mardi 31 décembre 2019

Comme un souffle

Comme un souffle, un souhait.
Timide et insistant, qui tire par
la manche et couvre de rosée.

Que vous soyez heureux. Un peu,
un brin ou par boisseaux entiers.
Le bonheur est fragile et grande

votre amitié.

Cap d'any / Premier de l'an

L'ombra fugissera no em guanyarà,
seguiré el teu sol i caminaré a recer
del mal geni, cap al cau sense foscor.

***
L'ombre fugace ne me gagnera pas,
je suivrai ton soleil et marcherai à l'abri
de mon mauvais caractère, vers ton repaire sans obscurité. 

lundi 30 décembre 2019

Una foto / Une photo

al meu germà

Una foto en blanc i negre,
minuciosament preparada,
a l'hora del vermut.

Una butaca de cuir, un retrat
del conco admirat, els vidres
oberts de l'antiga biblioteca.

La fusta és fosca i els llums
parpellegen. El teatre s'està
tancant. Som tu i jo. Serens.

Entre noltros, un grapat d'anys
i una càmera callada. Tres, quatre,
deu clixés i tu, assegut davant de

la pantalla. Retallant, tractant,
millorant l'escena sense treure'm
aquest somriure que m'has fet florir.

***

Une photo en noir et blanc,
minutieusement préparée,
à l'heure de l'apéritif.

Un fauteuil en cuir, un portrait
de l'oncle admiré, les vitres
ouvertes de la vieille bibliothèque.

Le bois est sombre et les lumières
vacillent. Le théâtre est sur le point
de fermer. Nous sommes toi et moi. Sereins.

Entre nous, une poignée d'années
et un appareil silencieux. Trois, quatre,
dix clichés et toi, assis devant

l'écran. À recadrer, traiter,
améliorer la scène sans me retirer
ce sourire que tu as fait fleurir en moi.


Fatigue confiée

Qu'elle est belle, ta fatigue,
ta fatigue confiée, le soir,
quand les oiseaux se posent...

La lumière décroît sur la terrasse,
on allume les becs de gaz. Le thé
fume et s'obscurcit au fond de

tasses incertaines. Ton visage est
pâle, tes yeux si beaux appellent
le silence ou la pulpe d'un doigt.

Tu me parles. Lentement. Et le jour
se dévide, de rencontres et de coûts.
J'entends, au loin, le claquement

des tables que l'on plie et des chaises
que l'on range. Il est temps de rentrer.
Tous deux. Et la nuit de convoquer mes contes.

dimanche 29 décembre 2019

Un ami

Un ami est amoureux,
il ne le sait pas encore
et fait glisser le sable

entre ses doigts. Le café
brûle déjà dans la tasse
qui l'attend, entre les

fortifications. Paroles
lentes et portes qui 
s'ouvrent. Partout, l'odeur

entêtante du vieux bois 
imbibé de rancio et d'avenir.

Ton nez

Qui n'écrirait sur ton nez
qui de son arête frotte le 
mien et m'emmène en Orient

sur un tapis volant ? Regards
si proches qu'ils louchent
un brin dans un éclat de rire.

Élégance suprême, ton nez guide
mes vers quand, dans l'obscurité,
mes doigts avides le recherchent

et mes lèvres, qu'il dessine,
en miment la force et la tendresse.
Ton nez ? Ma certitude marocaine.

Abuelas

Pienso en tus dos abuelas,
la flor andaluza y la joya 
judía. Estoy saboreando su voz

que no conozco y me voy inventando,
cuando entorno los ojos. Visos de 
alhelí i olor a azahar fresco.

Fueron ellas las que te dibujaron
la sonrisa, leve y potente, cuando
no sabías hablar y las escuchabas.

