vendredi 17 février 2017

El viatge amb tren

a na Caterina i en Pere

Diuen que és un metro,
però no m'ho crec.

Vaig sortir de Son Sardina,
amb dificultat, no sabía

com funcionava el bitllet
tou d'anada i tornada que

tenia entre les mans. M'ajudà
un home gran. Li vaig preguntar

en català, pensava que jo era anglès.
Un comercial jubilat que em contà

part de la seva vida. Foren minuts
densos de confiança mútua. Acabàrem

en l'estació intermodal de la plaça
de ses portes pintades. Vida. Pura.

Todos los puentes

«Todos los puentes
quieren un SUICIDA»

No saqué foto y pasé
de largo. No me gusta

lo perentorio. Prefiero
otros puentes, el Mirabeau
de Apollinaire, promesa

de amor fugaz y definitivo.
Mis ríos son profundos, cargados
de tantos besos y caricias.

Ya sé que al final «darán a la mar
que es el morir». Pero la sal que

le ofrezcan quiero que sea de lágrimas
de gozo y goce, y no de amargo pesar.

Gémellité

Impression curieuse et qui jamais
ne s'efface, de jour comme de nuit.

Nos corps épousés, imbriqués, soudain
désarticulés. Je m'étends en t'aimant.

et je ne sais plus quelle est ta peau
ni quelle est la mienne. La caresse

te tend et me démultiplie. Hoquet de mots
et de vie. Ne pas se blottir, surtout. S'aimer.

jeudi 16 février 2017

Faire salon

Nulle bergère tendue de toile de Jouy,
ni de parquet ciré, notre salon est à
distance, chacun dessous la couette

à attendre de l'autre le mot doux.
Le chat sur tes genoux, trois langues
dans mes images, nous alternons avant

de nous endormir. Sais-tu que l'on prépare
l'agneau ici comme dans tes rêves et que son
nom exprime le cri que l'on imite ? Mais voici

que le sommeil est trop fort et que les mots
disparaissent au profit de clichés d'un autre
temps où, à notre façon, nous aurions devisé.

Un homme parmi d'autres

Un homme me regarde,
élégant, bien mis de
sa personne. Il me voit

écrire, passer les pages,
jongler entre plusieurs
langues. Je sens qu'il

voudrait entrer en contact
dans cette ville d'hiver
qui compte peu de visiteurs

étrangers. Soudain, il se lève,
prend ses béquilles et gagne
la sortie. Il a une jambe en moins.

mercredi 15 février 2017

Un autre livre

Ferme les yeux et rends-toi à tâtons
dans le couloir étroit, tu y trouveras
un livre mince, au pages mille fois tournées.

Ouvre-le au hasard, referme-le, fais jouer
les feuilles sous tes doigts comme autant
de cartes à jouer. Invente-toi le trèfle

et le pique, l'as gracile et le fourbe
valet. Puis, quand tu en auras assez, ouvre
les yeux d'un coup, d'un seul. Sous les mots

du regard mille fois balayés, tu liras les miens
comme une rafale de pluie sur le carreau d'été.
Je t'aime, te le crie, puis, comme les gouttes,

je m'enfuis.

Canvis

a Tomeu Arbona, amb tot el meu afecte

M'agraden els canvis. Sorprenents, determinants,
definitius. Porto una trentena d'anys de professor
sense avorrir-me, mai. De tan distints com són

els alumnes. Amb ells, per a ells, he après molt,
i sé ben poc. Tres llengües entre mil. Un ram
de segles, de noms i de mans. Ara, sento 

la necessitat d'aprendre una part del que no sé,
que m'ensenyin d'altres, sense cap exigència de
graus i títols. Els meus mestres d'ara són «harina

de otro costal». El Paco que m'ofereix el nom dels
arbres dels avantpassats. El Tomeu i sa dóna,
cadascú en el seu petit univers complementari,

que em desvelen l'art i la manera que, unes hores 
més tard, na Caterina desenvoluparà literariament. 
He trigat anys en arribar al seus ports fecunds. 

