«Je vous aime, m'aimez-vous ?»
- Changez de verbe, je vous prie,
il obnubile la leçon que vous
prétendez me donner.
«Je vous dévisage, le voyez-vous ?»,
Cela vous convient-il à présent ?
- Mais vous avez changé de verbe
entre les deux propositions.
- Qu'importe. Là n'est pas la question.
La leçon porte sur les pronoms. Pas
sur les verbes. - Soit, alors, qu'avez-vous
à m'apprendre, à m'enseigner ?
- Voyez-vous, mon maître Benveniste...
- Ça commence mal...
- Mon maître Benveniste disais-je, voyait
dans les pronoms des formes vides que l'on
incarne en les proférant, à la façon d'un
faux-nez en carton. - Il a dit ça ? - Non,
le faux-nez est de moi. - Je vous reconnais
bien là, vous sentez l'imposteur à plein nez.
-Ainsi, quand je dis « je vous aime» et que
vous me répondez pareillement... - Eh bien,
ça ne risque pas d'arriver, mon cher ami,
permettez-moi de vous dire que vous vous
fourrez le doigt dans l'œil. - Mais, je le
répète, ce n'est qu'un exemple, l'important
c'est que le pronom ne change pas mais la
référence qu'il désigne oui.. Avec son souffle,
sa salive, un léger tremblement dans la voix
et des frissons sur sa peau. - Ne vous échauffez
pas, cher ami. J'ai compris. Et ce Benveniste, où
puis-je le trouver ? - Il est mort, il y a quarante
et-un an. Je vous prêterai son livre, si vous le
voulez bien. - C'est entendu, cher monsieur, mais
ne vous rapprochez pas autant et regagnez votre
chaire. - La chaire est triste, et j'ai lu tous les
livres.