En cuisant des lentilles

à mon frérot Alain

Je ne vendrais pas mon âme
pour un plat de lentilles,
ni celle de mon frère aimé

qui descend la France sur
les routes enneigées. Mais
j'aime préparer des lentilles

vertes. Faire blondir l'oignon,
grossièrement tranché, jeter
les légumes secs, tel un marchand

de sable à la petite semaine, étranger
au jour et à la nuit. Les voir danser
dans l'eau brûlante, se gonfler, irisées.

Rajouter de l'eau chaude, pour ne pas 
couper brusquement la lente cuisson.
Introduire le lard ou la ventrèche,

la saucisse trapue de Morteau ou les
fines Montbéliard fumées. Laisser le tout
s'assoupir et boire l'eau, jusqu'au repas.



El descans / Le repos

Primeres hores del matí
d'un diumenge d'hivern.

Al teu costat, dorm el fill,
frec suau de somnis nadalencs.

De l'amic, llegeixes els versos
tendres, t'entren ganes de sol

i de taronja, pell de tarongina.
Tardaràs en aixecar-te. Ja tens

temps i la ciutat, pacient, et vol,
caminant pels carrers ombrívols.

***

Premières heures du matin
d'un dimanche d'hiver.

À côté de toi, ton fils dort,
doux frôlement de rêves de Noël.

De ton ami, tu lis les vers
tendres, l'envie te prend de soleil

et d'orange, ma peau de fleur d'oranger.
Tu tarderas à te lever. Tu as le

temps et la ville, patiente, te veut,
marchant dans ses rues ombreuses.

samedi 28 décembre 2019

Ta ville me manque

Ta ville me manque,
qui fut ma maison blanche

Suspendue à des grues,
elle rêve à ciel ouvert
et de l'océan impur
rejette les cris rauques.

Si ma vie se réduisait
à un billet froissé c'est 
par elle que je me voudrais
empaqueté.

Ta ville me manque
qui sera ma colombe.

Une lettre d'amour

Une lettre d'amour
sur un papier étroit,
une longue missive
qui joue à cloche-pied.

De simples mots d'amour,
des cailloux ronds et chauds,
et entre chaque ligne,
un baiser liquoreux.

Écrite au point du jour,
elle est fille de nuit,
éprise de silence
et de recoins ombreux.

Tu t'y reconnaîtras,
derrière l'écriture
d'une main gauche et libre,

Un noir moucharabieh
et mille taches blanches
le contraste des sons
et des silences mille.

Si tu vas à son terme,
tu me verras dormir,
au bord de son velin,
comme au cœur du sous-bois.

Une lettre d'amour
qui coule et se transforme,
pour bercer tes sommeils
et éloigner la peur.

Ombre

Sur tes lèvres entrouvertes, si claires,
l'ombre mouillée de mon sourire et la vie
toute simple d'une terrasse ensoleillée.

Le solstice s'en va et les jours, peu à
peu, s'allongent. La nuit se vêt d'une
peau de chagrin qui appelle l'aube.

Décembre n'est plus et janvier une éclipse.
Éclisse de rail ou de guitare, j'aime l'union
décalée de l'ancien temps et de l'ère nouvelle.

Un portrait

Comme à travers un bas de soie,
les yeux de Nelly sur Jean et la
brume d'un quai de cinéma,

ton visage fatigué, sur la gauche
incliné. Silence de ta bouche
entrouverte. Paroles retenues.

Renouveau qui lisse tes cheveux
et ombre ton cou. Le temps marque
une pause et la confiance s'installe.


jeudi 26 décembre 2019

Deux femmes

Une mère et sa fille,
devant un écran petit.
Noir et blanc de la nuit.

Sous-titres sous les voix
nasillardes. Silence double.
Spectacle et spectatrices

sans âge. Le soir dépasse
la douleur et l'an neuf, déjà,
se profile. Noël. À deux.

Se taire

Se taire et ne pas écrire.
Écouter. Le silence. Long.
Les phrases brèves. 

La douleur. Duras. Oh Duras.
Extrême. Le divorce d'avec
le bonheur.