El més recent, Tomeu obra al cor antic de la ciutat, 
més enllà de ses rambles sense fi. M'acull en un despatx
ample, de pedres seques, al forn, la bòveda gòtica

d'un forn antic. Sobre la taula, molts llibres diuen
la funció del lloc. S'hi treballa la farina de blat
amb aigua i passió i s'hi cou, a foc lent, una sàvia

arqueologia de la terra, dels seus oficis, memòria i sang.
Ja coneixia foetes que escriuen versos amb les seves fotos.
En Tomeu és un coueta que cou versos. D'ell aprendré molt.



Aeroports

M'agraden els llocs anònims.
Estacions, aeroports, amb 
tanta gent capcot a qui

busco somriures amagats.
Milers d'individus, res més
allunyat d'una multitud informe.

Cadascú d'elles, d'ells, és un món
i no els tornaré a veure. M'agraden
els aeroports. Allí escric a mos amors.

Heures

Onze heures dix.
Une moustache
de gendarme
à l'envers.

Ou un sourire
faussé. Qu'importe.
Ça fait des mois
que la pendule,

s'est arrêtée 
de tourner et
qu'elle te regarde
comme le chat pie

qui pèse sur mes cuisses.
Heures de son, légères
comme la vie et dont
on perd rapidement

le compte. Une vie
dans un mouchoir
qui embaume
durablement.

Pourquoi la laisses-tu
au mur, pourquoi ne la 
remontes-tu pas ? - Pour
te faire bisquer, nigaud,

serais-tu capable de me dire.
Moi, je l'ai gravée dans mes
rétines et entre ses deux
aiguilles, je me balance.

Desalmohadado

Me quitaste la almohada
de encima. A aquellas
alturas de la noche,

me había dormido hondo,
soñando con las angelitas.
Te metiste a mi lado,

nos acariciamos, la noche
sabía a aurora y naranja
recién cortada, rezumando

zumo, vida y sangre. Dejamos
de hablar, dejamos la palabra
a las manos, a las piernas,

a las bocas hambrientas. Saliva
con olor a pino silvestre, a
hojarasca recién pisada.

¿Cuánto tiempo duró?
No te lo podría decir.
¿Una hora, unos minutos

o una vida despejada
pero nunca desesperada?
Quédate dormida, que me vuelo.

mardi 14 février 2017

awal tit

Les mots, les yeux,
le regard qui écrit.
Rien de plus, 
rien de moins.

Dire la voix aimée
qui trébuche puis
reprend sa course.

Cernes de suie,
semoule en poêle
qui brunit et durcit.

Les yeux, les mots,
prolonger le temps,
en touches grasses,

de fard ou de gouache,
puis les gommer d'un
trait de langue

et partir en courant.

Un oranger de fantaisie

Grêle, en caisse, droit,
malgré les cinq fruits
ronds, c'est un oranger 

de fantaisie, dans un bain
où rien ne pousse. Comme
une fenêtre dans le mur,

il crie son silence qui,
vite, très vite, devient
le mien. Il se rappelle

à moi, me rappelle un
souvenir. J'étais étudiant,
je collectionnais Pléiade

et Folio que je ponctionnais,
avide, sur la pension de mes
parents. Un volume mince

me plaisait, à côté de Nadja,
de l'Étranger et du Petit Prince.
Le roman singulier d'un dramaturge

illustre. Il portait sur sa couverture
un oranger semblable, son oncle d'il y a
quarante années ou presque. Il s'intitulait

Le Solitaire et de Ionesco honorait sagement
la signature. Je l'avais oublié. Et tu ravives
ma mémoire. Comme souvent. Comme toujours.





lundi 13 février 2017

Une paire de chaussettes

Une paire de chaussettes rayées,
petites, repliées l'une contre
l'autre et qui avaient roulé

sous le lit, sous ton lit, Martí.
Chaussettes douces et silencieuses,
duveteuses, comme ton regard quand

tu m'interroges sur le nom d'un objet
neuf ou une farce improbable de ton ami
Mickey. La maison est vide sans toi,

tes jouets me parlent de toi et de ce monde
que vous vous inventez et qui ne connaît
ni hiver ni pluie battante. Dans quelques

jours, tu seras au zénith entre deux et trois
ans, quittant le lit à barreaux pour ton île
aux jouets. Je pense à tes mots, je t'aime, Martí.


