mercredi 3 juin 2020

Mon père

Mon père aurait eu quatre-vingt-quinze ans
dans quelques heures. Son front était noble
et ses oreilles qui, enfant, me semblaient

immenses, écoutaient le monde avec acuité,
feignant la bonhomie, pour en relever toutes
les incohérences. Il aimait les maquereaux

fumés au poivre qu'il disséquait minutieusement
dans son assiette, entre l'apéritif à la gentiane
et les tournedos marchand de vin. Longtemps reclus

dans une résidence, il aimait voir les plus jeunes
de ses petits-enfants à qui il faisait les tours
de sa petite enfance, avant de feuilleter le Figaro

Sa culture était immense, à l'image de sa mémoire,
rarement prise en faute, même dans les derniers temps.
La tiédeur de son front ne m'a jamais quitté.