mercredi 29 avril 2015
Tornar / Revenir
Tornar a la llengua del cor,
a la llengua assaborida.
Deixar que se m'ompli la boca
amb les paraules enyorades.
Les ones baten feixugament
sobre la platja de l'adolescència,
portant-me regals petits, d'origen
incert. Necessito tornar a les geografies
amades de la mà dels bons poetes. Geografies
del vent, no pas del silenci. Així és com
podré tornar al diàleg amb l'estimada, de cara
amagada, de veu tan coneguda. I essencial.
***
Revenir à la langue du cœur,
à la langue savourée.
Laisser ma bouche s'emplir
des mots qui manquent.
Les vagues battent lourdement
sur la plage de l'adolescence,
porteuses de petits cadeaux, à l'origine
incertaine. J'ai besoin de revenir vers les géographies
aimées de la main des bons poètes. Géographies
du vent, et non du silence. C'est ainsi que
je pourrai revenir au dialogue avec mon aimée, au visage
caché, à la voix si connue. Et essentielle.
Lire
l'exprimé. Ne pas façonner
l'interlocuteur à son image,
dans un jeu trompeur, mais
se taire, laisser venir les
mots, sans les guetter, ni les
provoquer. L'art est difficile
qui exige un regard neuf, sans
complaisance pour soi. Le silence,
alors, pourra prendre sa place,
et les regards à nouveau s'y croiser.
mardi 28 avril 2015
Retournement
elle est en vélo. Un homme, beau,
la précède. Lui aussi à vélo. Il la sent,
veut se retourner, n'ose pas, ou feint de
ne pas oser pour la forcer à se démarquer,
à se départir de sa nonchalance, voire à
le dépasser. Elle se tait. Je ne saurai jamais
ce qu'il est advenu ce jour-là. Tout juste ai-je
appris qu'elle le voyait encore, à l'occasion et
qu'elle rejouait le rôle de la belle indifférente.
Dans l'espoir que se brise la gangue protectrice
ou bien pour donner corps à l'esprit-même du retournement ?
lundi 27 avril 2015
Inspiration
l'air raréfié de la pièce au coucher. Tintement
de sonnailles. La conversation se poursuivra,
il le sait, mais, pour l'instant, il goûte le silence.
L'inspiration vient sans qu'il n'y prenne garde comme le thé
infuse, encre violine dans l'eau fade et bouillante. La scène
est ailleurs pour ce voyageur immobile, les lieux apparaissent
à distance raisonnable. Silencieux, fixes, avides d'être décrits,
tel l'enragé hydrophobe qui jette la théière de jasmin. La parole
de l'amie le dérange dans ce projet échevelé, elle le ramène vers
le livre corné qu'il se refuse, pour le moment, à parcourir et dont
elle lui fait à présent lecture. l'homme cesse d'inspirer. La nuit est là.
Elle parlait peu
Elle parlait peu. Le dimanche,
après le café, la toile cirée était
un désert pour mes yeux fatigués.
Je m'inventais au mur une horloge
grave, son tic-tac solennel. Les sujets
étaient sempiternels. Madame Bada
et les voisins railleurs. Je ne les connaissais
pas d'ailleurs. En se taisant, elle me les
inventait. L'immobile baderne, les occupants
pressés. Maintenant qu'elle n'est plus,
sa rare parole me manque, ses pralines
aussi. Que saint Pierre soit patient et qu'il
l'accueille avec juste générosité.
Pour peu nombreux qu'ils soient, et ressassés,
ses mots sont de la terre l'offrande crucifiée.
L'immeuble sans sonnette
Il est un immeuble clair
aux faux airs de maison.
Nulle sonnette ni tableau
d'occupants pour espérer
un jour y accéder. On attend
son hôte à grand cri appelé
avant d'entreprendre de l'escalier
l'ascension escarpée. Que passent
leur chemin les séducteurs pressés.
Ici on n'accueille bien que les vrais enjoués.
Amis de cœur et d'esprit ou voyageurs
en partance. C'est un port sec que cet immeuble
où une fois j'allai. Le café était fort tiré
de l'italienne toujours placée en haut
à gauche des plaques vernissées.
Rétive à l'importun qui tourne en bas
puis part, la poignée de l'immeuble glisse
à la descente aux lèvres de la nuit.
On promet d'y retourner, on n'y revient jamais
car l'immeuble est unique, jamais renouvelé.
Une pincée
Une pincée minutieusement disposée
et le voyage immobile commence.
Photographes sur le quai, fumée des
express. On part pour Istamboul sans
quitter le sofa. Les langues se délient,
le sommeil tarde à bord. Les lampes
des pullmans brûlent toute la nuit.
C'est le voyage à Cythère pour le prix
d'un billet de carton gris. Que passe
le marchand de sable et qu'il déverse
ses poignées de silice moulue. Le silence
se fait. Pensées. Au creux de la pincée.
dimanche 26 avril 2015
J et L
Deux initiales, beaucoup d'amour,
un hasard de rencontre couleur de
destinée. De longues promenades sur
la grève. Des petits rien qui, très
vite, font un tout. Des rires francs,
des confidences douces. La conviction
qu'a chacun d'années autrefois partagées.
Ne cherchez pas leur nom, cherchez des
enlacés et si leurs yeux vous sont cachés,
ce seront eux, pour sûr. Ils se les boivent
à petites lampées, en promeneurs friands
de partages aussitôt vécus, aussitôt projetés.
Respirations
qui déchire la nuit et narre
les journées. Je la regarde
tout en l'écoutant, le nez
sur le plafond, mon cœur dans
les étoiles.
J'aime la respiration de surface,
aussi, qui force à tendre l'oreille
sur le torse en sommeil. Odeur de vie
au repos, invitation au respect. Les deux
me plaisent, seules ou combinées, car je sens
dans l'inconscience tout le prix d'une vie
que j'avais mal aimée.