Écrire sur le plein,
ce trop plein du vide 
Et t'aimer, t'aimer.

lundi 23 décembre 2019

L'amic poeta / L'ami poète

a P. P.

L'amic llegeix, lentament,
a la llum fosca de l'alba.
El manuscrit viu i tremola.

Faltes, errates, girs rars.
La llengua és de tots i,
a vegades, de ningú.

No corregeix. Suggereix.
Per Nadal, la segona edició
brillarà pels seus ulls.

***
L'ami lit, lentement,
à la lumière sombre de l'aube.
Le manuscrit vit et tremble.

Fautes, errata, tournures étranges.
La langue est à tous et,
parfois, à personne.

Il ne corrige pas, il suggère.
Pour Noël, la deuxième édition
brillera par ses yeux.

Un bulbe en hiver

Sous la terre, durcie 
par le froid, un bulbe.
Oblong, sombre tégument.

Silence, attente, espoir.
Les jours suspendus bientôt
s'allongeront et le soleil

réchauffera la glèbe. Marche
pesante du jardinier, légère
des enfants qui chercheront

les œufs en prenant garde à
la tige claire qui crève la
surface. Une fleur en devenir.

dimanche 22 décembre 2019

À tes côtés

À tes côtés, si loin, si près,
sans crainte d'écrire des vers
tout simples, d'une voix émue,

parfois tremblante mais jamais
défaillante, une voix au goût
de baies et de thé rouge.

Une voix de lentilles et de vin
blanc. Au QG, au Rick's Café,
partout où tes yeux me guident.

À tes côtés, si près, si loin,
en silence, j'écris et te tiens
tendrement la main.

Estate

in memoriam João Gilberto

L'estate non ha creato il nostro amore.
l'affetto fra noi è un frutto d'autunno.
I baci sono mele dal giardino delle

Esperidi. Ti voglio bene e l'inverno
che si apre ha già la forza succosa 
dell'estate prossimo, amore mio.

Un soir d'hiver, à Binibèquer

La nuit s'est faite,
d'un coup et la mer
a avalé l'île.

Esseulé, lancinant,
le phare la rappelle,
dans le silence

des bougainvillées
et des barrières.
Les pas crissent

sur la sable gris
qui fond peu à peu.
Nos mains se serrent.

Et si...

à la mémoire de Gabriel Ferrater

Et si nous laissions retomber
les vieux récipients dans un
fracas sourd, se fendre et

se cabosser ; si nous cherchions
de sonores calebasses pour y
couver notre potage aux yeux

sombres. Ah, le beau breuvage que 
ça ferait, les globes craquant
sous la dent comme des noix

dans la main des enfants vifs
et espiègles. «Da nuces pueris»,
hein, Gabriel, hein, Jordi ?

Et si nous laissions les mots,
nos pauvres mots, disparaître 
dans le fracas du désir...

Danser

Danser avec toi jusqu'à l'aube,
oublier les heures et tourner,
ton odeur dans la mienne.

Laisser les morceaux lents
glisser l'un sur l'autre,
suivre la ligne de basse,

comme ma main droite glisse
dans ton dos. Laisser la soif
nous tenailler. Résister.

Puis partager un Martini rosé,
on the rocks, barré d'une olive.
Feindre de se découvrir pour

la première fois, au bar sous
la lumière crue et froide.
Milieu des années quatre-

vingt dix, un poète déclamant
entre nous. Puis aller sur le
Dance Floor et s'étreindre,

sans hâte. La nuit avait quatre
yeux, elle en aura mille désormais.
Et l'aube peut bien attendre.


Tes deux beaux seins

«Tes deux beaux seins, 
radieux comme des yeux»
cernés dans la peine
et pleins dans la joie.

De Baudelaire, rousse
une mendiante et d'or
son poignard vil.

Sous mes mots, ta voix
se casse et se révolte.

Amour. Pur amour.

Démon

Le diable me donne le tournis,
sa tête dodeline, narquoise,
et ses bras jamais ne fléchissent.

