L'ombra fugissera no em guanyarà, seguiré el teu sol i caminaré a recer del mal geni, cap al cau sense foscor. *** L'ombre fugace ne me gagnera pas, je suivrai ton soleil et marcherai à l'abri de mon mauvais caractère, vers ton repaire sans obscurité.
al meu germà Una foto en blanc i negre, minuciosament preparada, a l'hora del vermut. Una butaca de cuir, un retrat del conco admirat, els vidres oberts de l'antiga biblioteca. La fusta és fosca i els llums parpellegen. El teatre s'està tancant. Som tu i jo. Serens. Entre noltros, un grapat d'anys i una càmera callada. Tres, quatre, deu clixés i tu, assegut davant de la pantalla. Retallant, tractant, millorant l'escena sense treure'm aquest somriure que m'has fet florir. *** Une photo en noir et blanc, minutieusement préparée, à l'heure de l'apéritif. Un fauteuil en cuir, un portrait de l'oncle admiré, les vitres ouvertes de la vieille bibliothèque. Le bois est sombre et les lumières vacillent. Le théâtre est sur le point de fermer. Nous sommes toi et moi. Sereins. Entre nous, une poignée d'années et un appareil silencieux. Trois, quatre, dix clichés et toi, assis devant l'écran. À recadrer, traiter, améliorer la scène sans me retirer ce sourire que tu as fait fleurir en moi.
Qu'elle est belle, ta fatigue, ta fatigue confiée, le soir, quand les oiseaux se posent... La lumière décroît sur la terrasse, on allume les becs de gaz. Le thé fume et s'obscurcit au fond de tasses incertaines. Ton visage est pâle, tes yeux si beaux appellent le silence ou la pulpe d'un doigt. Tu me parles. Lentement. Et le jour se dévide, de rencontres et de coûts. J'entends, au loin, le claquement des tables que l'on plie et des chaises que l'on range. Il est temps de rentrer. Tous deux. Et la nuit de convoquer mes contes.
Un ami est amoureux, il ne le sait pas encore et fait glisser le sable entre ses doigts. Le café brûle déjà dans la tasse qui l'attend, entre les fortifications. Paroles lentes et portes qui s'ouvrent. Partout, l'odeur entêtante du vieux bois imbibé de rancio et d'avenir.
Qui n'écrirait sur ton nez qui de son arête frotte le mien et m'emmène en Orient sur un tapis volant ? Regards si proches qu'ils louchent un brin dans un éclat de rire. Élégance suprême, ton nez guide mes vers quand, dans l'obscurité, mes doigts avides le recherchent et mes lèvres, qu'il dessine, en miment la force et la tendresse. Ton nez ? Ma certitude marocaine.
Pienso en tus dos abuelas, la flor andaluza y la joya judía. Estoy saboreando su voz que no conozco y me voy inventando, cuando entorno los ojos. Visos de alhelí i olor a azahar fresco. Fueron ellas las que te dibujaron la sonrisa, leve y potente, cuando no sabías hablar y las escuchabas.
à mon frérot Alain Je ne vendrais pas mon âme pour un plat de lentilles, ni celle de mon frère aimé qui descend la France sur les routes enneigées. Mais j'aime préparer des lentilles vertes. Faire blondir l'oignon, grossièrement tranché, jeter les légumes secs, tel un marchand de sable à la petite semaine, étranger au jour et à la nuit. Les voir danser dans l'eau brûlante, se gonfler, irisées. Rajouter de l'eau chaude, pour ne pas couper brusquement la lente cuisson. Introduire le lard ou la ventrèche, la saucisse trapue de Morteau ou les fines Montbéliard fumées. Laisser le tout s'assoupir et boire l'eau, jusqu'au repas.
Primeres hores del matí d'un diumenge d'hivern. Al teu costat, dorm el fill, frec suau de somnis nadalencs. De l'amic, llegeixes els versos tendres, t'entren ganes de sol i de taronja, pell de tarongina. Tardaràs en aixecar-te. Ja tens temps i la ciutat, pacient, et vol, caminant pels carrers ombrívols. *** Premières heures du matin d'un dimanche d'hiver. À côté de toi, ton fils dort, doux frôlement de rêves de Noël. De ton ami, tu lis les vers tendres, l'envie te prend de soleil et d'orange, ma peau de fleur d'oranger. Tu tarderas à te lever. Tu as le temps et la ville, patiente, te veut, marchant dans ses rues ombreuses.
Ta ville me manque, qui fut ma maison blanche Suspendue à des grues, elle rêve à ciel ouvert et de l'océan impur rejette les cris rauques. Si ma vie se réduisait à un billet froissé c'est par elle que je me voudrais empaqueté. Ta ville me manque qui sera ma colombe.