Un mélange de bulles
toutes deux translucides,
l'une bleu de France,
l'autre rouge carmin.
Le gaz s'échappe pareillement,
le bouton lentement dévissé.
Plus lourde, la bleue remplit
la moitié du verre d'une liqueur
mentholée. Les billes frétillent et
se pressent pour s'exhaler. Ça frise
à la surface. Vient le temps de la rouge,
les bulles sont plus fines. Plus lentes
aussi. En finissant de remplir le verre,
les liqueurs se mélangent. La mentholée et
la neutre. Les bulles se mêlent qu'on ne
distingue plus. Il est alors temps de se
désaltérer.
L'obscurité croissante
comme chez lui. Lui n'a pas
la lumière ou ne s'en soucie
guère. Toi tu la laisses éteinte.
L'obscurité croît. La lecture devient
difficile entre les volutes. Les voix
s'éraillent et les visages fondent.
Le mouvement se ralentit et entre en
grâce. Le soir n'est plus et la nuit tarde.
On remet à plus tard le coucher séparé.
Le vin épaissit dans les flûtes. C'est
désormais de l'encre prune pour y tremper
sa plume. Les feuilles nous entourent, couvertes
sur les deux faces. Pourquoi ne pas les gratter
de nos ongles, palimpsestes habiles pour amants
de papier buvant l'encre prune pour en faire des
bulles...
Langues
glossolalie sublime, frôlement
jouissif de phonèmes .
Langues de sang entre deux êtres,
lames affûtées, rasoirs qui brillent
et entament la peau aimée.
Langues de suie sur les toits des maisons.
L'hiver s'en va, le printemps sera beau,
m'y accompagneras-tu ?
Le canapé
et sage dans sa disposition.
Tu te tiens adossée dans un coin ;
moi, je tiens l'autre, très loin.
Tu reposes sur une liasse de copies
annotées, ça crisse mais tu n'en as cure.
Tu te lèves d'un bond, me frôles et vas retirer
un volume de la bibliothèque serrée. Tu te rassieds,
le regard bas. Je survole un journal à l'écriture serrée,
je lis moins que je ne goûte l'exceptionnelle concorde
qui naît en deux points opposites d'un divan adossé au
mur sombre un soir d'avril où l'amitié, sagement, exulte.
L'amour prochain
votre mauvais amour de vous-mêmes.»
(F. Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra)
Je ne suis pas philosophe et peine à penser,
j'apprends à boire dans leurs mains et m'y ébroue
souvent. Je rechigne et tempête. Rien n'y fait,
on ne m'écoutera pas. À l'amour propre ou d'autrui,
je préfère l'amour prochain, vécu comme s'il n'était
et devait survenir, à la dérobée, au tournant du chemin.
Vivez cet amour en devenir, jamais ne possédez.
Faites crédit à l'autre et vous en grandirez.
Simone
le soleil s'est voilé.
Elle fut notre vraie tante.
Du cœur et de l'âme, pas du
sang. Je l'ai toujours connue.
La première, elle a reçu ma bouillie
sur son visage et ses longs cheveux
noirs. Elle était de tous nos repas,
des fêtes familiales. Les chocolats,
sans elle, perdront de leur saveur et
les bibelots improbables qu'elle nous
offrait ternissent désormais à nos yeux.
Enfants, mon frère et moi, nous nous moquions
gentiment des tics qui l'affectaient.
Elle aima un homme à la folie. Il lui
promit beaucoup et ne tint jamais rien.
Il mourut, la laissant dans l'ombre et le soin
de parents vieillissants. Les années passèrent
et elle trouva refuge en haut d'une tour terne
et ventée en compagnie d'une autre esseulée,
à chats et chiens, celle-là. La compagne mourut,
la maladie grandit. Bravant la souffrance, elle
nous rendait visite. Nous allions la chercher.
Elle parlait peu, son cœur était serré. Elle nous
aimait beaucoup. En sa présence nous étions ces
enfants gauches qu'aujourd'hui nous redevenons, Alain
et moi pour lui rendre hommage. C'était une personne de
bien.
Les Aristocrates
Ils ont les poches trouées et le sourire
clair. Ils n'ont pas de sexe mais chacun d'eux
en a un. Ils rejettent le convenu et cherchent
l'exceptionnel. À peu de frais, au détour d'un
chemin. Ils se regroupent autour de cheveux fins
en éternel désordre. L'une examine les âmes, l'autre
tend ses six cordes entre les êtres, un autre encore
met des mots sur les maux et les amours aussi.
Ils forment un cénacle aussi fermé qu'impie. Ils cherchent
l'avoir lieu, le gardent jalousement. Si vous voulez les
voir, allez au Masami, un soir de pleine lune, un midi au zénith,
vous ne vous ennuierez pas, payez-leur un café, opime obole
à leur inaltérable passion.
Fin de partie
et son absurde jeu. Il est admirable
mais je n'en ai que faire.
J'aime la partie qui finit. Non parce
qu'elle est en son terme mais parce qu'elle
fut. Moment de grâce entre deux êtres dans
la poussière d'étoiles. Il en reste une odeur
ingravide, des sourires, et la promesse d'un
lien qui jamais ne s'efface et toujours enrichit.
Hippocampe
céramiste, d'un trait de pointe sèche sur
la terre blanchie. Ambassadeur des terres
dans la mer des poètes, je le vis à foison
un jour sur un marché. On le vendait par poignées
comme de vulgaires crevettes pour le laisser sécher
avant de l'exposer. Dans la foule entassée, il perdait
sa superbe et dessinait les courbes d'un infini déclin.
Du moins le crus-je. Pendant des années, bientôt des décennies.