Blessures insidieuses. Passion,
je tombe sur le chemin, me relève.
Éponge sur le visage. Ta main,

tes seins, ces voiles vers l'Attique.
Ton giron de framboise. Au mur, défait,
ces lettres : Daemon, go home!

Dés-ordre

Feu et poix mêlés,
mon onctuosité bouillonne.
Pomme dans le vers.

En ce jour sans nuit

En ce jour sans nuit,
la parole, naguère gelée,
se libère. Glissements

de doigts sur l'écran,
lettres qui se précipitent.
Silence, arrêts, reprises.

Appartement et maison n'ont
plus de murs ni de fenêtres.
Audacieuse, tu me révèles

le feu qui couve sous mes mots,
un lyrisme empesé ou convenu
qui me fait aller du pareil

au même. Brûler mes vaisseaux,
les voir s'abîmer rougeoyant
dans l'encre noire du couchant.

M'y aideras-tu, que je veille
longuement ? Syntaxe dépareillée,
mes galoches sur tes sentiers.

En cette nuit sans jour,
les mots, autrefois ajustés,
égosillent leur moitié.

samedi 21 décembre 2019

Doigts

Tes doigts ont laissé le stylo,
dont ils conservent pourtant
la marque bleue, comme tatouée.

Ils jouent avec tes cheveux,
dans le silence clair d'un 
matin froid. Paix, silence.

Une bouffée de désir t'envahit
et tes doigts glissent vers
d'autres ombres. Odorantes.

Plis qui s'éveillent. La jonque,
lentement déploie sa voile dans
le soleil levant.

Tendre houle de la peau et de
la chair qui, imperceptiblement,
se contracte et convoque le monde.

Le souffle se fait de cuivre.
Grave puis aigu. Les doigts se
tendent et s'abandonnent.

Le sommeil te reprend. Ce fut un 
rêve et le bleu de tes doigts
a coulé dans ta fleur.

Com una finestra / Comme une fenêtre

Com una finestra oberta al món,
s'encén la pantalla. Blanc, negre
i colors. Cants d'ocells i veus

dels coneguts. Cançons i vídeos.
Silenci de l'home que esmorza i beu.
Cafè ristretto, cremant.

Penso en tu. Encara estàs dormint
i m'imagino l'or clar i fred del sol
que es desperta lentament. És un

dissabte de vacances, el primer.
Nadal, enguany, té un sabor rar,
el de la llibertat conscienciada.

Les alumnes han deixat les poesies
al calaix, substituint-les per unes
llaminadures exquisides.

Però el seu cor et ret homenatge.
Les ajudes a fers-se dones i a guanyar-se
la flor de cada dia. Rosa o rosella.

***

Comme une fenêtre ouverte sur le monde,
l'écran s'allume. Noir, blanc
et couleurs. Chants d'oiseaux et voix

familières. Chansons et vidéos.
Silence de l'homme qui déjeune et boit.
Café ristretto, brûlant.

Je pense à toi. Tu es encore dans le sommeil
et j'imagine l'or clair et froid du soleil
qui se réveille lentement. C'est un

samedi de vacances, le premier.
Noël, cette année, a une saveur rare,
celle de la liberté en conscience.

Les élèves ont laissé leurs poésies
dans le tiroir, les remplaçant par des
confiseries exquises.

Mais leur cœur te rend hommage.
Tu les aides à devenir femmes et à gagner
la fleur de chaque jour. Rose ou coquelicot.





vendredi 20 décembre 2019

Vertige

Vertigineux océan, où le soleil 
se suspend un long moment, avant
de basculer dans les flots noirs.

Éclaboussure de sang et d'or, d'où
ne surnagent, squelettiques, que les
flèches des lourdes grues à l'arrêt.

Fenêtres aveugles et pas feutrés,
la ville s'assoupit mais ne dort pas.
Les miroirs au tain moucheté happent

les rares passants et la soupe fume
sur le foyer. Sous la couette, ta peau
a l'onctuosité doucereuse de la mandarine.