Une lettre d'amour sur un papier étroit, une longue missive qui joue à cloche-pied. De simples mots d'amour, des cailloux ronds et chauds, et entre chaque ligne, un baiser liquoreux. Écrite au point du jour, elle est fille de nuit, éprise de silence et de recoins ombreux. Tu t'y reconnaîtras, derrière l'écriture d'une main gauche et libre, Un noir moucharabieh et mille taches blanches le contraste des sons et des silences mille. Si tu vas à son terme, tu me verras dormir, au bord de son velin, comme au cœur du sous-bois. Une lettre d'amour qui coule et se transforme, pour bercer tes sommeils et éloigner la peur.
Sur tes lèvres entrouvertes, si claires, l'ombre mouillée de mon sourire et la vie toute simple d'une terrasse ensoleillée. Le solstice s'en va et les jours, peu à peu, s'allongent. La nuit se vêt d'une peau de chagrin qui appelle l'aube. Décembre n'est plus et janvier une éclipse. Éclisse de rail ou de guitare, j'aime l'union décalée de l'ancien temps et de l'ère nouvelle.
Comme à travers un bas de soie, les yeux de Nelly sur Jean et la brume d'un quai de cinéma, ton visage fatigué, sur la gauche incliné. Silence de ta bouche entrouverte. Paroles retenues. Renouveau qui lisse tes cheveux et ombre ton cou. Le temps marque une pause et la confiance s'installe.
a P. P. L'amic llegeix, lentament, a la llum fosca de l'alba. El manuscrit viu i tremola. Faltes, errates, girs rars. La llengua és de tots i, a vegades, de ningú. No corregeix. Suggereix. Per Nadal, la segona edició brillarà pels seus ulls. *** L'ami lit, lentement, à la lumière sombre de l'aube. Le manuscrit vit et tremble. Fautes, errata, tournures étranges. La langue est à tous et, parfois, à personne. Il ne corrige pas, il suggère. Pour Noël, la deuxième édition brillera par ses yeux.
Sous la terre, durcie par le froid, un bulbe. Oblong, sombre tégument. Silence, attente, espoir. Les jours suspendus bientôt s'allongeront et le soleil réchauffera la glèbe. Marche pesante du jardinier, légère des enfants qui chercheront les œufs en prenant garde à la tige claire qui crève la surface. Une fleur en devenir.
À tes côtés, si loin, si près, sans crainte d'écrire des vers tout simples, d'une voix émue, parfois tremblante mais jamais défaillante, une voix au goût de baies et de thé rouge. Une voix de lentilles et de vin blanc. Au QG, au Rick's Café, partout où tes yeux me guident. À tes côtés, si près, si loin, en silence, j'écris et te tiens tendrement la main.
in memoriam João Gilberto L'estate non ha creato il nostro amore. l'affetto fra noi è un frutto d'autunno. I baci sono mele dal giardino delle Esperidi. Ti voglio bene e l'inverno che si apre ha già la forza succosa dell'estate prossimo, amore mio.
La nuit s'est faite, d'un coup et la mer a avalé l'île. Esseulé, lancinant, le phare la rappelle, dans le silence des bougainvillées et des barrières. Les pas crissent sur la sable gris qui fond peu à peu. Nos mains se serrent.
à la mémoire de Gabriel Ferrater Et si nous laissions retomber les vieux récipients dans un fracas sourd, se fendre et se cabosser ; si nous cherchions de sonores calebasses pour y couver notre potage aux yeux sombres. Ah, le beau breuvage que ça ferait, les globes craquant sous la dent comme des noix dans la main des enfants vifs et espiègles. «Da nuces pueris», hein, Gabriel, hein, Jordi ? Et si nous laissions les mots, nos pauvres mots, disparaître dans le fracas du désir...
Danser avec toi jusqu'à l'aube, oublier les heures et tourner, ton odeur dans la mienne. Laisser les morceaux lents glisser l'un sur l'autre, suivre la ligne de basse, comme ma main droite glisse dans ton dos. Laisser la soif nous tenailler. Résister. Puis partager un Martini rosé, on the rocks, barré d'une olive. Feindre de se découvrir pour la première fois, au bar sous la lumière crue et froide. Milieu des années quatre- vingt dix, un poète déclamant entre nous. Puis aller sur le Dance Floor et s'étreindre, sans hâte. La nuit avait quatre yeux, elle en aura mille désormais. Et l'aube peut bien attendre.