Jusqu'à ce jour d'avril où je le vis sur ta table. Il tenait
dans ma main et de sa lippe agaçait ma peau dure.
Saxo (2)
et puis la danse lancinante,
pieds nus, près des vieux airs.
Ton visage voilé qui longtemps
se cacha avant de ramener la danse
au creux de la soirée. Feulements,
voix aiguë dans ses dernières syllabes.
Scansion : dactyle, trochée, iambe, spondée.
L'air s'est arrêté et toi tu me regardes.
Le saxophone a rejoint en coulisses le sombre magasin
où il attend encore. Le son, lui, en moi s'est gravé
qui, depuis, rythme mes nuits et mes journées aussi.
J'écris, tu vis.
non loin, dans les plis du sommeil,
tu vis et dessines les images où
s'accrochent mes mots. J'aime cette
semi-absence qui t'abstrait sans trop
te réveiller et te dépeint mieux que je
ne saurais le faire, artisan à trois sous
que la ville égara. Tu vis et tu récites
les paroles conjuguées, en silence, près
de la radio neuve où l'on parle, je crois,
de musique. Et de mathématiques aussi.
Le petit appareil beige a tiédi ces draps
même où tu vis, étrangère au vacarme, des trains
des grandes lignes qui déchirent le sud et me laissent
sans voix.
Un écureuil est mort
parmi l'herbe des rails.
Son ventre regarde le soleil
et son panache flotte au vent.
De ses courbes gracieuses, seul
demeure le souvenir que j'en crée.
Un écureuil est mort et passent les voitures,
insouciantes, sans mémoire, sans égard pour
le panache brun qui ondoie et salue. Mais que
serait la ville et ses arêtes vives sans l'auguste
verdeur que, de branche en branche, jour après jour,
il peignit. Du temps qu'il était en vie ?
Chaussures
Le pied nu ne voit
qui heurte le cuir tendre.
Je me penche, je les touche
ces fausses parallèles noires,
égueulées par la marche d'hier.
Nulle trace. Silence de la semelle
qui fait corps et laisse l'importun
errer dans ses questions.
Pourtant tu allas dans la ville, au gré
des mots, d'un pas vif, petite saute-ruisseau,
colporteuse de vie, agent de liaison riante
qui troquait un sourire contre leur danse jolie.
Elles ne parlaient alors et parfois se frôlaient,
comme font les amis un soir de beuverie.
Les voici reposées et sans âme. Elles l'attendent
de ta main qui en plein jour saura les apparier.
Le sang bat à tes doigts
calme rapide et ta voix se fait souffle.
Le sang bat à tes doigts quand tu meurs,
exténuée par la houle atlantique.
Le sang bat à tes doigts qui déjà n'est plus
et glace mes épaules en plein cœur de la nuit.
samedi 25 avril 2015
À une amie malade
et le vent froid malmène ta porte.
Le livre ami pend au bout de ton bras
sans force. Tu pestes et tu tempêtes,
sans bouger. Le thé brûlant convoquera
des mondes de fantaisie et bientôt le
sommeil t'emportera. Je ne crois pas.
Ni aux dieux ni aux visions mais je
repousse les cauchemars qui se tiennent
tapis, prêts à ronger ta cheville jolie.
Je veille. C'est peu et ma parole n'est
nullement fébrifuge. Je pense aux poètes
et aux philosophes qui, eux aussi, furent
malades et qui cherchèrent le réconfort
bien loin de l'ataraxie et des concepts
fumeux, dans la douce chaleur de la main
d'une amie et de son regard humide et voilé.
Al alimón
devant un même microphone.
L'Argentine se tait, écoute,
regarde ondoyer les capes des
toreros. Plis intimes ruisselants
de plaisir. Danse de mots et de mort.
Comme eux je veux l'aigu et le cherche
dans la rondeur, l'étourdissant tournoiement
des draperies de rose et d'or. Silence. Parole
suspendue. Nul microphone tutélaire. Nulle assemblée
captive. Toi et moi. Lecteurs, auditeurs, et, pourquoi
pas, créateurs. Un pas de deux. À deux. Al alimón.
Oser
et le comte de Ducasse
demeure fermé à mes côtés.
Tordre le cou à la langue,
en sentir battre la chair
avant qu'elle ne s'exhale
sous mes doigts meurtriers
et poisseux de son sang noir.
L'envie me tenaille et je reste
des heures fascinés par ces
assassins de mots aux dents blanches
et à la parole carnassière. Je n'ose
pas. Oserai-je un jour ? Toi seule
pourrais m'aider qui demeure derrière
l'écran, mais tu dors et ma langue avec toi.
Les livres en attente
plaisamment. Non pas ceux de
la bibliothèque privée que l'on
repousse sans cesse ou que
l'on garde comme des trésors.
Non, ceux qu'une amie suggère et
dont on attend les conseils de
lecture. Livres neufs et déjà
cornés. Livres dont on sait
qu'on les reniflera longuement
avant d'en entamer la compagnie.
Livres que l'on relira, n'en déplaise
à celle qui dit ne jamais se baigner
deux fois dans le même fleuve mais
qui y ondoie continûment.
Oui, il est des livres rares et précieux,
joyaux d'un cabinet de curiosités neuves
et à visiteur unique. Leur tranche entame
déjà le cœur et le sang tiède en imbibe
la phrase infinie et jamais assouvie.
Ta voix
nul ne s'en aperçoit, tu me le confies
et tu le crains. Je ne le perçois pas.
De bar en bar, d'amie en amie, la vie
passe et court, plus vite que ta voix,
qui ne suit. Le comptoir sombre, vernissé
est un miroir fidèle pour tes mains, jamais
pour elle, et tu crois qu'elle se perd dans
les méandres des conversations. Combien
de centaines de promeneurs affairés croisés,
pour qui la boisson n'est qu'une étape, le sourire
de l'autre, une vraie nécessité. Je pense aux antiques
balises de métal entamé, rouges et blanches. Je voudrais
qu'elles retiennent, pour moi, un peu de ta voix laissée,
ce soir là. De bar en bar, d'âme en âme, jusqu'à la nuit.