Paco i Teresa

Els hauria pogut conèixer
fa molts anys, quan hi havia
pocs estrangers, tots anglesos,

o gairebé. Vam anar al mateix
xiringuito. Ens vam fregar, potser,
sense saber que un dia, ben entrat

un altre mil·lenari, ens trobaríem
i encetaríem una amistat profunda,
essencial, als voltants de la Casa

Olívia. Parets seques, mates espesses
fetes per a compartir la carn al caliu.
No sabia que em canviarien la vida.



Atzavara

Omples mon cor de mots tendres
i desconeguts. Permanència
elegant. Serenitat.

Confiança en el curs del temps.
Diuen que floreixes una sola
vegada, cada cent anys.

O que, després, exhausta, mors
sense que ningú se n'adoni.
Mallarmé veia en la rosa

«l'absente de tout bouquet».
Humil, et veig com una companya
silenciosa, semblant a totes

aquestes floretes resseques que
s'àvia Antònia guardava entre
les pàgines dels seus llibres.



La sécurité et l'aventure

«La sécurité et l'aventure»,
m'écrit une amie. Je fais
rouler ces mots en bouche,

comme autrefois les cailloux
de l'orateur devant le vertige
de la parole. Je suis fasciné

mais parviens si peu à les associer
dans mon cheminement. Je cherche un
mot qui les relierait étroitement,

comme, autrefois encore, le sumbolon
des amants séparés. «Audace», c'est cela.
Il me manque l'audace de l'entreprise,

la témérité assumée, encadrée, orientée.
Mes audaces sont petites. Coups de volant
au hasard des jours et des routes.

Je relis les mots de l'amie. Nobles et
équilibrés. Et je comprends enfin pourquoi
j'écris. Pour apaiser le vertige qui me prend

en cueillant les mots de la tribu, les mots
de l'autre, si proches et si distants. Mon
écriture est silence et amour.

dimanche 12 février 2017

Avril, Abril

Du français au catalan,
les lèvres bougent un peu
comme pour mieux s'épouser.

Mois d'ouverture, efflorescence
printanière, foi dans le futur
que des parents, timides, formulent.

Deux syllabes, juste ce qu'il faut,
et deux voyelles qui se ferment
vers l'avant. Un seul mot ?

Ou plutôt deux. Un mot valise,
la clé de l'ouverture du printemps.
Dans «Avril», je lis «havre»

et je dis «île». Ah les beaux auspices
que voilà. Le trésor des corsaires
enfoui sous les cocotiers.

Avril, Abril, une enfant de France,
une adolescente de Minorque. Une
même île au havre parfumé.

vendredi 10 février 2017

Une humble plaquette

Ce sont tes mots.
Nobles et fiers.

Quatre fois l'an,
source et cible

se conjuguent et
chatoient. Seize

pages vergées de
vie et d'ivoire.

Bain des papetiers,
marais salant de

pâte amère que l'encre,
guidée, adoucira un peu.

Au début et à la fin,
il y a toi. Seule.

Quatre fois l'an,
source et cible.

De l'étranger, singulier,
tu cueilles des vers

oranges et cherches,
parmi tes amis,

des amants d'Hespérides,
prompts à l'occident

d'une vie de lecture et
de traductions humbles,

aussi humbles que ta quête.
Je fus l'un d'eux, à l'amorce

de l'automne passé, sur mon
écran silencieux, traçant

la cible de la source adorée.
De la genèse des huits poèmes

à traduire, je ne voulus rien
savoir. Ni la chambre aveugle,

ni la chaise incommode. De la table
au lit vide, de l'ordinateur à la

tablette, je me suis attaché, têtu,
à la tâche et au temps compté.

