jeudi 30 mars 2017

Cardinaux

De part et d'autre de ma couche,
de deux en deux, sont mes points
aimés. Au Nord est la vitre close

que juin, parfois mai, ouvre enfin,
vers les trains régionaux qui ronflent
fort avant que de s'abîmer un temps dans 

le tunnel du Malpas. Au Sud, une cloison
claire, vierge. Derrière sont mes enfants,
quand ils m'offrent leur visite et qu'ils

y écrivent leur vie et leurs secrets à l'encre
sympathique, de leur père invisible. À l'est,
une création ; à l'ouest une reproduction, toutes

deux mes cardinales inclinations. La première est un
village côtier au levant, grammaire essentielle pour
apprendre aux plus petits à se situer dans le monde

et dans les mots : «Le ciel, la mer, les arbres, les 
maisons : très joli.», l'enfant dans une main ferme,
contre le cœur serré, l'autre main enseignant la toile.

La seconde de Van Dongen porte la signature et ces couleurs
qui guident ma vie. Ma préférée, le rouge vif, de passion
et d'instinct, de mouvements brusques du cœur et de la plume.

Derrière, comme un fond nécessaire, le bleu qui me structure
et me protège, relativisant tout dans un moyen terme suggéré.

Un homme et une femme sans visage se reposent après l'amour.
Courbes, cassures, sous l'impassible dualité d'inséparables
qui leur donne teinte et galbe. Tel est mon monde. Secret.




mercredi 29 mars 2017

Ecce mulier

Elle ne danse pas, pas encore,
le carreau froid l'appelle qui
exige, comme chaque jour,

l'exercice. Son dos se voûte,
tête de jade aveugle dont la
chevelure blonde rassemblée

ne serait que le satellite
délaissé. Tension parfaite
des jambes. Muscles et tendons,

courbures sous la socquette. Pourquoi
sens-je tout à coup une tendresse
inextinguible pour ce dont je n'ai

pas encore parlé, ces bras qui
implorent grâce et n'ont plus rien à 
donner, ces bras égaux et différents,

dont naguère j'ai caressé les doigts
lents et un brin alanguis, comme si,
à la danse, ils voulaient m'initier.



Si mon grand-père...

Si mon grand-père avait été coiffeur,
au lieu de cafetier, ma soif de vie 
s'en trouverait-elle changée ?

Je me souviens du casque que ma mère
disposait chaque mardi sur la tranche
de la porte sans que je ne comprisse

vraiment comment il tenait. Hiératique,
elle s'y tenait des heures avant de nous
ravir de son port de reine. Mais Pépé,

mon grand-père adoré ? Les exemples me
manquent, même celui de Roger qui me
coiffa pendant vingt-six ans, du temps

que j'avais une abondante chevelure. Non,
je pense au mari de la coiffeuse et à 
Jean Rochefort, si éloigné de Pépé.

Je ferme les yeux, écoute le scintillant
mouvement des lames de Nogent, respire
à pleins poumons, la lotion capillaire

et entends Oum Khalthoum, la divine, l'unique,
cette autre La Callas, sans qui ma vie, je 
crois, n'aurait pas été tout à fait la même.

Aime et ris

Aime et ris, sans trêve,
aux heures sans aiguille.
Ton enfant revêt désormais

les atours d'un homme. Son 
aîné parti, il délaisse les
antiques chamailleries et

rivalise de soins pour te
rendre le soir agréable. Son
père, harassé, dort déjà.

Vous vous êtes rapprochés sur
le canapé de peau claire et
vous regardez, en riant,

les gags hilarants d'un comique
de chez toi. Aime et ris. Son prénom, 
une nouvelle fois, de toi s'incarne.

Un poignet

Un poignet fin, cassé, de gymnaste
ou de danseuse. Le visage, parfois,
y repose et la conversation, soudain,

s'alanguit. Les mots sont sphères de
couleurs que supportent un câble
d'acier doux ou un filin tressé.