Tes musiques
sur le disque dur de ton portable clos.
et me questionne. Du rythme, une lenteur
Insistante. Tes musiques sont un miroir
pour qui veut les entendre.
afin de les apprendre à qui les désirera.
vendredi 24 avril 2015
Le rêve
celle qui l'animait. À une heure indue.
les express l'égaraient et elle ne croisait plus
imaginée dialoguant avec une vieille dame, elle
de l'échange, l'expression du visage de la vieille
Alors tu inventas ton rêve, ses détails et tu transmis
advint de ton amie. Mais je l'en devinai transfigurée.
Il était quelqu'un quelque part que j'aimais...
une étape qui ne veut dire son nom et redoute
le jour où d'autres lui en donneront un.
d'une virgule, laissant le silence devenir
insupportable et l'auditeur, dans la confidence,
s'est pas enrayé. Tranche de vie ? Non car le
couteau violente celle-ci, en entame la peau
Non : une bouffée. Lente, délicieuse, délictueuse.
Tes lèvres font un rond qui veut dire oui.
Le somme
sur un même canapé rouge,
un somme. De plusieurs heures
est déjà haut et le monde se meut
lentement au dehors. Sans eux.
Le somme sera loin alors et chaque
canapé conservera un peu de la tiédeur
les y plonger. Profondément. Autrement.
La vie est belle un cinquième jour de la
Ils n'en demandent pas tant. Un café
brûlant, un aspirateur qui marche, des vers
funambules qu'ils ont plaisir à devenir. Un peu,
beaucoup, passionnément.
mardi 21 avril 2015
Memento mori
la scène est à Anvers.
visqueux grouille et
s'exténue. Lentement.
sous le bonnet à poils, le pêcheur
se ride. Sisyphe empoissonné, muet.
ont déjà expiré. Oblique, gueule ouverte,
édentée, un ultime me glisse sa ronde
mais n'oublie pas. Tu n'es rien et bientôt
un seau de cuivre égueulé te vomira.
même de la vie peinte par Snyders.
Saxo
Modulations sans fin, l'esprit clôt les yeux et part en sautillant
sur la ligne mélodique. Point de prudence. Jouons toutes nos
cartes sur un coup. Be careful! Oh no, Be Bop!
Le colosse se courbe et déchire l'air sans altérer le cuivre lustré.
Bien lustré. Mais qui le lustre-t-il donc ? Lui-même ou une personne
dévouée à son corps ou à sa cause ? La batterie reprend, change
le rythme. Les clins d'œil s'accumulent. Salted peanuts. Non merci,
un verre de Bourbon sec me suffira. Le morceau fini, les doigts se
ralentissent et je vous glisse mes vers. Inachevés. Bien sûr.
Echanges
Suspendus, différés, constants, non voisée,
la parole flue, toujours, continûment et la
réflexion s'anime. La constance messied
à l'échange, il a besoin d'interruptions, yeux
écarquillés, pour être autre sans jamais cesser
d'être le même. Attends-moi, je te suis déjà.
Biquettes
Pyrénées. Par un ami cher invitée.
Voyage interminable, trempée.
Enfin arrivée. Les horloges marquent
une heure autre, neuve. Le temps se
ralentit. Deux petites journées. Moins,
même. Et soudain la chaleur des biquettes,
leur odeur ancestrale, étrangère, leur amour
infini pour qui les allaitera. Biberon en main
tu perds pied et prends racine. Délices d'une
dépendance hasardeuse. Tu es tout pour elles
qui bientôt seront loin et partageront avec d'autres
le mystère de l'allaitement. Je souris en t'imaginant.
Au même moment, dans un musée du septentrion,
je m'arrête devant la lactation de Saint Bernard.
Assoupi au pied d'un arbre il se serait allaité au sein
de la vierge et en serait sorti ragaillardi. Autres temps,
autres mœurs. Une même humanité. Que désormais tu
portes en toi, avec la nostalgie des petites biquettes.
lundi 20 avril 2015
Tes mains
Elles reposent sur le canapé rouge,
de part et d'autre de ton assise.
Calmes, doigts joints. Je les regarde,
l'une puis l'autre, miroirs illusoires.
Leur force est distincte que je ne connais
pas. Quand je lèveront-elles, lents échassiers
au crépuscule pour m'offrir des pages écornées
le contenu subtil ? J'oublierai alors leur jeu
étourdissant et m'abîmerai dans les livres inconnus
où le demain surgit du jeu de tes deux mains
L'échafaudage
L'enseigne démontée, l'estaminet grelotte,
par la porte et les fentes l'air entre, la lumière
vacille. L'établissement a perdu son nom.
Le voyageur égaré saura dire qu'il est sur la
place de l'Hôtel de Ville, et sans plus. Pas un
client à l'intérieur. Les tables rondes de formica
sont les guéridons d'un monde caduc où on les
faisait tourner pour deviner avec qui on allait danser.
Au sol, de minuscules carrés font un ennuyeux damier.
Pas un papier gras. Silence. La patronne est partie chez
le dentiste, le patron écale des œufs. Pour qui ? Pourquoi ?
Mystère de l'attente et du recommencement. Sisyphe au
troquet. Le percolateur refroidit et la Stella Artois repose
au bas du bec en étain. Envie de multiplier le temps, de vivre
les différents-espaces temps qui se partagent le local
Et si l'enseigne neuve pointait vers le pays où l'on n'arrive jamais ?
Rendez-vous
La distance n'y peut rien,
j'ai rêvé d'un rendez-vous
avec toi, sur la moleskine
usée d'un petit estaminet.