Les mois ont passé et sous les doigts
de ma main gauche, le papier cristal

tiédit. Caresse et réflexion, force neuve
à venir, je bois déjà les vers de celui

que tu me proposeras à la traduction,
l'ami fidèle, le rhapsode émerveillé.



jeudi 9 février 2017

Ta main

La main glisse sur la paroi rêche,
la chaux a disparu sous le vent
et la pluie. Soleil d'hiver

sur la Médéa. La Méditerranée
est loin et Médée ne voyage plus
sous mes mots. Ta main a blanchi.

À tes oreilles, la voix d'Helen
alterne avec le saxophone grave
de Ben Webster. Je t'imagine te

levant et le mimant penchée sur
ton instrument de cuivre mais tu
ne le veux ni ne le peux. Tes doigts

sont là bas et les amours filent leur
soie de mots et de sons. Je me tais et 
te dessine. Stardust. Poussière de toi.


mardi 7 février 2017

J'avais pensé

J'avais pensé écrire, il y a peu,
un poème qui me rendait à l'écrit,
après des semaines peu fécondes.

J'en ai cherché les vers. De site en
publication et je n'ai rien trouvé.

La vague avait léché la grève. Ou peut-être
était-ce mon imagination, ou mon désir d'écrire.

Dessin, dessein. Une lettre s'invite, en français
la plus commune, et le but de la main suspendue

vous est donné. «Caminante, no hay camino...»,
N'est-ce pas, Antonio ? Comme on marche, on dessine
ses mots. Mon trait s'ébauche, de tes seins il se tait.

Nuit sans mage

La nuit à tes oreilles est étoupe,
et je voyage en silence. Sans bagage.

Sans mage. Les étoiles guident mon chemin,
comme dans cette nuit où Paco et Teresa,

de la grand-mère du grand Albert, la demeure,
excentrée, en profil, me montrèrent. Aimer

n'impose pas l'objet et le sujet est reine.
Silence de tes draps en haleine, marche froide,

autour de la table dans la mienne. Que Minorque
me manque, dont un soir, pourtant, je te parlerai.

Et c'est à Majorque, pourtant, que j'irai, ivre
de cette langue de miel, salée comme un piment.

Bien sûr, les autres riront de cette impudence ultime.
Qu'importe. La nuit fut d'étoupe et à toi parler j'osai.

Du pareil au même

Dans ta langue, la tomate ;
la même, dans la mienne.

Dans la mienne, les semences,
s'écrivent aussi alors.

Matecha, mateixa ; llavors,
glissent les lettres sous

les doigts entrecroisés.
De gauche à droite, ou de droite

à gauche, la langue trébuche
et se relève. La tomate aime

avant de chuinter comme un ventcoulis.
Qu'importent que les autres

n'entendent rien à ce que j'écris.
Nous nous comprenons, et nous aimons

tous deux les lettres ; et les lettres nous
sèment. Le vent se glisse sous la porte,

feutré. Feul-feul, semble-t-il me dire,
comme le piment darde la langue de qui

se tait, brûle d'amour puis se retient,
car les mots, parfois, ne relient.

Et c'est tant mieux, et c'est tant pis.
Elkesh,arhlom. Comme de mes ancêtres, le perol.

mercredi 1 février 2017

AYUMI

Ce fut d'abord un souffle léger
dans une soirée entre amis.

Elle naissait et nous, nous refaisions
le monde. Puis j'appris son prénom,

beau comme les premières lueurs du jour.
Je m'étais promis de fêter sa naissance

par quelques vers. Une amie chère, dans
la confidence, s'émut de mon silence.

Aurais-je oublié ? Mais comment peut-on
négliger Ayumi, la princesse d'un café

tout en courbe ? Non, j'attendais sereinement
de la voir. C'est arrivé, voici quelques

minutes, sur mon écran de lumière. Flanquée
de mes deux compères, toujours aussi larrons

en foire mais comme intimidés, cette fois-ci,
par tant de beauté. Emmaillotée d'ivoire,

couronnée de blancheur, elle entrouvre bouche
et yeux comme pour mieux savourer ce monde

qui s'ouvre à elle. Elle dort et nous entend,
en plusieurs langues, et je pense soudain à sa maman

qui, un jour, sans même y prêter attention, m'apprit
à dire «merci» en japonais. «Arigato, Ayumi», ta présence

est le sourire de la vie en ces premières semaines de
l'année. Et si je te dis «sayonara», n'y crois pas !