Ce poignet, inouï, d'une beauté parfaite 
et que, plus tard, les baisers, oublieront,
et port d'attache pour un flâneur des deux

rives qui, à défaut d'un semblable, s'en
invente, jour après jour, pour, d'une
danseuse s'inventer le tournis.

mardi 28 mars 2017

Deux crêpes

Une table de formica
rose, comme la desserte
d'une poupée qui aurait

grandi, une table à cinq
autres pareilles mais qu'un
goûter à deux isole et renchérit.

Le thè tiédit dans la porcelaine
fine, insensible au tracas d'une
fin d'après-midi. Les assiettes,

de faïence blanche, larges, peinent
à contenir un drap patiemment
plié. Il serait illusoire de chercher

à savoir de quelle armoire odorante
il a été tiré. Ce drap soigneusement
plié, ivoire, marbré, saupoudré de

poudre fine, est de lait et de froment,
de beurre et d'œuf. Il fera votre délice,
que dis-je, il l'a fait. Les heures ont passé.

De vos souvenirs, l'armoire l'a ravalé, mais 
de lui, dédoublé, demeure, le chaux souvenir,
d'une belle après-midi à deux partagée.



Pons maximus

Un pont, un pont d'air
entre un continent sombre
et une île toute verte.

Un pont qui conduit Maxime
en Irlande, tard le soir.
La maisonnée dort déjà,

toi tu veilles. Jetant aux
orties le genre des vieux
dictionnaires, tu t'ériges

en pontifex maximus, en gardienne
de ce pont sacré. Départ, essor.
Ton enfant, déjà homme, s'arrache

à la rouge cendrée du stade au
nom de marathonien. Ses muscles
sont saillants, sa foulée te

dépasse. Spring. Printemps viride
et viril. Voici que, par delà le
pont, il s'épanouit. Et songe,

songe un instant, à présent que tu
t'es assoupie, que tu as relâché,
un brin, ta vigilance de pontife,

qu'il te reviendra neuf et inchangé.
Tu lui apportais tant ; à présent,
goûte sa fierté d'enfin te diriger.

dimanche 26 mars 2017

Entre-deux

Délices de l'entre-deux.
L'heure affichée est-elle
déjà la nouvelle ou bien

l'hivernale ? Qu'importe.
L'avion vole haut et les
oiseaux moqueurs se

taisent un brin avant de
reprendre leurs trilles
intemporels. Si jamais

Je sortais courir un brin,
de la cuisson du pain,
je serais assailli, tandis

que, sur le lac et sous la
brume, les cygnes passeraient
gravement, ignorant mon tracas.

Un sourire

Un sourire. Loin, très loin,
bien au delà du Rhône, dans
un lieu où les personnes très

âgées de leur jeunesse viennent
parler, mes poésies à une amie
ont été confiées. Un sourire en

est né. Silencieux. Qui ne dit mot
consent. Et ma nuit, d'une heure
raccourcie, de vous s'est colorée.

samedi 25 mars 2017

Ballast mon amour

L'amandier en fleur tente
pourtant nous gravirons
le remblai parmi ronciers

et orties. En haut, chevilles
griffées, nous attendra la
parallèle d'acier doux poli

par les express. Et sous elle,
des roches plutoniques brisées,
serrées, grasses d'années de

fioul. Je t'y cueillerai du regard
les plus belles de mes fleurs,
des coquelicots rose pâle

Du regard seulement; les couper,
les détacher, les tuerait. Et je t'en
ferai un bouquet inavouable.

Ton cheval au galop

Dans un cahot, le vieux métro sur pneus
avait emprunté la longue courbe terminus.

Les rares voyageurs croisaient des rames
aveugles, silencieuses, garées dans l'attente
d'une aube meilleure qu'il connaîtrait après

les longs devis. Il n'y avait guère plus de
sept stations, l'une d'elle se fit interminable
avant que la sirène ne les délivrât tous.