«Tes deux beaux seins, radieux comme des yeux» cernés dans la peine et pleins dans la joie. De Baudelaire, rousse une mendiante et d'or son poignard vil. Sous mes mots, ta voix se casse et se révolte. Amour. Pur amour.
Le diable me donne le tournis, sa tête dodeline, narquoise, et ses bras jamais ne fléchissent. Blessures insidieuses. Passion, je tombe sur le chemin, me relève. Éponge sur le visage. Ta main, tes seins, ces voiles vers l'Attique. Ton giron de framboise. Au mur, défait, ces lettres : Daemon, go home!
En ce jour sans nuit, la parole, naguère gelée, se libère. Glissements de doigts sur l'écran, lettres qui se précipitent. Silence, arrêts, reprises. Appartement et maison n'ont plus de murs ni de fenêtres. Audacieuse, tu me révèles le feu qui couve sous mes mots, un lyrisme empesé ou convenu qui me fait aller du pareil au même. Brûler mes vaisseaux, les voir s'abîmer rougeoyant dans l'encre noire du couchant. M'y aideras-tu, que je veille longuement ? Syntaxe dépareillée, mes galoches sur tes sentiers. En cette nuit sans jour, les mots, autrefois ajustés, égosillent leur moitié.
Tes doigts ont laissé le stylo, dont ils conservent pourtant la marque bleue, comme tatouée. Ils jouent avec tes cheveux, dans le silence clair d'un matin froid. Paix, silence. Une bouffée de désir t'envahit et tes doigts glissent vers d'autres ombres. Odorantes. Plis qui s'éveillent. La jonque, lentement déploie sa voile dans le soleil levant. Tendre houle de la peau et de la chair qui, imperceptiblement, se contracte et convoque le monde. Le souffle se fait de cuivre. Grave puis aigu. Les doigts se tendent et s'abandonnent. Le sommeil te reprend. Ce fut un rêve et le bleu de tes doigts a coulé dans ta fleur.
Com una finestra oberta al món, s'encén la pantalla. Blanc, negre i colors. Cants d'ocells i veus dels coneguts. Cançons i vídeos. Silenci de l'home que esmorza i beu. Cafè ristretto, cremant. Penso en tu. Encara estàs dormint i m'imagino l'or clar i fred del sol que es desperta lentament. És un dissabte de vacances, el primer. Nadal, enguany, té un sabor rar, el de la llibertat conscienciada. Les alumnes han deixat les poesies al calaix, substituint-les per unes llaminadures exquisides. Però el seu cor et ret homenatge. Les ajudes a fers-se dones i a guanyar-se la flor de cada dia. Rosa o rosella. *** Comme une fenêtre ouverte sur le monde, l'écran s'allume. Noir, blanc et couleurs. Chants d'oiseaux et voix familières. Chansons et vidéos. Silence de l'homme qui déjeune et boit. Café ristretto, brûlant. Je pense à toi. Tu es encore dans le sommeil et j'imagine l'or clair et froid du soleil qui se réveille lentement. C'est un samedi de vacances, le premier. Noël, cette année, a une saveur rare, celle de la liberté en conscience. Les élèves ont laissé leurs poésies dans le tiroir, les remplaçant par des confiseries exquises. Mais leur cœur te rend hommage. Tu les aides à devenir femmes et à gagner la fleur de chaque jour. Rose ou coquelicot.
Vertigineux océan, où le soleil se suspend un long moment, avant de basculer dans les flots noirs. Éclaboussure de sang et d'or, d'où ne surnagent, squelettiques, que les flèches des lourdes grues à l'arrêt. Fenêtres aveugles et pas feutrés, la ville s'assoupit mais ne dort pas. Les miroirs au tain moucheté happent les rares passants et la soupe fume sur le foyer. Sous la couette, ta peau a l'onctuosité doucereuse de la mandarine.
J'aime Dalida et Delon, la rencontre forcée dans un salon de l'aéroport de Rome. La prise unique. Leurs voix. Grave l'une, sautillante l'autre. Le drame et la vie. Oubliée. Dalida disparue, Delon vieilli. Silence et rares souvenirs. J'aime plus encore ces paroles qui nous lient et ne mentent pas. Timides ou chamarrées, chuchotées ou exaltées. Confidences par delà les mots de la tribu et notre culture commune. Richesse inextinguible.
Entre plaisir et douleur, qui connaît la mince frontière ? Les âmes s'unissent et s'embrasent, respectueuses. Mallarmé avait tort. La chair n'est pas triste pour qui délaisse les livres, un temps, un brin. La chair a une âme, une moire où chacun se donne à l'autre. Les dents mordent et ne blessent. La viande, elle, est triste sous la dent qui l'abolit et l'ingère. Je ne vis que de chair. La tienne.