dimanche 29 janvier 2017

T'he trobat a faltar

T'he trobat a faltar,
sense voler-ho, de cop
i volta, com un ventolí

fresc, acorat, al cantó
de la sala blanca. Un segon o 
dos, ja no ho sé. En parlar-te'n,

me'l perdo, deliciosament. No te'n
parlaré mai, no t'amoïnis, que l'amor,
el nostre, s'alimenta de distàncies

i de silencis, trencats, a vegades, per
una mossegada tendra al fil de l'horitzó
de ta pell de safrà que mai en mi s'oblida.

Sur le fil de l'aurore

à la mémoire de J. V. Foix

Entre encre et étoffe, à l'heure
où naissent les parfums, tu ne dors
plus. La nuit, fidèle, t'a offert

ses lèvres de mandarine et avant que
le jour ne t'emporte, cruel, son image,
tu y mords, vivant, comme Apollinaire,

fou de Lou dans sa petite orange de Nîmes.
Le jus clair et tiède unit vos commissures,
pour un temps, pour un temps seulement, disjointes.

vendredi 27 janvier 2017

Comme un parfum de fleurs d'oranger

Lumière pâle, comme de pleurs, le béton
l'assombrit de ses ridules usées. Mes pieds
gèlent dans une flaque, je n'en ai cure.

Une rencontre improbable, dévoile à mes yeux
incertains la richesse des robes cousues d'or
en pays valencien. Nous sommes deux, à courte

distance, mais je n'existe plus. Je suis une ouïe
et une imagination. Les langues se confondent,
comme il me plaît tant de le faire. Tu parles

par bouffées torrentueuses, comme si le temps,
prodigue, t'était compté. Je suis éponge des côtes
de Denia ou d'Almería aperçue dans un film récent,

Loin de la mer. Soudain, sans que je n'y prenne 
garde ni que je ne t'en glisse un mot, un parfum,
prégnant, m'envahit, celui des fleurs d'oranger, 

dans un champ de Valence. J'avais ton âge et 
je dormais à même le sol dur sans me douter 
qu'un jour une main de rêve me le broderait d'or.

mercredi 25 janvier 2017

Joliesse day

à Noémie.

Il est des mots comme des coquillages sur la grève.
Leur vie au fond des mers ne nous intéresse guère,
chahutés qu'ils sont par les courants glacés.

Mais quand, détachés de leur corps et disjoints,
ils échouent sur la plage de printemps, ils prennent
des couleurs inacoutumées, arrêtant le marcheur

et gonflant sa besace. Les mois passent alors et, sur
la cheminée ou un meuble blanc d'une ébéniste brune,
ils diffusent sagement un reflet arc en ciel.

Ainsi en est-il d'un coquillage de lettres que tu cueillis
naguère, certaine de l'avoir inventé, tant il collait à
ton regard distant. Joliesse. Tu t'en fis le mot du jour,

me le confias et le glissais à qui voulait l'entendre.
Du plombier à la savetière, funambules tous deux d'un monde
qui, sans les mots, aux maux se donnerait irrémédiablement.

Trois heures

à Lou et Sophie.

Trois heures et des poussières. Pas plus.
Pas moins, par bonheur. La maison m'accueille, 
le soir tombé, au bout d'une rue au nom d'aviateur.

Petite, chaleureuse. Aux murs chaulés de frais.
Pour accéder à son sommet où l'on offre aux
invités l'eau chaude et le savon frais, on sillonne,

mêlant ses pas aux générations antérieures qui ont usé
les degrés et le carrelage de couleurs. Il fait bon,
l'odeur de la cuisine dessine des sourires que les

deux hôtesses, des amours, prodiguent et font naître.
Laissons le pronom impersonnel. Je suis bien. Cela fait
tant de temps que je ne les ai vues. L'une, que je connaissais

mal, éclate de beauté ; l'autre, d'un noir lumineux, a infléchi
sa vie. Les meubles sont d'elle, délicats et solides, déjà
patinés par la parsimonie du geste. J'y suis bien. Et les aime.

dimanche 22 janvier 2017

De sang i de plor

Plora la terra la pèrdua del Barak,
a bots i barrals, en carrers com barrancs.
Fa olor de molsa dolça, de fang insuls,

agre com les paraules gèlides que bons amics
no se sapigueren estalviar quan el sol els covava.
Pobres dones, pobre biòtop esborrats a l'instant.

