autant plus qu'il
n'a même pas commencé. Nous sommes restés à
quai une petite heure, puis l'ordre est venu
de nous transborder alors que l'on venait de
nous compter comme ovins en foirail.

Assis l'un à côté de l'autre, le sociologue en
herbe et la vieille dame élégante avaient beaucoup
parlé. En profondeur. Ce qui n'excluait pas ce que,
sans les voir je prenais pour des œillades complices
voire mutines. Et les voici cheminant l'un à côté de
l'autre avec une lenteur et un détachement qui tranchent

sur la course hagarde de leurs compagnons. Je presse le
pas, non pour me fondre à la masse moutonnière, mais pour
les laisser en paix. Surtout ne pas les froisser par
l'impudeur de l'observateur opportuniste. En un temps où
je me pose beaucoup de questions sur l'amour, ces deux là,
éperdument, m'en ont effeuillé une jolie variante.

Ataraxie

Je ne te désire pas, je ne te veux pas,
je t'aime. Sans te le demander ni même
t'en prier. Et s'il m'arrive de te frôler, je

ne t'appelle pas. Il me suffit de te savoir
proche et que le soir tu n'aies pas froid quand
le soleil disparaît de tes pensées. Et des miennes.

mardi 9 décembre 2014

L'or du train

Lire. Quelques vers. Jamais trop.
Laisser l'or d'un coucher irradier
doucement, cependant que le train

grince de toute part. Arriverai-je
avant demain ? Ce sera une question
de minutes. Rien face à Péguy :

"Heureux les épis murs et les blés moissonnés".
Péguy fauché par la guerre en son orée et qui
vit par delà les épis desséchés et la bouche

édentée qui a croqué le grain. Je ferme les yeux
et vois le vent peigner sa Beauce avant de croquer
les moissons de Van Gogh. Toutes et chacune.

La jeune fille aux ongles rouges

Elle a failli rater son train, le transbordement
l'a sauvée. Elle caresse lentement son écouteur
droit en regardant par la fenêtre. Je suis assis
devant elle mais sur une autre rangée. Sait-elle
que j'écris sur elle et que les sourires que j'esquisse
vont au clavier qui en compose, par touches, le portrait ?
Je ne sais, cela n'importe pas. Elle descend à Béziers, je
n'y descendrai pas. Du moins pas avant plusieurs heures
et d'un autre train. Nos pas ne se croiseront pas. Ses mains
sont peintes en rouge sang qui caressent son pied déchaussé
et que je jugerais engourdi si je me départissais de mon rôle
de simple observateur. Elle discute avec la voyageuse qui lui
fait face. Une sœur, une amie ? Sa voix est belle. "On n'est pas tout
seul", cligne-t-elle. Si elle savait, mais elle ne saura pas. Et le train,
un instant arrêté, de repartir pour zébrer les champs embrumés.

Huis-clos

Le train ne part pas. Les minutes s'égrènent.
Les protestations, convenues, tempétueuses,
permanentes, tout d'abord, puis sporadiques,
étouffées par la suite, se sont tues. Des voyageurs
ont quitté le train immobilisé à quai, portes béantes, et
l'on reste entre soi. Le temps n'a plus de prise et les annonces
immuables d'un report sans cesse repoussé ne germent plus.
Mes voisins se sont fait une raison et commencent à dialoguer.
Un, puis deux, puis trois salons se tiennent au débotté. Les fractures
d'âge, de sexe et de classe n'ont plus cours. Des pans du passé reviennent,
impudiques, glissés à l'oreille de celui ou à celle que l'on ne reverra plus mais
dont on fait un confident privilégié. Un personnel hagard, revêtu de gilets cramoisis
trop amples sert des cubes de carton rouges aussi baptisés panier-repas. Je m'en étonne,
nostalgique de Renoir et des guinguettes du bord de la Marne. La plupart des voyageurs ne
les ouvrent ni même ne les touchent. Ils ont mieux à faire. L'ancienne conseillère municipale
parle du choc que constitua l'arrivée des sms pour prévenir des intempéries, le sociologue au
chômage argumente auprès de sa voisine âgée comme devant un miroir. Les différents paramètres
posés, il croit qu'il deviendra professeur. D'histoire. Etonnamment le mot élève jamais n'apparaît
dans son argumentaire. A mes cotés un homme sec, au nez aquilin s'est endormi faute de partenaire.
Ses grosses lunettes le font piquer du nez en direction du seul panier-repas éventré. Le train ne
partira pas. Jamais, comme dans ce Château de Kafka auquel jamais on ne se rendra. Le
transbordement est imminent. Le charme disparaît d'un coup. Je ne reverrai plus mes compagnons
de fortune.

lundi 8 décembre 2014

Le bruit des tasses

J'aime les croissants parisiens,
leur mie odorante et le café brûlant
mais plus encore j'aime les cafés,
à toute heure.