On y prendrait des boissons
oubliées. Pour toi, un mandarin
citron, pour moi un bicon bière.
Nous nous aimerions sans jamais
nous toucher. Fulgurance des mots
partagés, appel de la baraque à frites
non loi qui nous régalerait de pommes
brûlantes et de fricadelles écœurantes.
Le monde alentour nous oublierait et nous,
nous le croquerions, sans distance, ni moquerie,
humbles temoins d'un temps et d'un lieu partage.
J'ai rêvé d'un rendez-vous... et déjà tu me lis.
L'estaminet
Midi le juste. L'air est pâle et le pavé
brûle l'œil qui s'y abandonne. Personne
dans les rues. L'estaminet accueille,
porte ouverte. Le patron et un client
parlent la langue de mon enfance.
Nasales, scansion. Silences. Le café
refroidit à mes côtés sur le formica
vert clair. Comme aux Glacis quand
j'étais petit. La moleskine caramel
se fendille et les ressorts couinent.
Je pense aux générations qui s'y sont
succédées, à ceux qui ont commencé
à s'y aimer et qui y revinrent plus tard
avec leurs enfants à sodas. Nulle trace
des ivrognes qui égaient le local tôt
le matin ou tard le soir. Trognes violacées,
démarche hésitante, voix pâteuse. Un petit
monde à la James Ensor dont les toiles
de carnaval ornaient les affiches du bal
du Rat Mort où parfois mes parents se rendaient.
Aristocrate
Sans fortune ni terroir,
elle longe les murs et
cueille des sourires.
Chez elle, un saxo sans bec,
et une clarinette l'attendent,
en silence.
L'inspiration viendra ou pas.
Qu'importe. Aristocrate de la
lecture, elle a placé le désir
au cœur de ses jours. Ici ou
ailleurs. Et quand il tarde à
s'approcher, elle décorne les pages
de son vademecum. Friedrich, tu
ne varies jamais et toujours tu surprends.
dimanche 19 avril 2015
Te lire
Te lire, lentement, entre le pouce et l'index,
caresser la page odorante, voler l'odeur
des plats sur le rebord de la fenêtre,
voyager parmi tes amis et ceux que
tu railles, mi-acerbe et mi-mielleuse,
te retrouver, te reconnaître, avoir
envie d'en savoir plus mais le texte
suffit. Les mots coulent et fuient.
Appauvrir sa langue et ouvrir tous
ses pores à ta parole neuve
et désormais essentielle. Te lire
et oublier la distance qu'il y a
entre la paume et la joue.
Le manque de toi
ton absence une raison de naître.
Il y a longtemps. Je ne te connaissais pas
je glissais mes pas dans l'étroite cité.
et je t'invente. En retenant le trait.
des choses, de tes choses. De ton
tel livre corné que je ne citerai pas
tes pensées, tes doutes, tes certitudes.
Un livre ancien, une partition aérée.
ton invité, qui te glisse des mots :
comme demain dans la divine cité.
La vie m'est seulement prêtée mais
et donnent à mes heures un parfum d'absolu.
Le cadran solaire
d'une lointaine banlieue,
était un vieux cadran
de tous mésestimé.
Sa tige de fer, rongée
par la pluie fine, jamais
ne lui servait et quand
un jour de tomber s'avisa,
j'en connais qui tremblèrent
en regardant l'objet. Toutes
les heures étaient plongées
dans une étrange obscurité
et il était chaque heure à tout
moment du jour au point que l'on
finit par se rencontrer en tout
point de peur de se rater.
Ils s'aimaient
sans se frôler, étrangers
au roulis des rues et à
la rumeur des passants.
Ils s'aimaient le nez dans
des étoiles glacées qu'eux
seuls voyaient avant de
détaler en riant.
Ils ne croisaient personne
mais chacun les voyait
frotter l'amadou tendre
de leur pierre à briquet.
Les cigarettes dressées faisaient
une retraite aux flambeaux pour
leur rendre un hommage à jamais
refusé.
Le soir vite envolé, la nuit les
engloutit, taisant jusqu'à leur nom
que je ne saurais épeler. En silence
ils s'aimaient.
Et Nietzsche se tut
on le vit reposer corné sur le bois tendre
cependant qu'ils marchaient tous deux
au crépuscule.
Les conversations l'évitèrent pour mieux
le retrouver, ensuite, au hasard du silence
dans les maisons fermées. Nul doute qu'alors
il tempêta
ou feignit d'y verser, amoureux transi, pétri
de poésie et que les lecteurs hâtifs ont tôt
fait de mettre à l'index, alors que, somme toute
il fut l'entremetteur que refusa la vie.
samedi 18 avril 2015
Khamsa
qui dit l'homme et
la femme.
Le six est l'univers
et la tête me tourne.
Immanence.
Je me tourne vers le cinq
et délaisse le six. Ma main
s'imprime dans ton dos,
à mille autres pareille
mais si singulière dans sa
chaleur.
Et le mauvais œil de s'en aller,
jaloux de ton regard qui me prit
un jour pour ne plus me lâcher...
Mentre dorms / Cependant que tu dors
i els passejos solitaris per la ciutat
sorollosa, t'escric sense escriure't.
Només vull retrobar la foscor viva
dels teus ulls al capvespre quan et
prepares a fregar la vorera corva
per entrar al petit bar compartit i
parlar-me de les últimes lectures.
Etern retorn vs insostenible lleugeresa
del ser. De Nietzsche a Kundera, ben saps
que parlem del mateix. Pintes les meves
parpelles amb una pluja d'estrelles gelades.
Jo, al teu costat, sóc el Tomàs conduint el
camió atrotinat camí de l'infern dels homes
pobres i dels pocs enamorats empedreïts.