L'elegància se n'anà, les parets blanques d'un poble
cèntric, tan lluny, tan a prop, ploren la vinguda d'un
home ros, presumit i aliè a la bona terra compartida.


samedi 21 janvier 2017

Alè de vida

M'acabes de trucar i les paraules se n'han anat,
fugisseres, entremaliades, com ta veu trencada.

Només me'n queda l'alè, viu i fresc, amb sabor
d'olives andaluses. T'envio les meves paraules
com una ampolla al mar, un d'aquells bòtils
antics, pesats i lluminosos. Ets la vida. Un dia,

fa poc, fa anys, em vas confessar. Sense dir-te res, 
ho sabia, confusament, tendra bardissa de mon cor.

vendredi 20 janvier 2017

Une petite haie

Ton prénom est comme une petite haie,
de baies savoureuses au cœur de la verdure,
cette haie dont, dit-on, les Anciens

dessinèrent la lettre qui préside aux cinq
doigts d'une main de sons terminés par une
perpendiculaire où j'aimerais me suspendre.

Je souris, que voici une bien charmante
absente de tout bouquet pour prénommer
cette présente de toute beauté que tu m'es.

Une carte du tendre

N'en déplaise à Madeleine de Scudéry,
ma carte du tendre n'est pas tracée
à l'encre sur du vélin, pas plus

qu'elle ne s'assimile à la liste
gourmande d'un Dom Juan de sous-
préfecture. Ma carte du tendre

est faite de sourires pêchés, 
de baisers ravis, de regards
bus à l'improviste ou à dessein

et que je recrée à l'envi, dans
ma chambrette, avant de les fixer
un temps dans l'écoute hasardeuse

des dizaines de disques de Chet Baker,
Bill Evans et Paul Desmond que j'ai 
fourrés dans ma fine musette de verre.

Ce furent

Ce furent des discussions passionnées,
sans voix ni visage, des lignes bleues
sur fond blanc dans les ténèbres de gel.

Les heures étaient sans importance, Chet
jouait continûment. Au dehors, sans souffle,
les villes givraient, nous étions bien.

Parfois, les mots allaient trop vite et nous
ne les comprenions pas tout à fait. Alors un
torrent d'autres mots et de rires en "h" nous

emportait. Bien sûr, cela eut un terme, la nuit,
jalouse nous engloutit, le disputant aux rêves
inassouvis, avant de nous laisser enfin conjugués.

jeudi 19 janvier 2017

Sis graus sota zero

Als membres de la Caixa B

Ja no puc teclejar i la boira
m'invadeix el cervell. Es confonen
les llengües, perdo els mots. Només

em venen imatges fixes, com una obsessió.
Totes de la meva illa. Un despatx d'urbanisme
a les golfes d'un Nadal perllongat, unes mates

inacabables al poble blanc d'un Nobel oblidat,
un palco de vellut vermell i un ram de flors
per als músics amb qui cenaria després. Però,

sobretot, aquella llengua tan clara, plana i
saborosa, que m'aprenc dia rere dia, d'uns amics
ja indispensables i que em guien gentilment.

No me olvides

«No me olvides», me musitaste,
mientras a mil quinientos quilómetros
la una del otro nos estábamos durmiendo.