Elle s'en inquiéta, ou en fit mine, et lui envoya
ces mots : «Si tu restés bloqué, je viens te 
délivrer avec mon cheval au galop».

Dans un ultime cahot, le vieux métro fit halte.
Là haut, la bergère des ponts, galbée, scintillait.

vendredi 24 mars 2017

Un coup de dés

Dans ma main trois dés aux faces égales,
de six points. Sur la table, dix-huit trous,

ah le beau golf. Joue et combine, de trois
à neuf. Du pareil au même. Les résultats

se moirent égaux, mirage de l'identique,
car le poignet n'est jamais le même et

le temps, aussi incertain que continu,
de faire de ces points la robe féminine

d'un petit parapluie qu'un joueur inconnu,
sur un conseil, n'acheta pas, pour son bien.

Un repas, deux amours

Bien sûr il y eut la braise
commune, le chef jouant des
maniques et des broches.

Mais je retiens de leur repas
la couleur des assiettes pleines
et assorties, le silence des

regards. Amours croisés de la fille
et de la mère. Anniversaire inversé,
la fille fêtant la venue au monde de

celle qui à son tour l'engendrerait.
De ces heures, ne demeurent à mes yeux
que deux photos, lointaines et tiédies.

Et les mots de chacune qui, sans jamais
en parler, me livrent le détail de ces
tendres agapes au parfum de ripaille.

Du bois et des couleurs

Des joies et des douleurs passées,
ont volé, jusqu'au drap clair des
effluves légers. Il n'en demeure,

dans les rues où je marche seul, 
songeur, que des images de bois
et de couleurs. Qu'est le souvenir

sans la voix qui le porte, ses aigus,
ses cassures, entre journaux du matin
et quotidiens du soir ? Ta vie m'était

inconnue, sa trace s'imprime dans le choix
des mots, parfois surannés, des chansons
et des musiques parfaitement ajustées.

Et du vingt-deux au vingt-cinq septembre,
je saute à cloche-pied, tirant de ta poche
la craie qui de la marelle va de la terre

au ciel. Paix des heures vécues ensemble,
paix des cheminements disjoints dans cette
ville commune et libre qui sonne comme un pari.

jeudi 23 mars 2017

Goei Reis

Le voyage fut souhaité.
Bon. Le train filait.
Vitres froides, sans
lueur ni âme.

Les heures passèrent,
peu à peu les voyageurs
s'en furent. Et je me
retrouvai seul 

sur le quai d'une ville
inconnue. Les lampadaires
recouverts de tulle faisaient
une lumière singulière,

pareille à ces lanternes sourdes
des matelots égarés. Je compris
alors que mon voyage n'avait
pas cessé, qu'il continuait

en d'autres lieux, sous mon
crâne, pareillement. Un voyage
d'hiver au printemps. Je songeai
un instant à Schubert 

et à l'amie à la voix lente qui,
sans nulle insistance, me guidait
vers de nouveaux trajets. Il faisait
froid. Mars finissait. J'étais bien.

Galbe

Interminable jambe
de fer riveté. Galbe
croqué  par dessus 

les toits. Mansarde ou
ample baie, qu'importe
le spectateur, ou sa

spectatrice. Le galbe de 
la tour retient la raideur
des immeubles. Racines.

Passé moussu des antiques
marais. Le ciel la courtise
sans jamais oser l'offenser.

Rodomontades de plomb, illusions
cotonneuses. Il y a du Canson là
dessous. Personne aux balcons et

le galbe est dépeuplé. Silence du
regard de qui contemple et n'aurait
pas dû être là. Est-ce toi ?