Tôt le matin avec les représentants à
la tenue empesée, ouvrant leur tablette
pour regarder chiffres et tableaux. Le midi
quand l'afflux

soudain de convives me confine à un bout
du bar, l'après-midi à l'heure creuse, quand la
musique s'émaille de bruits de tasse plus clairs
que partout ailleurs.

Je me terre, me fais oublier, j'écoute l'accent
pointu en ricochet sur les nouvelles du jour et
le garçon qui débite d'une voix métallique les
commandes

pour le menu du lendemain. Pour mardi, ce sera
des émincés de poulet. Je n'en saurai pas plus ni
ne les goûterai jamais, mon train sera en partance.
Qu'importe,

des gens se réchaufferont à leur parfum, inconscients
de cette discussion apparemment anodine que j'eus
la chance de chiper une après midi du huit décembre
deux mille quatorze.

J. et C.

Tu veilles sur elles, tranquille et
débonnaire. Elles reçoivent dans
un appartement coquet, clair et
chaud. Ca sent bon la viande en
sauce et les pâtes. La bibliothèque,
serrée, contient des livres que j'aime
et qui ne mentent pas. La conversation
file et déjà la nuit me boit. Je me souviendrai
de la discrète C. se repliant dans son monde
en nous souhaitant une bonne soirée et de
J. intarissable. Du coin de l'œil, tu la regardais
avec un feu tranquille. Dimanche se terminait,
crépuscule doré sur la terre oubliée.

Un dimanche de décembre

Nous étions moins d'une demi-centaine
et les rires fusaient dans le chai. Certains
se connaissaient. De longue date, d'autres

non. Merveille du hasard. Les enfants étaient
au premier plan. Nous étions, à l'avance, leurs
mages aux bras chargés de victuailles. J'étais

en cuisine, à tes côtés, j'écoutais ta leçon de vie,
je te faisais rire par mes idées ou mes gestes
saugrenus. L'oignon confit se mêlait au citron

fondu. Le dimanche n'est plus. Qu'importe. Dans
le train qui zébre la nuit de France, il m'accompagne,
sereinement. Saurai-je bien en parler ? Je l'espère.

Trois amis sur une banquette

Le soir n'a plus d'heure après l'Afrique
partagée. Nous sommes serrés sur l'étroite
banquette. Des tableaux et des chansons défilent.

Je suis bien et ne le dis pas. Une photo, tirée par
celui qui nous lie et nous aime, par trois fois en
attestera. Trois amis qu'un hasard bien mené a

conduits à croiser leur route. Les mots me gomment
et je ne vous vois que toutes les deux : Noémie, si
belle, à la voix unique et charmeuse, et toi que je ne

nomme pas, qui échappes à la description et qui m'as
fait l'honneur, un soir de bière et de musique, de me
confier ton amitié pour ne plus jamais la lâcher.

Palais Royal

Je suis allé voir ce lieu que j'aime
et j'y ai pensé à toi. Ne t'inquiète pas,
je sais notre pacte et ne m'en écarterai pas.

Une pluie fine tombait sur les colonnes de
Buren et les enfants s'en étaient envolés
comme une bande de moineaux. Je pensais

à Colette qui y avait vécu. Femme un temps
asservie, durablement libérée. Je me l'imagine
dans l'âge mur, cheveux gris frisés, regard vif.

Tu t'en serais fait une amie, comme on noue
une échappe de cachemire autour de son cou.
La pluie redouble, j'ai quitté les jardins pour le

formica d'une table de bar. Dans le coin, comme
tu m'as appris à aimer. Les bruits familiers me
ramènent à ces autres bars que je connais à peine

et qui sont un peu de ta géographie, comme cette
encoignure du cours Gambetta. A ma gauche, le
trophée olympique d'une corbeille d'oranges à jus,

je les voudrais croquer pour que l'amertume du zeste
incisé me rappelle la force de la vie latente, qui bat
sereinement et me rattache à toi. Royalement.

samedi 6 décembre 2014

Virgules

J'aime les virgules que me reproche,
à juste titre, mon éditeur. Elles
multiplient le souffle et forcent à
la nuance. Elles sont en petit, croissant
de lune montante ou frange brune d'un visage
aimé et silencieux. Je n'ai pas le génie de
Guillaume Apollinaire qui composait des animaux,
des paysages avec des lettres et des mots, je me fixe
sur les signes, jusqu'à les vider de tout sens, bogue
de châtaigne prématurément desséchée. Et mon préféré 
c'est la virgule, parenthèse honnie sans qui ma vie se vide.