La verdad es que nos habíamos conocido
poco, muy poco, y por pocas semanas.
Un gobierno férreo te había silenciado

y nos habíamos perdido de vista y de oído.
Me llamaste desde Málaga y perdimos el sentido
de las horas. Con respeto. Y ganas. Al final,

me dormí. Caí en un pozo de añil oscuro que
rompió una palabra, «Nomeolvides», esa flor
tan frágil y celeste que nunca cogería de la

mano. Como si esa imagen, tan ligera, me guiara
por el sendero de una amistad que estamos iniciando.
«Caminante, no hay camino...», pensé. Luego me dormí.

lundi 9 janvier 2017

Une île sans côte ni rivage

Le lundi après-midi m'offre,
depuis quelques années déjà,
une île de bois et de senteurs,

de chuchotis et d'éclats de rire,
au cœur de mon université, sans côte
ni rivage. J'y observe et rêve, cherchant

de mes amis les visages et la parole précieuse.
J'y enseigne en silence, bien loin de la chaire
ventée et, à chaque fois, j'y gagne un détail

qui lancera le cours prochain. Ainsi, aujourd'hui,
derrière moi, une étudiante confie à une autre que
sa mère est coiffeuse. Et aussitôt de se planter

devant moi le mari de la coiffeuse, Jean Rochefort,
en passionné infini d'Oum Khalsoum entre teintures
et parfums. Je sais déjà comment je commencerai. Chut...

dimanche 8 janvier 2017

La femme qui parle aux rochers

«Que sont les siècles pour la mer ?»,
disait-on dans la Grèce ancienne.

Mais qu'est la mer pour cette femme,
poète crépusculaire, sinon l'amante

inassouvie qui guette de la falaise
les cavités humaines, pour en exhumer

le suc atemporel. Vous la verrez, à la
charnière de l'année guider son auditeur

au terme du village, là où l'asphalte
s'oublie, vers la sente vertigineuse

où sont deux pierres basses. Tirant de
sa besace, une main de papier, elle se

fera rhapsode, le temps d'un long baiser,
pour lire d'une voix chaude, dans le soir

glacé, ces vers écrits, il y a bien des années,
et qui ne savaient pas qu'un jour je les écouterais.

Il marche

Il marche seul dans le noir.
Derrière lui la nuit américaine
de l'aérogare et le gris pâle

des pistes qui pleurent leur rimmel
de gomme. Il longe d'autres griffures,
celles de l'aéroclub, les terres ravies

à sa famille. Il ne suit pas les étoiles, 
non, ce mage des temps nouveaux,
il se les invente, d'une foulée rapide.

Derrière lui, l'ami d'outremer, compagnon
de fortune ; devant lui, la tiède Andalouse
et le rire d'une enfant de trois ans, en

bannière infinie. Il fait froid. Le blouson
relevé, souvenir d'un lent réveillon trop vite
passé, ne le protège plus, pas plus que le

chapiteau blanc ne protégeait l'ami envolé
des amours passées et un instant revenues 
dans le regard noir d'une îlienne éperdue.

mardi 3 janvier 2017

El bòtil mig buit

Era un bòtil humil, de plàstic
fi que s'estripa dins sa ma.
L'havíem deixat a sa capçalera

de ton llit, ja fred, que s'empassaven
les hores. En tancar sa porta, capcot,
me'l vaig prendre tot, sense beure'n ni una 

gota. Néctar callat, promeses a distància, 
mots encreuats de paraules creuades.
Un bany lustral de batecs infinits.

La peine d'un ami

Bien sûr, il y eut le café partagé, brûlant.
La brioche coupée en quatre, le pain frotté
de tomate mûre, avec son filet d'huile.

Mais le cœur n'y était pas, qu'un oncle avait
ravi, gravissant de l'année les deux premiers
degrés à peine. Le silence de l'ami était plein

de courses enfantines, de travaux initiés dans
les champs à l'ombre des caroubiers et des oliviers
sauvages. Et tant d'autres choses que jamais

je ne saurai. Le journal feuilleté d'une main distraite
me laissa un goût âpre que ne put racheter la ville,
ni le froid cimetière, un matin de janvier.

vendredi 23 décembre 2016

Com caminant per la boira

Com caminant per la boira,
un matí fred d'hivern,
entre gebre i ginebra,

he perdut el sentit de l'amor,
me'l busco, fins i tot em figuro
que no l'he conegut mai, com si

patís una curiosa malaltia. Mes
m'obsessiona tant la pèrdua o
la fatal desorientació que em dic

que encara hi crec, que l'amor no m'ha
deixat. De moment. Llavors em fixo en
els amors aliens, la felicitat de qui

va de bracet pels camins sense boira
i beu del porró d'or un vi dolç de
remembrances i d'avenir somiat.

vendredi 16 décembre 2016

Ce que Wikipedia ne dira pas

En écoutant Quem é Quem de João Donato... 