En tête

Chacun s'était posté en tête.
Trains distincts, heures exactes.
Les rails étaient vides quand elle

s'installa. En tête d'un fantôme de
fer. Il arrivait, ignorant des voies
la précision vasculaire. Elle savait

parfaitement où il descendrait. Pourtant
quand, né à la lumière, il l'aperçut, elle
était en amont. En tête. À hauteur de la

vitre baissée d'un conducteur rougeaud.
Elle lui parlerait plus tard de leur
précipitation, du torrent des mots qu'ils

avaient retenus. D'encre avait été leur nuit,
le jour exigeait qu'ils en écrivent la geste.
Ils n'avaient, en tout et pour tout, que dix

petites minutes et une frange de goudron parmi
les voyageurs pressés. Il lui parlait, mais, à 
goulées lentes, il avalait ses mots à elle, ses

aigus ravissants, ses points de suspension. Sans
jamais se le dire, ils surent que le temps leur
serait donné, que plus tard, dans un wagon sale

et malodorant, dessous la capitale, elle fixerait,
précisément, le rythme de leurs échanges. Il y
souscrirait. En tête, toujours en tête. Avec lenteur.

mercredi 22 mars 2017

Du pareil au même

Amour ou amitié ? quelle question.
Je vous écoute vous la poser dans
la glace. Vos lèvres bougent qui

ont gagné en pourpre. Vos yeux dans
vos yeux, de vous à vous, vous vous
abîmez dans le questionnement.

Je souris. Quel délicieux babil.
La phrase se répète et vous m'aimez.
Toujours. D'amour ou d'amitié.

Pierres

Dressées, petites. J'ai glissé 
deux pierres chez vous sans savoir
où vous les disposeriez. Pierres

vives et silencieuses qui ne s'animent
que d'un mouvement lent du pouce qui
ouvre et feuillette. L'index, alors,

le rejoint et cueille au hasard un
cristal de quartz ou une fine lamelle
de mica clair. Vous vous penchez et

entreprenez de lire, au hasard. Le seul
choix sûr. Paul-Jean Toulet. Le lit y
est vaste et dévasté. Le saviez-vous ?

Autre chose

D'autres lieux, d'autres vins, les mains
se frôleront sans se toucher. Ailes de
mouettes à l'approche du rivage.

Souvenirs atlantiques. Envolés. Elles 
reprennent leur vol et lèvent un autre
verre. Hasard ou coïncidence ? Qu'importe.

La pâte a levé, les convives s'approchent
de la tablée. Ils sont deux qui, un jour,
se sont rapprochés et vingt qui en naquirent.

Ubiquité

Deux jours. Trois demi-journées.
Il ne la vit pas plus mais à chaque
lieu qu'il se rendit, il la trouva.

Égale, élégante, à la parole lente
et vive. D'Inde en Italie en passant
par l'est du Maroc, elle accompagnait

chacun de ses repas d'un bon mot, d'un 
regard soutenu. Il finit par ne plus 
sentir la présence de l'ami fidèle

qui les avait fait se rencontrer après
une bonne année de références croisées.
L'ami parti, comme un hommage, il la

joignit, par le canal digital, elle lui
donna son téléphone dont il fit bon usage.
Il décida, dans un premier temps, de ne pas

l'appeler, de laisser tranquilles leurs voix,
et, pour elle, de choisir des mots à écrire,
comme galets en chemin ; et, maintenant, les  voici.

Discrètement

Discrètement le printemps avait brodé des fleurs
sur son fin chemisier blanc. Ils ne se connaissaient
que par des mots échangés sous la lampe claire.

C'était leur première entrevue, par d'autres préparée.
La pièce était austère, dérangée par des fâcheux
inopinés. Ils échangèrent peu, se protégeant, chacun,

derrière une commode fonction. Elle ne le regardait pas,
il la regardait peu, à la dérobée. Pourtant quand elle entra,
il lut dans son regard, toute une vie que le temps eût pu écrire.

Une démarche

Qu'importe la ville, ses quartiers,
ses artères larges ou étroites.

J'aime imaginer des amis qui la tissent
de leurs pas serrés, à la cadence vive.

