jeudi 23 mars 2017

En tête

Chacun s'était posté en tête.
Trains distincts, heures exactes.
Les rails étaient vides quand elle

s'installa. En tête d'un fantôme de
fer. Il arrivait, ignorant des voies
la précision vasculaire. Elle savait

parfaitement où il descendrait. Pourtant
quand, né à la lumière, il l'aperçut, elle
était en amont. En tête. À hauteur de la

vitre baissée d'un conducteur rougeaud.
Elle lui parlerait plus tard de leur
précipitation, du torrent des mots qu'ils

avaient retenus. D'encre avait été leur nuit,
le jour exigeait qu'ils en écrivent la geste.
Ils n'avaient, en tout et pour tout, que dix

petites minutes et une frange de goudron parmi
les voyageurs pressés. Il lui parlait, mais, à 
goulées lentes, il avalait ses mots à elle, ses

aigus ravissants, ses points de suspension. Sans
jamais se le dire, ils surent que le temps leur
serait donné, que plus tard, dans un wagon sale

et malodorant, dessous la capitale, elle fixerait,
précisément, le rythme de leurs échanges. Il y
souscrirait. En tête, toujours en tête. Avec lenteur.