Paroles

J'aime Dalida et Delon,
la rencontre forcée dans
un salon de l'aéroport

de Rome. La prise unique.
Leurs voix. Grave l'une,
sautillante l'autre.

Le drame et la vie. Oubliée.
Dalida disparue, Delon vieilli.
Silence et rares souvenirs.

J'aime plus encore ces paroles
qui nous lient et ne mentent pas.
Timides ou chamarrées, chuchotées

ou exaltées. Confidences par delà
les mots de la tribu et notre culture
commune. Richesse inextinguible.



La chair et la viande

Entre plaisir et douleur,
qui connaît la mince
frontière ?

Les âmes s'unissent et
s'embrasent, respectueuses.
Mallarmé avait tort.

La chair n'est pas triste
pour qui délaisse les livres,
un temps, un brin.

La chair a une âme, une moire
où chacun se donne à l'autre.
Les dents mordent et ne blessent.

La viande, elle, est triste sous
la dent qui l'abolit et l'ingère.
Je ne vis que de chair. La tienne.

Ab origine

Anciens peuplements,
étrangers a la langue 
nouvelle : aborigènes.

Beauté des visages,
souplesse de la main
qui écarte la jungle.

Ainsi suis-je, devant
ton origine. Sombres
buissons que les yeux

embrassent et qui veulent
mes doigts et ma bouche.
À l'aide Stéphane Mallarmé

et son étrange palais.
Le bonheur est en rose
et le torrent se tait.

Danse des anémones, les plis
s'ouvrent et se déploient.
Soleil d'Austerlitz.

Blasons : lobe

Sous le gras du pouce,
la droite et la gauche
se confondent.

Gémellité. Lobe petit,
clair et ramassé où
luit, enchâssé, un 

joyau rond, comme un plat
marocain ou un gong balinais.
Mes dents le mordillent

et mes lèvres s'y inspirent.
Tendre tiédeur, jumelle
extérieure de la luette,

Doux contact qui fait taire
les mots. Yeux qui se ferment,
corps qui se tend.

Un blason

Après la longue nuit si claire
de l'âge moyen, la Renaissance
fait voler en éclat les langues

et les corps. Blasons. Du corps 
de l'aimée. J'oublie mes livres.
Marot, Mellin de Saint-Gelais.

Ombilic des limbes, ton nombril.
Longtemps tu, oublié des baisers,
se croyant insensible au souffle

de la vie. Paisibles senteurs et
le cœur qui bat grave. Lointaines
moiteurs, la grenade se fend et

s'ouvre aux rubis cent. Odeurs
de sous-bois et d'espaliers.
Le coing se marie à la giroflée

qui requièrent un langage neuf.
Mes doigts, mon nez, mes lèvres.
Grammaire de l'instant.

Sous tes seins

Sous tes seins, ma main.
Silence des doigts gourds
qui tiédissent et renaissent.

Ton cœur, grave et lent,
les tend et les détend. Au loin,
la Callas chante Norma.

Ma main se serre sur l'orbe tendre
de mes nuits. Amour, délice et orgue.
Pluriel qui féminise et singulier

qui me dit. Les paupières sont rideaux,
un paravent de soie grège qui bat.
Je m'endors, me suis-tu ?

Un thé aux fruits rouges

Un thé aux fruits rouges,
brûlant, dans son gobelet
de papier et tes doigts

qui le serrent, rougeoyant.
Silence de la salle de classe.
Les élèves pépient ailleurs.

Un quart d'heure, pas plus,
avant que ne sonne le jingle.
Tu m'appelles, je roule lentement

en Languedoc. Ma langue se mêle
à la tienne. Baudelaire nous voit,
nous sent, habite nos propos.