Bruits alentour, odeur prégnante des fours
chauds. Ils vont et devisent. Les rues, nues,

se vêtent à leur passage d'une vision appariée.
On les dirait étrangers à l'urbain. Pure démarche.

Ne vous y trompez pas, ils emmagasinent des détails
que, plus tard, chacun de leur côté, et revenus à

la vie quotidienne, ils recomposeront en ensemble
harmonieux, dans l'attente de les pouvoir revivre.

mardi 21 mars 2017

Elle pleure

Elle pleure. Chez elle.
Elle vient de lui parler.
À lui, son adoré.

Ses cheveux étaient blonds
et blondes ses pensées.
Elle lui a parlé, a rayé de sa vue

le regard espéré. Que longues sont
les heures, désormais, Mais qu'il était
beau quand, naguère, il l'attendait.

Un retour

Espéré, souvent dessiné,
d'une main maladroite.
Le retour du printemps,

en relief, un jour plus
tard, dans les flonflons
des bals improvisés. Il y 

aura des marches sur le
gravier, des escaliers
gravis puis descendus,

des rencontres. L'esquisse
des anciens mouvements
enrichis par l'attente.

Profitez, je vous prie, de
ces instants de retour et
donnez à votre corps le repos

mérité, dans l'efflorescence
neuve d'un printemps désormais,
à plusieurs, revisité.

No em diguis

No em diguis «t'estimo»
per omplir el buit sonor
dels esguards.

Espera. Invita'm a passejar
a la fresca, a la vora del
mar. Ensenya'm el nom de

les petxines que esclafem,
sense adonar-nos-en, mentre
caminem de bracet, lentament.

No em diguis «t'estimo»,
parla'm del vol dels ocells
lents i majestuosos.

Inventa la xerrameca confusa
dels insectes nouvinguts que
esclafem, sense adonar-nos-en.

No em diguis «t'estimo»,
aprèn a estimar, calla't i cull,
del ram, l'absent esperada.

Une journée d'échanges

Le printemps était entre les rails
polis. Dans les herbes poussiéreuses
et les fleurettes jaunes insensibles

au vacarme des convois de marchandises,
hétéroclites assemblages de parallélépipèdes.
Ils échangeaient des mots, des sensations,

ignorants de la vie qui, là-bas, déjà grouillait.
Des portraits se croisèrent, sans complaisance
aucune. Ecce homo. Mulier et vir. Miroir

de sorcière qui croit dessiner un futur dans
l'examen des vestiges d'un passé engagé. 
Les mots  s'échangeaient. Les sourires fleurissaient.

Un regard étranger, se portant tantôt sur l'une,
tantôt sur l'autre, en eût établi avec certitude
la gémellité. Les mots de la tribu étaient usés

qu'ils se refusaient à employer. Spring. Pulsion
de vie d'entre la mort. Herbes rudérales aussi
belles que leurs consœurs des champs. Il n'est

de peau qui se ride ou de cheveu raréfié qui ne
vale mille fois le prix des impostures à l'écran
affichées. Échanges. Toute une journée. Et la nuit

qui soudain les avale, chacun dans ses appartements.
Un regard étranger, se portant tantôt sur l'un, tantôt
sur l'autre, les eût aimés. Assurément.

lundi 20 mars 2017

Un dialogue ferroviaire

Que longue est la route de fer argent,
patiemment poli par les roues des express.

Et que dense est le dialogue qui y lie les
amis, les amants. Aimants magnétqiues attachés

au fer quai avance. Échange aveugle de souffles 
et de doigts mêlés. À deux, à mille, les intelligences

cliquètent. Passion exacerbée mais contenue dans l'étroite
limite s'un siège inconfortable. Plaisir partagé. Avance.

Tot llegint, tot escrivint

La meva tinta no és pas de sang ni de suor.
Beu de les vides alienes, pròximes o casuals.

La millor, la més blava i espessa, ve de les
persones estimades: veu, gestos, escriptura.