Anciens peuplements, étrangers a la langue nouvelle : aborigènes. Beauté des visages, souplesse de la main qui écarte la jungle. Ainsi suis-je, devant ton origine. Sombres buissons que les yeux embrassent et qui veulent mes doigts et ma bouche. À l'aide Stéphane Mallarmé et son étrange palais. Le bonheur est en rose et le torrent se tait. Danse des anémones, les plis s'ouvrent et se déploient. Soleil d'Austerlitz.
Sous le gras du pouce, la droite et la gauche se confondent. Gémellité. Lobe petit, clair et ramassé où luit, enchâssé, un joyau rond, comme un plat marocain ou un gong balinais. Mes dents le mordillent et mes lèvres s'y inspirent. Tendre tiédeur, jumelle extérieure de la luette, Doux contact qui fait taire les mots. Yeux qui se ferment, corps qui se tend.
Après la longue nuit si claire de l'âge moyen, la Renaissance fait voler en éclat les langues et les corps. Blasons. Du corps de l'aimée. J'oublie mes livres. Marot, Mellin de Saint-Gelais. Ombilic des limbes, ton nombril. Longtemps tu, oublié des baisers, se croyant insensible au souffle de la vie. Paisibles senteurs et le cœur qui bat grave. Lointaines moiteurs, la grenade se fend et s'ouvre aux rubis cent. Odeurs de sous-bois et d'espaliers. Le coing se marie à la giroflée qui requièrent un langage neuf. Mes doigts, mon nez, mes lèvres. Grammaire de l'instant.
Sous tes seins, ma main. Silence des doigts gourds qui tiédissent et renaissent. Ton cœur, grave et lent, les tend et les détend. Au loin, la Callas chante Norma. Ma main se serre sur l'orbe tendre de mes nuits. Amour, délice et orgue. Pluriel qui féminise et singulier qui me dit. Les paupières sont rideaux, un paravent de soie grège qui bat. Je m'endors, me suis-tu ?
Un thé aux fruits rouges, brûlant, dans son gobelet de papier et tes doigts qui le serrent, rougeoyant. Silence de la salle de classe. Les élèves pépient ailleurs. Un quart d'heure, pas plus, avant que ne sonne le jingle. Tu m'appelles, je roule lentement en Languedoc. Ma langue se mêle à la tienne. Baudelaire nous voit, nous sent, habite nos propos. Je ralentis encore, le thé refroidit dans le gobelet où je vois le rouge de tes lèvres. Le désir, silencieux, nous assaille. Les mots reviennent, légers, les corps tremblent, se veulent, ma main glisse sur ta nuque.
J'ai parlé au vent, ce soir, je lui ai demandé de suspendre son souffle glacé et de me laisser inventer ta journée, dans la froidure de l'Atlas. Tes joues rosissant sous la bise, le bout de tes doigts givré, ton sourire s'estompant derrière mes verres embués. Alors, serein, repus, je lui ai demandé de se lever un peu, sans forcir, en rafales lentes. Il m'a écouté. Mes oreilles ont entendu ta voix et ton parfum d'oranges m'a soudain envahi.
Fons blanc, enlluernador, esclat i lluïssor de gong, molí de braços imparables. Se la veu com aliena al grup. I tan present, però. En porta el ritme que ens arriba al cor. Tres minuts i mig. Un ou passat per aigua. I l'amor que se'm creix per una dona bateria. Música musa. *** Fond blanc, aveuglant, brillance et éclat de gong, moulin aux bras imparables. On la voit comme étrangère au groupe. Et si présente, cependant. Elle en porte le rythme qui nous arrive dans le cœur. Trois minutes et demie. Un œuf à la coque. Et l'amour qui grandit en moi pour une femme batteuse. Musicienne muse.
a I. i A. Entre ta filla i la meva, la sal de la distància minvant. Dos somriures, una llengua. Entre Barcelona i l'illa, el gruix de les ones i la foscor de la sorra. Silenci. Somnis d'hivern i goig d'estiu. Una llengua, dos somriures. I tants de velers que ens esperen. *** Entre ta fille et la mienne, le sel de la distance qui diminue. Deux sourires, une langue. Entre Barcelone et l'île, l'épaisseur des vagues et l'obscurité du sable. Silence. Rêves d'hiver et joie d'été. Une langue, deux sourires. Et tant de voiliers qui nous attendent.