Je ralentis encore, le thé refroidit
dans le gobelet où je vois le rouge
de tes lèvres. Le désir, silencieux,

nous assaille. Les mots reviennent,
légers, les corps tremblent, se veulent,
ma main glisse sur ta nuque.

mardi 17 décembre 2019

J'ai parlé

J'ai parlé au vent, ce soir,
je lui ai demandé de suspendre
son souffle glacé et de me laisser

inventer ta journée, dans la froidure
de l'Atlas. Tes joues rosissant sous
la bise, le bout de tes doigts givré,

ton sourire s'estompant derrière mes
verres embués. Alors, serein, repus,
je lui ai demandé de se lever un peu,

sans forcir, en rafales lentes. Il m'a
écouté. Mes oreilles ont entendu ta voix
et ton parfum d'oranges m'a soudain envahi.

Una dona bateria / Une femme batteuse

Fons blanc, enlluernador,
esclat i lluïssor de gong,
molí de braços imparables.

Se la veu com aliena al grup.
I tan present, però. En porta
el ritme que ens arriba al cor.

Tres minuts i mig. Un ou passat
per aigua. I l'amor que se'm creix
per una dona bateria. Música musa.

***

Fond blanc, aveuglant,
brillance et éclat de gong,
moulin aux bras imparables.

On la voit comme étrangère au groupe.
Et si présente, cependant. Elle en porte
le rythme qui nous arrive dans le cœur.

Trois minutes et demie. Un œuf à la coque.
Et l'amour qui grandit en moi
pour une femme batteuse. Musicienne muse.


lundi 16 décembre 2019

Entre illa i Barcelona

a I. i A.

Entre ta filla i la meva,
la sal de la distància minvant.
Dos somriures, una llengua.

Entre Barcelona i l'illa,
el gruix de les ones i la
foscor de la sorra. Silenci.

Somnis d'hivern i goig d'estiu.
Una llengua, dos somriures.
I tants de velers que ens esperen.

***

Entre ta fille et la mienne,
le sel de la distance qui diminue.
Deux sourires, une langue.

Entre Barcelone et l'île,
l'épaisseur des vagues et
l'obscurité du sable. Silence.

Rêves d'hiver et joie d'été.
Une langue, deux sourires.
Et tant de voiliers qui nous attendent.

Une autre route, la nôtre

Non pas cette route rectiligne,
envahie de camions, entre neige
et désert, sans autre conversation

que la radio forte et lancinante.
Non. Une route sinueuse, de bord
de mer, une route si basse que le 

sel y imprime sa marque en séchant.
Une route étroite et rapiécée, avec
ses aires impromptues, le déjeuner,

coffre relevé, à même l'herbe ombreuse.
Toi et moi, dans une voiture petite,
vitres baissées, la chaleur étouffant

le silence. Nul but, nulle étape qui
ne soit improvisée. Une heure, ou deux.
Une semaine. Une vie. Notre vie.

Euuuuuh

Cette voyelle qu'ignorent le catalan et le castillan
et que moi, homme du midi, je ne prononce pas comme
je le devrais...si à la langue d’oïl je m'asservissais.

Ce souffle de vie et de doute, cette merveilleuse
hésitation où je sens toute ton âme et le soir qui,
peu à peu, se fait, sur la récente cité.

Une interjection qui interjette si peu mais dit tant,
sous entend, appelle à l'amour et à la déraison.
Tes lèvres s'entrouvrent et ma langue piaffe pour

te tirer les vers du nez, d'un interminable baiser.
Que la vie nous offre encore, pendant des décennies,
tes «euh», comme un hommage à son souffle animé.

Tu m'as appris

Tu m'as appris le mètre.
Bref, blanc, sans nulle ride.
Le vers comme un hommage,
une bouffée d'amour.

Réunis en bouquets
de trois ou quatre vers,
mes chers hexasyllabes
exhalent nos pensées.

Qu'importe la distance,
l'eau noire du détroit,
quand je t'écris, tu vis,
en étreignant ma main.