No conec pas el teatre. El seu món, la seva
gramàtica. I si a vegades em veieu en funàmbul

de circ, no és mérit meu. Hauré llegit una amiga,
o un amic, hauré tractat d'entendre l'univers per

la seva mà pacient o bullint. Deia Cioran que s'havia
fet secretari de les seves sensacions. Jo poeta dels amics.

Desig / Désir

No em parlis de desig, és una paraula vana
si no la fas teva. Deixa'l córrer, viu, com
una serp, o com la sang per les venes del cos.

Interroga'l sense mots, sense preguntes, sense
cap moviment de celles. Ni un pessic de llenguatge
que no sigui del cos desitjós. Tautologia. Deler.

Delit. Delicte contra el que no poden res els jutjats.
I no em diguis qui n'és l'objecte, que els objectes
són freds i secs. I el teu desig te designa i et signa.

***

Ne me parle pas de désir, c'est un mot vain si
tu ne le fais pas tien. Laisse-le courir, vif, comme
un serpent, ou comme le sang dans les veines du corps.

Interroge-le sans mot, sans question, sans
aucun mouvement des sourcils. Ni une pincée de langage
qui ne soit du corps désireux. Tautologie. Passion.

Délice. Délit contre lequel les tribunaux ne peuvent rien.
Et ne me dis pas qui en est l'objet, car les objets
sont froids et secs. Et ton désir te désigne et te signe.

dimanche 19 mars 2017

Rue avec orangers

Ne cherchez pas son nom,
il importe peu. Guidez
plutôt vos pas vers une
place petite, version

humble, comme réduite,
de la Place Royale de 
Barcelone. Comme si vous
jouiez aux quatre coins,

essayez chacune des rues
qui s'y abreuvent jusqu'à
découvrir dans le feuillage
des arbres qui bordent l'une

d'elles, des fruits lourds et
vernis, couleur de potiron. Ce
sont des oranges qui font un lien
subtil entre hiver et printemps

et donnent au soir une lueur inouïe.
Je les ai vues à l'heure de l'apéritif.
Non loin, des anciens prenaient un verre

de vermouth épais, signé d'une tranche du
fruit. Mes hespérides s'y trouvent qui se
moquent bien de l'atlantique herculéen. Et
mes orangers sont les vôtres, ma tendre amie.



Barcelone la nuit

Comme la Vénus aux tiroirs
de Dalí, aux bois fermés sur
mille pelotes.

Comme un théâtre grec dont
les rideaux tirés à l'est et au
sud cacheraient la vie

aux yeux des insomniaques
telle est la ville. Les cris longs
des ivrognes esseulés sont

balises pour de rares camions
des marchés. L'air est lourd qui
naguère s'emplissait de rires et

de bulles. La parole, bilingue,
polyglotte n'est plus que dans
le lent cliquetis des réclames

en façade. La nuit des fêtards
n'est plus et le matin industrieux
n'est pas encore. On se pencherait

à la fenêtre que l'on croirait percevoir
l'odeur un peu âcre de la pâte qui lève
dans un dimanche d'hiver, l'ultime

avant que le printemps ne prépare des
pas neufs. Les bars sont éteints, le ciel
est d'encre et les vagues sont muettes.

Où est la Bar-Cel-Ona des jeux ? 
Mariscal l'a quittée. Mais elle demeure
aux fanions qui en proclament l'auguste

jubilé. Le rideaux sont tirés, sur l'antique
théâtre. À l'est et au sud. Un dimanche 
de mars les ouvrira, je sais.

vendredi 17 mars 2017

Une revue

Épaisse, à couverture glacée,
elle prend toute la largeur
de la tablette noire.

Le train avance et, malgré 
les cahots, elle ne bouge pas.
Soudain, une main la saisit

et fait passer les pages vivement,
à la façon d'un éventail de juillet.
Schémas, paragraphes serrés, notes

de bas de page. La main a une voix,
celle d'une femme aimable et passionnée,
elle m'explique l'économie de moyens.

