Ce fut une nuit particulière,
d'encre de Chine puis de blanc
d'Espagne. Dans un navire haut,
surmonté d'une discothèque continue,
tu construisais ton île en parpaings
de noirceur que le vrombissement liait.
Le sommeil tardait, les heures s'étiraient
jusqu'à ce que, tout comme ici, tu perdes
la notion du temps et le bourdonnement
du sang aux tempes. Le silence de l'aube
me réveilla, je me levai seul et m'en fut
au salon devant l'ample baie claire,
je t'imaginais, encore entre deux terres,
dans la blancheur de l'Orient. Silence des
corps harassés roulés sur le ponton dans
de hideuses couvertures. Le transsibérien
ne connaissait pas encore sa prose. À Jaume
Fuster, tu n'en avais pas trouvé trace,
pas plus que de Kerouac. Mais comme moi ici,
là bas l'envie te prenait de renverser
Manrique comme, enfant, tu retournais
les livres aimés : «Nuestros mares son los ríos
que van a dar a la vida que niega el morir.»
Et le reste est plus que littérature, c'est nous.