Sa silhouette ombreuse à l'ombre des voûtes froides,
le travail jusqu'à pas d'heure, comme un cri de craie
sur un tableau désert. Les allers-retours incessants
entre l'école des enfants et la demeure ingrate.

Ce verre de vin épais et sombre qui laissera sur les
bords des baisers qu'elle réserve à celles et ceux 
qui seront un jour et qu'elle tient encore à distance.

Les commandes impulsives sur le conseil d'un ami, les
lectures sans cesse repoussées, la gratitude devant le

style de qui, en trente-neuf lignes, ramasse son feu clair.

lundi 12 décembre 2016

Entre anys, entre llengües

Se m'ha trencat el rellotge dels dies
i de les cares i la pantalla díscola
es diverteix oferint-me missatges

abandonats, deixats de la mà de déu
o dels diables. Avui, per exemple, m'ha
tret de la màniga un AS: les inicials de

L'Anna Serra, amiga sense ser amiga,
entre dues llengües, amant de mots
i gests de carrers que, un dia, va beure

de la mateixa font que jo. Apropa't,
Anna, i mirem dins del cau de lluna.
Silenci i foscor, dolor d'ulls atents,

deler tendre de la imaginació. A veure.
A beure. Què ens inventem? Estrelles
ben grosses? Una supernova, potser

vendredi 9 décembre 2016

Entre dues espases

Com el conco adorat, entre Menorca
i Rosselló, veig, entre París i el
Migdia, les línies groguenques dels

meus recorreguts passats. Els arbres
nus del Palais Royal em parlen de les
fulles verdes de mon amor passat.

Aleshores caminàvem de bracet sense
saber que el temps ens seria robat.
Deliciosament. Passat, pas traspassat.

À toi que je n'ai pas aimée

Gracile et brune, si brune,
saisie maladroitement, dans un
couloir froid de mi-décembre.

Tu ne cilles pas et n'étaient
tes yeux, je jurerais que tu ne
parles pas. Tu es amour, tes mots

l'écrivent, tes enfants le reflètent.
À tes côtés distants, j'ai revu ma vie,
mes errances délicieuses, l'amour dont,

souvent, j'ai cru me corseter. La générosité
me faisait défaut, sous l'apparence trompeuse
du don et du partage. Je ne t'ai pas aimée,

je le sais, à présent je fais.

J'avais oublié

J'avais oublié d'écrire, jour après jour,
parfois d'heure en heure. Je passais
mes jours et mes nuits à lire, sur une

ardoise fine aux miroitements bistres.
Je buvais l'écriture des autres, originale
ou traduite, épaisse ou gracile, ancienne

ou improbablement actuelle. J'avais décidé
de laisser ma voix de côté pour m'ouvrir,
croyais-je à d'autres voies. Je m'étais trompé.

Les mots des autres exigeaient les miens.
Leur encre levait mon ancre et je suis reparti,
cahin-caha, vers mon vieux fleuve de l'oubli.


Colonnes

Minéral, le Palais Royal de décembre.
Les arbres alignés ont perdu leur feuilles
et leurs branches, serrées et alignées,
sont une réplique grêle des colonnades

pâles. Je reviens à la cour première, par
où j'étais entré, et je m'arrête devant
les colonnes de Buren fanées et silencieuses.
Je revois mon grand fils, il ya si longtemps.

Les approchant, il s'était dévêtu de ses habits
d'enfants, pour s'y élever, à la seule force de
ses doigts. Il m'avait dépassé en taille, il le 
faisait en force désormais. Il me le prouverait

plus tard, soulevant mon admiration muette. Les hommes
pleurent peu, dit-on, ils avouent rarement leur amour.
Aujourd'hui, hiératiques, les colonnes rayées m'en ont
prié. Et je pense avec amour à mon grand Xavier,

aux doigts d'acier.