mardi 9 décembre 2014

Huis-clos

Le train ne part pas. Les minutes s'égrènent.
Les protestations, convenues, tempétueuses,
permanentes, tout d'abord, puis sporadiques,
étouffées par la suite, se sont tues. Des voyageurs
ont quitté le train immobilisé à quai, portes béantes, et
l'on reste entre soi. Le temps n'a plus de prise et les annonces
immuables d'un report sans cesse repoussé ne germent plus.
Mes voisins se sont fait une raison et commencent à dialoguer.
Un, puis deux, puis trois salons se tiennent au débotté. Les fractures
d'âge, de sexe et de classe n'ont plus cours. Des pans du passé reviennent,
impudiques, glissés à l'oreille de celui ou à celle que l'on ne reverra plus mais
dont on fait un confident privilégié. Un personnel hagard, revêtu de gilets cramoisis
trop amples sert des cubes de carton rouges aussi baptisés panier-repas. Je m'en étonne,
nostalgique de Renoir et des guinguettes du bord de la Marne. La plupart des voyageurs ne
les ouvrent ni même ne les touchent. Ils ont mieux à faire. L'ancienne conseillère municipale
parle du choc que constitua l'arrivée des sms pour prévenir des intempéries, le sociologue au
chômage argumente auprès de sa voisine âgée comme devant un miroir. Les différents paramètres
posés, il croit qu'il deviendra professeur. D'histoire. Etonnamment le mot élève jamais n'apparaît
dans son argumentaire. A mes cotés un homme sec, au nez aquilin s'est endormi faute de partenaire.
Ses grosses lunettes le font piquer du nez en direction du seul panier-repas éventré. Le train ne
partira pas. Jamais, comme dans ce Château de Kafka auquel jamais on ne se rendra. Le
transbordement est imminent. Le charme disparaît d'un coup. Je ne reverrai plus mes compagnons
de fortune.