samedi 6 juin 2020

Au-delà des mots... triste était la lune

Un joli conte poétique de Roser Blàzquez.

Blanche et ronde, la lune brillait chaque nuit de sa lumière laiteuse, caressant la surface de la terre. Des couples d'amoureux la contemplaient, cachés dans l'intimité de la nuit, cependant que les poètes lui dédiaient de beaux vers, fascinés par son silence glacé.

Mais la lune était triste parce qu'elle se savait infiniment seule. Et plus on lui dédiait de poèmes d'amour et plus elle s'étiolait, consciente de son isolement au milieu de l'univers. Les hommes ne savaient-ils donc pas que sa blanche lumière n'était pas la sienne ? Elle n'était qu'un vulgaire miroir de l'éclat du soleil. Et sa surface était trop pierreuse et trop froide pour que la vie y germe. Quand elle regardait la terre, avec le vert intense de ses forêts, le bleu de l'océan, le jaune du sable du désert et les milliers de petites lumières que les hommes allumaient chaque soir, elle se sentait pauvre. Et nue. Le cœur froid, glacé.

Elle montrait toujours la même face, la plus belle. Et même les enfants avaient pris l'habitude de lui dessiner un visage souriant qui leur faisait un clin d'œil. Mais aucun d'eux ne pouvait imaginer l'autre face, toujours cachée, pleine de cratères et de blessures provoquées par les météorites qui la frappaient. Une face trop vulnérable, toujours exposée aux intempéries de l'univers. Chanteraient-ils toujours ses charmes s'ils la voyaient aussi rude et blessée ?

La lune se sentait de plus en plus triste. Et c'est ainsi qu'un beau jour, pour échapper aux regards, captivés, elle décida de se cacher dans l'ombre de la terre. Mais à chaque fois qu'elle montrait le bout de son nez et brillait au milieu de la nuit, les musiciens repartaient de plus belle en composant de belles mélodies et les poètes des vers pleins de nostalgie. Mais elle, elle recevait toujours ces mots voilés de la plus poignante des solitudes. Et, affligée, elle retournait à sa cachette.

Et c'est ainsi que la lune s'engagea dans ce mouvement cyclique d'aller-retour. De refléter l'intense lumière du soleil et de se terrer dans l'obscurité des ombres les plus compactes. Et les hommes se résignèrent à vivre sans elle, quelques jours de temps à autre, à apprendre à l'attendre et à prendre congé de son voyage. Mois, lustres et siècles s'enchaînèrent dans ce constant va-et-vient.

Une nuit, la lune triste vit une chose qui la captiva par sa beauté. Au fond des eaux d'un lac dansait, sur le rythme ondoyant, quelque chose qu'elle n'avait jamais vue. Un éclat intense resplendissait qu'une nuée de poissons rouges caressait, joueurs, à la surface. Belle et bien ronde, cette main de lumière était flanquée de petites lumières qui dansaient, tels des vers luisants, autour d'elle.

C'est alors que la lune comprit. Ce qui l'avait fascinée au fond du lac n'était rien d'autre que son propre reflet. Sur terre, il n'était ni froid ni vide, mais plein de vie. Et ses blessures cachées n'étaient plus exposées aux assauts des météorites mais reposaient dans le berceau de la rivière, d'argile tendre. La lune se mit alors à sourire pour la première fois et son éclat en fut encore plus brillant.

Sans rien en dire aux hommes, elle poursuivit son va-et-vient cyclique. Mais quand elle décroissait, elle ne le faisait plus dans l'idée de se terrer dans l'ombre sinistre de la terre, mais avec la certitude de revenir, aux termes de quelques jours. Et, désormais, quand les poètes chantaient sa beauté et les amoureux s'étreignaient nimbés de sa blanche clarté, elle, elle se contentait de regarder les eaux silencieuses du lac. Et elle s'efforçait de leur offrir son plus beau reflet.

Roser Blàzquez, http://pescamots.blogspot.com/2019/03/mes-enlla-de-les-paraules-la-lluna.html
traduit du catalan par Michel Bourret Guasteví