«Le cancer de Madame X» devient «le cancer X».
Et pourtant cette voix que je ne connaissais
pas, il y a quelques minutes, m'en restitue

toute l'humanité, commme le café lyophilisé 
retrouve en bouche saveur et texture. «Science
sans conscience n'est que ruine de l'âme.»

Crépusculaire

Il eut fallu un voyage,
côte à côte, entre deux
inconnus pour parvenir

à ce cliché en larges
bandes de couleurs.
La mer épaisse et ses

ridules, le sable évanoui,
fondu au noir, et de grêles
végétaux. L'heure des possibles

où l'œil force la vue. En rougissant,
l'air se dore avant de refroidir brusquement
pour un temps. Vigies muettes,les réverbères

l'attendront toutes la nuit. Les congressistes et 
vous alors dormirez, oublieux de l'aveugle trouée. 
Au matin, vous seule, vous vous en souviendrez.


Frontières

Pas la lame de rasoir
du politique. Ni le sang
de la jeune Allemande

abattue entre Cerbère et
Port Bou par la Garde Civile,
l'été 1975.

Non : une large marche, progressive,
un entre-deux fécond où les langues
se chevauchent, se mêlent et communient.

Une cuisine de mer et de montagne où l'on
boit le muscat à la régalade, cependant que
sur le grill, à même la route, les escargots,

dans leur coquille, cuisent à petits bouillons.
Je ne pourrais vivre sans frontière et, nonobstant
la facilité, parfois je regrette la bourse de pesètes

contre des francs échangées. Les promenades dans les
Albères, les deux plats de l'hôtel Francia. Le tabac de
ma mère et de Gabriel García Márquez, Cent ans de solitude.

Corbières

Si basses, si blanches,
usées par le regard des
voyageurs qui les longent.

Je vous y emènerais bien,
si nos pas nous y portaient.
Je vous sais gourmande. Nous

dégusterions à même la cassole,
accompagnant chaque bouchée d'un
trait de Fitou. Qu'il est doux

de vous y imaginer car les Corbières
sont ainsi : désertes, silencieuses,
accueillantes derrière l'apparente

barrière du calcaire et des épineux.
D'ailleurs, existent-elles bien ?
Je lève les yeux. Et ne les vois plus.

Volve

Comme une volve entre les doigts,
membrane ou tégument léger, qu'une
pression suffirait à abolir,

ainsi dans les heures du sommeil,
je tiens votre conscience. Monde
préservé, plus précieux que l'or.

La volve n'a pas d'odeur, les doigts
qui la pincent et la caressent lui
en inventent une. Du pareil au même,

de vous à moi à partir du vous à vous.
Au matin, il ne restera de la volve
qu'une pulpe légère. Entre nos doigts.

jeudi 16 mars 2017

Vous ivre

Il y a de la vouivre dans le vous,
une douceur, une distance respectueuse,
des pupilles vertes sous la capuche de

bure. Le vous est la norme entre ceux
qui ne se connaissent pas et œuvrent
de considération. Et quand l'intime

se glisse, le tutoiement prend le pas,
gommant aspérités et délices. Parfois,
de très rares fois, le vous demeure,

s'impose, s'imprime puis s'insinue. 
Plus voussoyante que vouvoyante,
la langue recèle des plaisirs cachés.

Tout est alors prétexte à se voussoyer,
dans l'écrit, bleu outremer sur feuilles
à carreaux, ou dans la conversation, au

grand dam de ceux qui nous tenaient pour
plus intimes. Oui, il y a de la vouivre
dans ce vous. Serpent qui siffle ou
protée qui protège. Alors, une fois seul,

on se répète à l'envi le vous à vous, on
le fait tourner en bouche jusqu'au tournis
qui vous enivre : Vous ivre.