***
Cependant que tu dors, épuisée par les conversations
et les promenades solitaires dans la ville
bruyante, je t'écris sans t'écrire.
Seule m'importe la sombre lueur
de tes yeux au crépuscule quand tu
te prépares à frôler le trottoir courbe
pour entrer dans le petit bar partagé et
me parler de tes dernières lectures.
Éternel retour vs insoutenable légèreté
de l'être. De Nietzsche à Kundera, tu sais bien
que nous parlons de la même chose. Tu peins mes
paupières d'une pluie d'étoiles glacées.
Moi, à côté de toi, je suis Thomas conduisant le
camion déglingué sur la voie de l'enfer des hommes
pauvres et des quelques amoureux invétérés.
Veiller
s'éboulant au vent d'avril,
les tours de garde de mon île
n'accueillent plus que les marcheurs
insouciants. Mais que sont-elles la nuit,
ces masses rondes de pierre froide ?
Un simple silence immobile ou un soupçon
de plus ? J'en doute, elles n'ont sur qui
veiller car le vent ne transporte plus
d'âmes depuis longtemps et les musiciens
ambulants préfèrent le confort du B and B.
Alors je reste seul, mon casque sur les oreilles.
Je ne suis pas de pierre et le temps m'est compté.
Dayna Kurtz, lentement, en quatre accords, accompagne
ma veille. Étranger au temps des horloges, je me coule
dans son tempo. «Do I love you?» Question lancinante
pour la raison, le corps, lui, a choisi la voie de l'âme
et le sang bat aux tempes qui ne se trompe pas.
vendredi 17 avril 2015
La lenteur
de cette lenteur qui souvent
nous est refusée. La marche
se détend et qui froissait
la ville dans son poing,
se trouve soudain à mouiller
ses poignets sur le zinc froid
d'un bar de coin de rue.
Baissant les yeux, harassé
de n'avoir plus pensé, il
se laisse alors absorber par
la lenteur que mettent les bulles
à s'unir à la mousse et le liquide
à devenir du vent. Insaisissable.
Apprendre à lire
qui m'apprenait à lire, pas plus que ceux
de mon père qui m'y avait invité beaucoup
plus tôt, dans le lit du dimanche, avec Mamadou
et Bineta mes inventeurs de monde.
Et voici que j'apprends à lire dans tes yeux
les mots d'un funambule des immensités glacées.
Les sons dansent, des ponts se tendent, le sens
s'éclaire de ce qui n'était juste là que des
métaphores absconses ou lointaines.
Je ne bouge ni ne cille, tout au ballet de ton regard
qui brise la caméra pour m'en aller quérir comme on
saisit le poussin tiède entre deux doigts dans un trou
du grillage. Deux minutes s'écoulent et tu n'es plus là
mais l'écran noir est l'encre permanente où les lettres
se suspendent patiemment, laborieusement, de bâton en cursive.
Il faudra bien des séances, des doutes et des redites mais
je finirai bien par lire. Ici bas, par delà le bien et le mal.
Mimosa pudica
et nous ne sommes qu'en avril. Chez moi, on célèbre
la rose ce mois-ci, alors je t'imagine en «rosa pudica»,
pétales turgescents et resserrés dans la rosée d'un matin
encore frais. Les odeurs ne s'exhaleront qu'au zénith mais
déjà elles se gorgent des impressions glanées au fil des pages.
Et cette absente de tout bouquet, moi, j'envie sa liberté.
El petit lèxic / Le petit lexique
bonica, un petit lèxic de mots oferts,
regals d'una llengua que no conec i que
m'ensenyes, glop rere glop.
Un diccionari a l'inrevés amb lletra inhàbil,
transcripció de transcripcions salvades per
ta veu que mos ulls no deixaran de buscar.
Ja en tinc quatre. Aviat seran una desena
i m'aniré ballar sota la lluna com un
esperitat assedegat de llengua clara.
***
j'ai décidé de constituer, sur un carnet
joli, un petit lexique de mots offerts,
cadeaux d'une langue que je ne connais et
que tu m'enseignes par petites lampées.
Un dictionnaire inversé d'une écriture gauche,
transcription de transcriptions sauvées par
ta voix que mes yeux ne cesseront de chercher.
J'en ai déjà quatre. Bientôt ils seront une dizaine
et je m'en irai danser sous la lune
comme un possédé assoiffé de langue claire.
Reprise
oublier Rodolphe, glisser
la clé dans la serrure, souffler.
Te reposer porte close sur le canapé
replié, te lever et t'approcher de
la source incertaine. L'heure est passée,
la nuit te l'aurait-elle ravi dans ses bras
insatiables ? Tu lances le grelot, attends,
une vaguelette à l'écran, interminable, et la
conversation reprend, étroit chemin de fer vers
les antiques mines, chargé de minerais aux noms
imprononçables. Rien ne pèse plus. Il est là, toi,
tu es.
Conseils
Je n'aime ni les conseils de classe
ni les salles de profs. Je m'y ennuie
et vomis les vengeances infimes
qui pontifient croyant y éconduire
en pointant du doigt les jeunes
devant qui on tremblait. Je leur préfère
la tiédeur des couloirs, les rencontres fugaces,
le baiser d'un ami qui n'est plus un collègue.
On me croit enseignant, je suis éducateur,
un malheureux pigiste qui signe de son sang,
la parole partagée, l'hommage à nos aînés,
des vers inattendus au goût d'éternité.
La nuit existe-t-elle ?
La nuit existe-t-elle ?
Ou n'est-elle qu'un habile
rideau de fumée que déchire
ta présence ?