Le silence se fait,
de lentilles brûlantes
et d'escaliers ombreux.
Ton rire est ma baguette,

un orchestre de chambre.
Le rideau des paupières,
une basse qui bat
et ton corps dans mes bras.

De l'argan sous mes doigts,
tes ongles qui me griffent,
ton souffle, en cadence,
qui me convoque enfin.

vendredi 13 décembre 2019

Une pluie et une rencontre

Une pluie froide et noire.
Aveugle, insistante.
Sans raison.

Et l'orange vif de tes baisers,
rêvés, au-delà du détroit,
dans la clarté d'un ciel

si bleu et pareillement froid,
guettant de janvier la rencontre
soudaine et clairvoyante.

Traduire

Traduire dès le matin.
Sur l'écran, poser côte
à côte la source dense

et la cible blanche.
Interroger d'abord ses mots,
appris de la bouche de 

la mère puis les épais
dictionnaires, évanescents
aujourd'hui.

Ne pas compter les heures.
Lever l'oreille parfois.
Et écouter le vent.

Fragments

Ne cherche pas le fragment,
sois le fragment.
Au bords hasardeux

et à la substance pleine.
L'univers d'un baiser,
découpé dans la bouche.

Lire Laâbi

Lire Laâbi, dans son autre langue,
comme un miroir trompeur,
délicieusement.

Y découvrir le souffle et le rauque
premiers, la fabulation du désert,
jamais son anticipation.

Se laisser guider par une sagesse
de mots et de rythme, si peu
de mètres.

Parvenir enfin à l'économie, quitter
les signes noirs pour la page sépia
et veloutée.

jeudi 12 décembre 2019

Genoux

Comme pétrifiés par le plaisir
qui s'annonce et te renverse,
tes genoux ne courent pas.

Ils ne s'écorchent plus comme
quand tu jouais sur le terrain
de craie sèche du 4ème Zouave.

Ils sont doux et lisses. Pleins
d'un nectar qui jamais ne dit
son nom mais chante l'après-midi

quand le soleil décroît. Tes jambes
alors sont pirogues et le fleuve
jaunit. Que viennent les haleurs

et qu'ils prennent un ferme appui
sur tes genoux mes amants. La mer,
dès lors, ne sera plus loin.

Une image oubliée

à A. P. R.

Le lexique amoureux
d'Adonis en six pieds,
ah la belle gageure !

Et pourtant me voilà,
recueillant d'Andrea
ce volume serré

d'une typologie
des amours incertaines,
au tournant du chemin. 

Très sages tercets ou
calligrammes osés,
ses mots en éventail,

Adonis de l'amour
livre une des clés
puis m'invite à écrire.


Bruits

Presque inaudibles sur le fond
grave, des bruits comme du gravier
sous le pied du voleur précautionneux.

Tu n'en dis rien et meuble l'échange 
de rires étouffés. Je tends l'oreille
et te surprends. Sous l'œil impassible

du chat Maxou, tu goûtes, sans ciller,
telle une ventriloque de la secrète.
Je m'en repais et te souris, silencieux.

Peau-aime

Comment ne pas aimer ta peau,
au matin, perlée de senteurs
que le drap, indécent, exhale ?

Comment ne pas y écrire, sans
encre ni poinçon, le plus doux
des poèmes, en vers libres et

blancs ? Comment ne pas résister
au plaisir de te confier, au creux
de l'oreille, une interminable

histoire dont tu serais l'héroïne
interstellaire puis, une goutte
tombant de mes lèvres sur ton

lobe joli, me rapprocher de ton
cou me taire et laisser ma peau
parler, tout bas, à la tienne ?

mercredi 11 décembre 2019

Tu as pleuré

Tu as pleuré, à midi,
dans la clarté du jour,
après le plaisir,

dans le léger frisson
qui t'a rendue au monde.
La pièce avait fraîchi,

les chats te regardaient.
Au loin, la ville bruissait,
lente, gauche et océane.

Tu as pleuré, ce midi,
puis tu t'en es allée
toute libérée du désir.