Épuisements

Croisés, partagés,
sans honte ni gêne,
la main est lente

et l'esprit vole.
Fermer les yeux,
une minute. Ou deux.

Laisser entrer le monde
par tous les sens. Odeur
du trèfle, froissement de

papier d'une friandise
à l'ombre dérobée. Et
une fleur, la plus belle,

violine, assonnance avec
un prénom de vous adoré
et sur lequel vous veillez.

Pâquerette

Martí court vers moi. Tout 
sourire, de sa démarche gauche.
Il a les mains fermées devant

lui et les ouvre soudain.
Dans chacune, une petite fleur.
Sans la tige qui encombre, une 

goutte d'or ceinte de blancheur.
Ce sont les présents de son cœur.
Sans un mot, courus sur le gravier.

Bien sûr les pâquerettes s'envoleront,
j'en perdrai les pétales et jusqu'au
noyau velouté. Mais en moi, à jamais,

je verrai mon petit qui court en souriant.

Urgence

Urgence du printemps.
De fleurs et de senteurs.
Jaillissement de la sève.

On range les vieux habits,
jusqu'à en faire craquer
les armoires normandes.

Et tant pis si la peau se
couvre de frissons, c'est
léger qu'on ira dans les

champs, les cuisses nues dans
des bottes trop amples parmi
les hautes herbes en quête

de fleurs rares. D'or et de
pervenche, on en portera la
tige à la bouche. Foin du

tabac qui pue ; du monde neuf
on veut les parfums. Les lieux
clos s'ouvriront, on laissera

les clés des voitures au vestiaire
et vous verrez, ma mie, que l'urgence
est la clé d'un printemps réussi.

De l'or dans la main

Vous avez de l'or dans la main.
Oh non, pas de ces lourdes
bimbeloteries qui tintinnabulent,

exhibant aux passants les fastes
d'une auguste lignée ou le fruit
compulsif d'une Harpagonne enivrée.

Votre or ne se voit pas et, n'était
le frôlement des doigts de votre
fine main, on le jurerait silencieux.

Votre or est fait de mots et de mois,
de patience, de déplacements soudains
pour protéger les vôtres. Le monde est

menace, parfois, et, de raser les murs,
il y a des lustres que vous avez refusé.
Alors vous avez décidé de les ouvrir,

ces mains, bien à plat, les paumes vers
le ciel. On en compte à chacune les doigts.
Cinq, cinq : dix raisons d'être riche en

courant les poches crevées. Un camion en
atteste où des regards portent une table
au curieux style... Elizabeth Deux.

mercredi 15 mars 2017

Haddock

Non, pas le capitaine barbu,
le poisson de l'enfance que
l'on dégustait froid, à Malo,

au carnaval, coupé épais sur un 
coin de fenêtre, nous embaumant
les doigts de son gras sortilège.

Nous sortions alors, mon frère et
moi, timidement masqués, jamais
bien loin des parents, des amis.

Le poisson est parti, au fond
de mon esprit. On le voit parfois,
triste et plat sous drap de cellophane.

Je m'en écarte et m'en dissuade. Ce que
je veux, c'est la tranche épaisse, coupée
d'un trait et mangée sur le pouce, alors.

Une besace

Souple, de tissu désuni,
frappée d'un sigle ancien
d'amour et pas de guerre,

elle contient mes feuillets,
épars, et trois mots, trois
mots tout simples, un herbier

de saison qui fait pleuvoir
en été et dorer en hiver ; 
je vous les destine à présent,

sans toujours les montrer.
La besace est ombreuse qui,
des envieux, saura les protéger.

Elle m'accompagne souvent, battant
mon flanc usé, de par toutes les
routes en curieux destrier. Si

de la nuit vous brisez le silence,
vous l'entendrez glaner des fleurs
et des galets, usés de tant de pas,

d'humaines remembrances. Tournez alors
votre visage sans dessiller les yeux,
ils frôleront vos paupières, un peu.