Je ne sais, elle m'a enseveli
puis a gercé mes bras d'un froid
inattendu. J'ai frissonné, croyais
t'avoir perdue
quand j'entendis soudain le discret
ronflement de la bakélite que je croyais
assoupie. J'ai remué ciel et terre ou n'était-ce
que mes draps
pour instaurer à nouveau, au cœur de la noirceur,
un dialogue de gris ma foi plus nuancé
que cinquante variantes épaississant
le papier.
J'étais le bienheureux à l'oreille affinée
qui se tait à l'envi et crie son beau silence,
oublieux des devis de doctes assemblées
pour préférer d'hanounti le discret cliquetis.
jeudi 16 avril 2015
Sud
No he deixat de pensar en els versos
de Quasimodo, apresos fa tant de temps
i adorats des de llavors. Només he volgut
buscar traces del suds passats i dels que
em queden per viure. Els dies me n'ofereixen
una nova versió. Un sud de fantasia, més enllà
del mar amic. No el conec ni hi viatjaré mai però
ja m'agrada el tracte de la gent on tothom es diu
«khoya» sense exigir res de l'altre món. O del seu.
***
«Plus personne ne me conduira dans le Sud»
Je n'ai cessé de penser à ces vers
de Quasimodo, appris il y a tant de temps
et adorés depuis lors. Je n'ai voulu que
chercher les traces des suds passés et de ceux
qui me restent à vivre. Les jours m'en offrent
une nouvelle version. Un sud de fantaisie, par delà
la mer amie. Je ne le connais ni y voyagerai jamais mais
j'aime déjà les rapports des gens où chacun s'appelle
«khoya» sans rien exiger d'extraordinaire. Ni même d'ordinaire.
Le manque et l'absence
mais j'aime cette absence.
Je n'aime pas te manquer
car je t'y égratigne,
enlevant ta peau par lambeaux.
Fais de l'absence le ferment
de rencontres nouvelles. Nous
nous reverrons, je t'en fais serment.
Mais, en attendant, pars à cloche-pied
dans la ville et cueille les sourires
comme on gaule les noix. Avec volonté
et infinie reconnaissance. Tu verras dans
les autres, voisins hasardeux d'un théâtre
ou voyageurs sans bagage en partance ou en
transit, les perles innombrables qui façonnent
mon image avant d'y apposer tes traits.
Pluie
des gouttes lourdes et tièdes.
Paupières closes tu rêves, en proie
à la soudaine et légère fraîcheur.
Les gouttes s'écrasent sur tes lèvres
et s'éparpillent, se mêlant à ta salive
que je ne connais pas. Le ciel est gris,
le soleil cet absent au grand cœur tiédit
les traces de l'onde. Houle atlantique ou
grain méditerranéen. Que reste-t-il du souvenir
des vagues qui effrayèrent le pêcheur ?
Ta bouche s'éveille et tète le relief. Tu vas
té réveiller et je disparaîtrai pour m'en aller
marcher sur les toits roses dont tu t'es fait
palette.
Hanoun(t)i
Une lettre, une seule
et le regard s'inverse.
Aimer a-t-il un genre ?
Ici une voyelle, là une
dentale. Chérir, chérir
encore et le dire, sans
crainte. Hanoun(t)i,
la perspective s'inverse,
l'amour s'accroît.
mercredi 15 avril 2015
Le comptoir
mais le comptoir. Le comptoir
d'un bar ami. Timon de cargo
plaqué d'acajou sombre.
Je l'ai vécu, je le revois
à présent. Moments fugaces
où se tiennent Sophie et
Stéphane. Discrets, présents,
chaleureux, discrètement
enflammés. Tout à mes poèmes,
debout contre la porte de verre,
je ne les voyais pas, pas assez
du moins et voici que cinq jours
plus tard ils ne cessent d'occuper
mon esprit. Sagement. Avec élégance.
À leur façon.
Cafés
les voitures grattent l'asphalte,
lentement. La pièce est accueillante,
qui est de mes parents, et je pense
soudain aux cafés que j'aime où mes pas
se suspendent avant que de continuer.
Celui de David où Masami apprit à mon
enfant petit d'ALIGATO toute la gentillesse,
celui de Jean-Michel avec ses bières ambrées
et ses bœufs acoustique, celui où est Sophie
plein de livres et d'envie, ma reine aux noirs
cheveux, voyageuse au long cours...
Desitch
il quitte les rives de
ma langue pour la tienne.
Impétueux et caché ou bien
tendre et dévoilé, le désir
est partout qui insinue
tout en s'insinuant. Il est
mon moteur, mon vecteur, aussi.
Mais que je le nomme et il s'évanouit.
Il est (petit atelier poétique en hexasyllabes rimés)
que jamais on n'attrape,
cailloux, petits rubis
qui vous font une étape.
Je les voudrais toujours,
au clair de mes pensées,
pour éclairer mes jours,
d'une tendre rosée.
Le pays où l'on n'arrive jamais
unis quand il fut publié ce roman au titre
singulier que jamais ne cherchai.
Depuis au moins trente ans il me traque et
me supplie mais j'aurais bien trop peur,
en l'avalant d'un trait, de savoir arriver
où jamais l'on n'arrive même au cœur de l'été.
Alors j'ai négligé toutes les encyclopédies et
de Dhôtel ne sais rien sinon qu'il l'écrivit
en cinquante-cinq d'un autre siècle qui est
mon âge à présent. Et de tant l'écarter, je m'en
suis fait des dizaines de récits parallèles,
de terres tantôt glacées, et tantôt opulentes,
oasis de mots tièdes qui étaient oubliés. Pourtant
aujourd'hui, Kerouac des petits, je me verrais bien
dérouler le rouleau et y écrire de mes pas le voyage
sans fin où jamais l'on arrive mais toujours on existe.
Ou comme écrivait Machado, pas encore exténué :
«Marcheur, il n'est point de chemin,
c'est avec ses pas qu'on le trace hardiment».