Noël en décembre

Il est né dans une maison pauvre
de Normandie, sol de terre battue,
pièce unique. Il a commencé dans
les champs, sous la pluie, à travailler

pour un fermier. La sale vie, la vie heureuse ;
tout se mêlait sans l'ombre d'un ouvrage. C'est
plus tard, bien plus tard qu'il a approché l'art

de la main d'un père second, d'un père premier, un
père de cœur et non de corps. Il devint antiquaire,
caressant du regard les ans qui façonnaient les pièces
qui par ses mains passaient. Son père de cœur mourut,

il y a quatorze années, un souffle d'air glacé. Il a laissé
son négoce et a trouvé sa voie au service des autres. Je ne 
le connais pas et le sens estimable. Une de ses amies ne me cacha

pas l'admiration qu'elle lui portait. Pour un parti dans la tourmente,
accoutumé aux chausses-trappes, il donne son temps et sa chemise aussi.
Sa parole est claire, il a gardé un cœur d'enfant dont il ne se départit
jamais, même quand il est juré. Il s'appelle Noël, je l'ai connu en décembre.

vendredi 5 décembre 2014

Images

Parfaites, elles défilent et s'envolent,
elles ne sont déjà plus. Mais mon doigt
sur le papier glacé lui s'imprime à jamais.
Courbure des noirs sur la page à la jointure,
odeur entêtante, je fixe le moment qui la boit.
C'était un taxi dans un terrain vague sous l'œil
aveugle d'un immeuble de banlieue. Silence
immobile, le temps s'arrête qui détruit le désir.
Reste le doigt et sa pulpe qui en emportent la
poussière. Poussière d'étoiles ou d'ailes de
papillon ? Qu'importe. Je songe au goût de ta
peau sous ma langue, derrière l'oreille.

Rouler sous la pluie

Rouler sous la pluie,
un vendredi de novembre,
rouler lentement, à ta demande,
distendre le chemin, t'écouter,
te connaître. Aimer ces gestes
menus qui desservent l'attention
pour préserver la bonne marche.
Prendre conscience que cette
route est l'image de ce qu'est
notre amitié : un partage à distance
d'une vie de découvertes croquée
miette à miette, SO FInely...

jeudi 4 décembre 2014

VERBA VOLANT, SCRIPTA MANENT

Les paroles s'envolent, les écrits demeurent,
dit-on. En cuisine, les odeurs s'effacent 
avec les mets. Restent les mots et les phrases.

Les recettes, les impressions. Escoffier, Brillat-Savarin,
le menu du jour griffonné sur l'ardoise. Le risotto du
Bar'à Lire n'est plus que je regrette de n'avoir pas goûté,

dans mon lointain exil perpignanais, mais, de revoir son annonce
sur Facebook, de lire les impressions de celles qui y goûtèrent
font éclater la tyrannie du présent fugace et font de ce risotto

improbable une étape de ma géographie culinaire personnelle. Bien sûr,
il reparaîtra au menu et j'irai le goûter mais ce ne sera plus exactement
le même, merveilleusement. À défaut de sauver la planète, un grain de riz
peut égayer tout un être. Et bien d'autres.

GRAISSESSAC

Ma grand-tante avait, dit-on, des actions
dans la mine de Graissessac. J'étais petit
et ne savais si c'était de l'or ou du charbon
ni même où était située cette contrée au nom
de fantaisie.

L'autre jour, Grand rue Mario Roustan, sous 
la pluie, tu me confias que l'un de tes grands-
pères était de Graissessac. Tu parlais alors
de ta famille avec feu, le regard tendre sous
la pluie battante.

Les jours passèrent et me voici, mon amie, à
Perpignan, à y resonger. Ce même nom pour un 
lieu proche et lointain. Y es-tu déjà allée ?
Pour ma part, je n'y irai pas pour lui laisser
cette part de mystère que ta bouche dévoila.

mardi 2 décembre 2014

Merci infiniment

Merci à toi de rester toi-même,
insaisissable, imperméable aux
images, de garder tes choix secrets
comme la poussière d'étoiles sur les
doigts de l'enfant qui décore le sapin.
Merci de ne me laisser que la seconde de
ta voix dont j'ai fait le signal de 
réception de mes messages pour t'avoir
un peu en moi, sans jamais t'y forcer.
Merci. Infiniment.

