Ça sent le bouillon de poule et les poireaux.
Les tables sont disposées en rectangle.
Les hommes alternent avec les femmes, mais
les yeux ne trahissent pas la moindre séduction.
On se presse pour avoir une assiette ou une bolée.
Des conversations naissent, passionnantes, décousues,
que je cueille à la volée, comme un destinataire
erroné. Je suis venu voir une très vieille dame,
mince, élégante. Ses yeux ne me voient pas, même si
elle m'entend et dirige vers moi son non-regard.
On m'a rapporté que le matin, elle parlait la langue
de son enfance outremer, ses yeux bleus sur le palais
du Bardo. Mais déjà le repas s'achève et la nuit m'avale
au bras d'une fragrance délicieusement bleutée. Pourquoi
alors fredonné-je, comme un hommage, «Vous qui partez en
voyage...» de Mireille et Jean Sablon. Je ne sais pas, mais
je crois voir la lune me cligner de l'œil à travers la dentelle de pierre.