Le fichier
par tes soins diffusé,
un tout petit fichier,
une suite aléatoire de
zéros et de un, froid
système binaire que
métamorphoserait ta voix.
Tu n'y parlerais pas l'une
des langues de l'usage
mais un idiome inconnu
à mes sens et pourtant
familier, une langue
de sommets escarpés,
arides, et de vallons
fertiles, de silences
profonds et de claquements
de langue, de lèvres mouillées
sur d'improbables chemins.
mardi 14 avril 2015
Et ma main
de ne pouvoir te caresser,
doigts repliés, bourgeons
cachés, irrigués de sang
et de lymphe.
Et ma main s'est réveillée
au contact de la tienne,
menue. Peau contre peau,
les sillons des empreintes
s'irriguant
mutuellement. Pour un temps.
Réduit. Délicieusement limité.
Impermanence du désir qui espère
l'absence pour enfin s'exprimer.
Pour te retenir
sans jamais vouloir le faire, j'ai
frotté la pulpe de mes doigts sur
le crépi des murs de la vieille
ville, j'y ai saigné, laissant
ma trace
puis j'ai marché, bras ballants,
afin de les mieux gonfler de ce liquide
clair et tiède au goût d'acier doux.
Je voulais ne plus rien tenir jusqu'à
l'évocation de ce qui ne fut pas.
Ta voix en vers
lent qui guide tes lèvres et suspend
l'auditeur. Baudelaire de l'amour
et Apollinaire de la mort. Désir
retenu. J'écoute et réécoute.
Mes yeux, étrangers à la lumière
violente, se ferment et font pause.
Les vers ont lieu et prennent
une autre couleur par ta voix.
Syllabes finales qui s'étouffent
et exultent. Point d'orgue.
lundi 13 avril 2015
La mal normale
la phrase du prof de maths
était tombée comme un couperet.
Le varan, qu'on l'appelait, avec
sa peau bistre et ses yeux inexpressifs.
Parlait-il d'une volaille, ou d'un concours
de dégustation de boudin blanc ? Elle s'en foutait,
elle se foutait de tout ce qui émanait de lui,
d'ailleurs, regrettant au passage l'absence de
genre neutre en français. Elle n'aimait pas la norme,
funambule des nuits, prête à couper un daïquiri avec
du jus de framboise. Elle lui préférait le hasard des
rencontres et les enregistrements de chansons en prise
unique. Était-elle anormale pour autant ? S'il voulait,
s'ils voulaient. Elle se voyait bien en mal normale car
pour elle le bien était toujours unique, extraordinaire,
simple et entier, comme la photo d'un tableau chipée
dans un appartement à l'heure où les chiens pleurent.
Un homme et une femme
Ils se tiennent l'un contre l'autre,
sans cependant être amoureux.
À leurs côtés, assis, des instrumentistes.
Lunettes cristallines à monture épaisse,
l'homme bouge ses mains en mâchonnant
ses mots. Sa langue est seconde,
riche, épaisse. Il a mille ans,
qui déjà étonnait mes treize ans.
La femme, pâle, se campe sur ses jambes,
svelte poterie aux anses d'albâtre.
Son visage fin est modelé par sa voix,
regard extatique, comme aliéné.
De ses mains larges et imprévisibles,
l'homme menace la stature basse
de sa compagne d'un chant qu'il
rassérène paradoxalement.
J'oublie le temps et les chronomètres.
Le temps est passé, je ne le savais pas.
Quand
quand on redoute la fin,
Quand la nuit avale les mots
à peine formés et que la salive
sèche sur la harpe remisée. Quand
les vers n'ont plus de mètre et que
le carnet se referme sur sa spirale
torsadée, alors je sais que tu m'attends,
un brin, cherchant dans les rides de ma peau
les vers libres qu'un autre, un matin, chantera.
Une dernière cigarette
puis viendra le sommeil.
Alors la pièce d'appartement
éteindra ses rougeurs. Dehors
la réclame tournera sur son axe
et tu l'entendras un temps, avant
de sombrer et d'inscrire le présent
dans le passé.
Rouge
Rouge comme tes lèvres un soir d'avril,
assoiffées d'eau fraîche au terme de la route.
Rouge comme le maroquin d'un ministre assoupi
et qui dégueule des mots d'amour sur des lignes
de chiffres biffés, toujours et encore.
Rouge comme l'espoir du voyageur égaré, derrière
le mont Carmel, au Coll où ne passent plus guère
que d'hypothétiques bus verts et sans étape.
Parenthèses
jumelles jalouses de leur sœur,
les parenthèses démultiplient.
Ce que l'on prendrait pour une
incise, une précaution courtoise,
n'est en fait que le désir d'être
plusieurs voix en une seule. Hugo
voulait mettre un bonnet rouge
au vieux dictionnaire, moi je veux
des guirlandes aux parenthèses jolies.
Alors seulement, je pourrai, si le cœur
vous en dit, danser ailleurs, comme ici.
Étape
que l'on n'attendait pas, pas si tôt du moins,
la porte passée, le vin y est frais, gouleyant.
D'improbables rencontres s'y tiennent et on devise
comme l'on joue aux dés. Nous ne parlerons pas de la
route mais des autres chemins où, de la même façon,
l'étape naquit sans que l'on n'y prît garde. Et d'étape
en étape, la terre se revêt d'un pays choisi, où il fait
bon vivre, à petites lampées. Et pas pour l'éternité.
dimanche 12 avril 2015
Un sachet jaune
onctueuses, à peine entamé, et
obligeamment offert à notre
troupe de bohémiens improvisés.
Un sachet jaune odorant. Entre
le pouce et l'index, la madeleine
fond qui rassasie un brin et délie
les langues. Rhapsode d'un soir, tout
à mes vers, j'oublierai ce sachet jaune
sans qui, assurément, ce jour fût différent.