Non pas cette route rectiligne, envahie de camions, entre neige et désert, sans autre conversation que la radio forte et lancinante. Non. Une route sinueuse, de bord de mer, une route si basse que le sel y imprime sa marque en séchant. Une route étroite et rapiécée, avec ses aires impromptues, le déjeuner, coffre relevé, à même l'herbe ombreuse. Toi et moi, dans une voiture petite, vitres baissées, la chaleur étouffant le silence. Nul but, nulle étape qui ne soit improvisée. Une heure, ou deux. Une semaine. Une vie. Notre vie.
Cette voyelle qu'ignorent le catalan et le castillan et que moi, homme du midi, je ne prononce pas comme je le devrais...si à la langue d’oïl je m'asservissais. Ce souffle de vie et de doute, cette merveilleuse hésitation où je sens toute ton âme et le soir qui, peu à peu, se fait, sur la récente cité. Une interjection qui interjette si peu mais dit tant, sous entend, appelle à l'amour et à la déraison. Tes lèvres s'entrouvrent et ma langue piaffe pour te tirer les vers du nez, d'un interminable baiser. Que la vie nous offre encore, pendant des décennies, tes «euh», comme un hommage à son souffle animé.
Tu m'as appris le mètre. Bref, blanc, sans nulle ride. Le vers comme un hommage, une bouffée d'amour. Réunis en bouquets de trois ou quatre vers, mes chers hexasyllabes exhalent nos pensées. Qu'importe la distance, l'eau noire du détroit, quand je t'écris, tu vis, en étreignant ma main. Le silence se fait, de lentilles brûlantes et d'escaliers ombreux. Ton rire est ma baguette, un orchestre de chambre. Le rideau des paupières, une basse qui bat et ton corps dans mes bras. De l'argan sous mes doigts, tes ongles qui me griffent, ton souffle, en cadence, qui me convoque enfin.
Une pluie froide et noire. Aveugle, insistante. Sans raison. Et l'orange vif de tes baisers, rêvés, au-delà du détroit, dans la clarté d'un ciel si bleu et pareillement froid, guettant de janvier la rencontre soudaine et clairvoyante.
Traduire dès le matin. Sur l'écran, poser côte à côte la source dense et la cible blanche. Interroger d'abord ses mots, appris de la bouche de la mère puis les épais dictionnaires, évanescents aujourd'hui. Ne pas compter les heures. Lever l'oreille parfois. Et écouter le vent.
Lire Laâbi, dans son autre langue, comme un miroir trompeur, délicieusement. Y découvrir le souffle et le rauque premiers, la fabulation du désert, jamais son anticipation. Se laisser guider par une sagesse de mots et de rythme, si peu de mètres. Parvenir enfin à l'économie, quitter les signes noirs pour la page sépia et veloutée.
Comme pétrifiés par le plaisir qui s'annonce et te renverse, tes genoux ne courent pas. Ils ne s'écorchent plus comme quand tu jouais sur le terrain de craie sèche du 4ème Zouave. Ils sont doux et lisses. Pleins d'un nectar qui jamais ne dit son nom mais chante l'après-midi quand le soleil décroît. Tes jambes alors sont pirogues et le fleuve jaunit. Que viennent les haleurs et qu'ils prennent un ferme appui sur tes genoux mes amants. La mer, dès lors, ne sera plus loin.
à A. P. R. Le lexique amoureux d'Adonis en six pieds, ah la belle gageure ! Et pourtant me voilà, recueillant d'Andrea ce volume serré d'une typologie des amours incertaines, au tournant du chemin. Très sages tercets ou calligrammes osés, ses mots en éventail, Adonis de l'amour livre une des clés puis m'invite à écrire.
Presque inaudibles sur le fond grave, des bruits comme du gravier sous le pied du voleur précautionneux. Tu n'en dis rien et meuble l'échange de rires étouffés. Je tends l'oreille et te surprends. Sous l'œil impassible du chat Maxou, tu goûtes, sans ciller, telle une ventriloque de la secrète. Je m'en repais et te souris, silencieux.
Comment ne pas aimer ta peau, au matin, perlée de senteurs que le drap, indécent, exhale ? Comment ne pas y écrire, sans encre ni poinçon, le plus doux des poèmes, en vers libres et blancs ? Comment ne pas résister au plaisir de te confier, au creux de l'oreille, une interminable histoire dont tu serais l'héroïne interstellaire puis, une goutte tombant de mes lèvres sur ton lobe joli, me rapprocher de ton cou me taire et laisser ma peau parler, tout bas, à la tienne ?
Tu as pleuré, à midi, dans la clarté du jour, après le plaisir, dans le léger frisson qui t'a rendue au monde. La pièce avait fraîchi, les chats te regardaient. Au loin, la ville bruissait, lente, gauche et océane. Tu as pleuré, ce midi, puis tu t'en es allée toute libérée du désir.