Les Dégommeuses

Petit poème en 11 vers de 11 pieds, sans rime.

Une fois par semaine, le stade s'éclaire.
Sous le halo, le froid, les bouches qui soufflent.
Le groupe fait corps, sans ballon, bariolé.
Footing, fractionné, enfin le ballon vient.
Les visages sont indistincts, seuls les rires
signent l'individu, les disparités
du travail, de l'argent, de ce qui sépare
n'ont plus cours. Ici on court, on passe, on shoote.
Plus tard viendront les lumières du vestiaire,
les voix auront un nom, la fierté un souffle :
des femmes qui, simplement, aiment des femmes.

Tâches ménagères

Repassage dans la vapeur légère
et odorante. Une, deux, cinq chemises.
Planche, jeannette soyeuses. En fond
Keith Jarrett et Charlie Haden brodent.
One day, I'll fly away. La chanson

de Randy Crawford s'incarne, lentement.
Je vole, sur le coussin d'air du balais
de l'aspirateur. Puis l'Espagne en moi
poussera un peu sa corne avec la fregona
moussante. Bienheureux suis-je qui dispose

du temps et du goût pour cela. Je pense à ces
millions de femmes qui repassent dans la vapeur
brûlante, la tête vidée par l'épuisement, et à
ces femmes de service les doigts gonflés et
rougis par les détergents incessants.

lundi 1 décembre 2014

Taula oberta / Table franche

No m'agraden els escriptoris estrets,
farcits de fulls, llums i calaixos.

M'estimo millor seure a la taula del
saló, ampla, profunda, clara. Hi escric

rodejat de llibres, tasses i estris que
m'ofereixen del món el tast inconfusible.

Si passeu pel meu barri, piqueu a la porta,
us obriré i descobrireu el meu món reduït

on tota pàgina marcada per un tiquet de compra
és una invitació a digressions inacabables.

***

Je n'aime pas les bureaux étroits,
farcis de feuilles, de lampes et tiroirs.

Je préfère m'asseoir à la table
du salon, large, profonde, claire. J'y écris

entouré de livres, de tasses et d'objets divers
qui m'offrent du monde un goût sans égal.

Si vous passez dans mon quartier, frappez à la porte,
je vous ouvrirai et vous découvrirez mon monde en miniature

où toute page marquée par un ticket de caisse
est une invitation à des digressions sans fin.

(En se ) Restaurant

«Se restaurer : rétablir ses forces
par une bonne nourriture» (Littré)

Redevenir soi en s'ouvrant aux autres
et à une nourriture que l'on ne prépare

pas ou plus. Y aller à plusieurs, en couple,
en famille, entre amis, ou seul. Dans ce 
dernier cas la conscience de l'ouverture

est plus aiguë. J'aime les restaurants où
les tables en se distinguant ne se séparent 

pas, où une ambiance les lie. On ne va pas à 
ces restaurants, on prend l'habitude d'y aller.

Pour la cuisine de R. ou le service de S., pour
retrouver des habitués ou découvrir de nouvelles
têtes ou des langues que l'on ne comprend pas mais

dont on reconnaît les inflexions. On y découvre la vie
à livre ouvert. Et on se restaure avant de reprendre le chemin.

Deux mots, une seconde

En fond : les bruits d'un café, lointains,
au premier plan : ta voix. Profonde, amusée, 
indéfinissable. Mais pourquoi la définir ? 

La savourer comme la main soupèse le grain 
dont elle va ensemencer la terre. Y deviner
l'absolu de l'instant, les échos d'une lignée

oubliée et qui ressort dans un geste, une inflexion.
Ce n'étaient que deux mots confiés dans un café.
En soixante-quatre, je n'en ai pas dit le quart.

VOIX

Des lèvres et des dents,
elle dit le pas du temps,
en espagnol et en catalan.

En espagnol, la langue,
serpent assagi, appuie
un peu sur les dents
pour clore le mot : VOZ.

En catalan, les lèvres se
referment brusquement pour
retenir le souffle de vie
et d'intelligence : VEU.

Mais c'est en français que
je la préfère. À l'écrit le
X l'emprisonne, à l'oral la 
voyale finale l'ouvre à l'infini :

VOIX