Sambucus, sambucus,
à l'ombre d'un sureau,
le joueur de sambuque
oublie les heures réglées
et fait de ses mille cordes
le tremplin de rêves alanguis,
au soleil turquoise du sud plat
d'une île amie où la lumière est
harpe et la mer caisse claire.
dimanche 31 mai 2020
Sambucus nigra
Saüc, saüquer, fruites
negres com uns ulls vius.
Sang de tinta que enverina
els dits i embriaga l'estoig.
Deixaràs l'arbust espés i ja
prepararàs la memòria del camp.
Saüc, saüquer, ocurrència tèbia
d'una escriptora al vespre, blanca
la pàgina àvida de negror.
***
Sureau, joli sureau, fruits
noirs comme des yeux vifs.
Sang d'encre qui empoisonne
les doigts et enivre le plumier.
Tu laisseras l'arbuste touffu et déjà
tu prépareras la mémoire de la campagne.
Sureau, joli sureau, tiède idée
d'une écrivaine le soir, blanche
page avide de noirceur.
negres com uns ulls vius.
Sang de tinta que enverina
els dits i embriaga l'estoig.
Deixaràs l'arbust espés i ja
prepararàs la memòria del camp.
Saüc, saüquer, ocurrència tèbia
d'una escriptora al vespre, blanca
la pàgina àvida de negror.
***
Sureau, joli sureau, fruits
noirs comme des yeux vifs.
Sang d'encre qui empoisonne
les doigts et enivre le plumier.
Tu laisseras l'arbuste touffu et déjà
tu prépareras la mémoire de la campagne.
Sureau, joli sureau, tiède idée
d'une écrivaine le soir, blanche
page avide de noirceur.
Deux poèmes de Roser Blàzquez Gómez
Roser Blàzquez Gómez est une romancière catalane aux débuts prometteurs -La volada del Pinsà, Bellaterra: 2019-. La poésie est l'un de ses jardins secrets. J'ai eu la chance de traduire deux de ses compositions brèves.
Peau à peau
(à la pleine lune d'août)
Quant ta lumière se fait caresse,
je reste nue devant toi.
Et dans l'étreinte complice
une larme d'argent.
Peau à peau,
notre solitude est lumineuse.
Au tilleul
(à l'arbre qui me manque et que j'aime)
Enlacée par le cœur à tes branches robustes,
je supporte vents, sécheresses et gelées,
avec l'unique espoir, résignée,
de renaître, encore un an, à ton ombre.
Peau à peau
(à la pleine lune d'août)
Quant ta lumière se fait caresse,
je reste nue devant toi.
Et dans l'étreinte complice
une larme d'argent.
Peau à peau,
notre solitude est lumineuse.
Au tilleul
(à l'arbre qui me manque et que j'aime)
Enlacée par le cœur à tes branches robustes,
je supporte vents, sécheresses et gelées,
avec l'unique espoir, résignée,
de renaître, encore un an, à ton ombre.
samedi 30 mai 2020
Comme un volet de marine
Comme un volet de marine,
en bois de chêne, gonflé
d'iode et de sel, le quai
aux livres s'est refermé
à l'approche du soir, et
le vent glacé siffle entre
le parapet et l'eau noire.
Au loin, frissonne Notre
Dame déflêchée. En retard,
encore emmitouflé par la loi,
le printemps ne régale pas
la bienveillance attendue
et les livres, sombrement,
tremblent de leurs pages
moisies, en attendant l'été.
en bois de chêne, gonflé
d'iode et de sel, le quai
aux livres s'est refermé
à l'approche du soir, et
le vent glacé siffle entre
le parapet et l'eau noire.
Au loin, frissonne Notre
Dame déflêchée. En retard,
encore emmitouflé par la loi,
le printemps ne régale pas
la bienveillance attendue
et les livres, sombrement,
tremblent de leurs pages
moisies, en attendant l'été.
Khamsa
Une main de fatma,
délicate, simple
et ciselée.
La nacre est en son
cœur, sans œil mauvais
ou bon. Tranchant sur
le velours bleu,
son royaume, elle
gouverne à une armée
de maillons graciles,
souples et taiseux,
tout disposés, jour
et nuit, à veiller sur
une enfant petite. Tafust,
Khamsa, cinq est la main.
délicate, simple
et ciselée.
La nacre est en son
cœur, sans œil mauvais
ou bon. Tranchant sur
le velours bleu,
son royaume, elle
gouverne à une armée
de maillons graciles,
souples et taiseux,
tout disposés, jour
et nuit, à veiller sur
une enfant petite. Tafust,
Khamsa, cinq est la main.
vendredi 29 mai 2020
Un vol d'oiseau
Un vol d'oiseau sur le papier.
Invisible. Glissant entre les
mots d'un article serré,
perdu au cœur du grand journal
du soir. Son lecteur s'est assis
dans un square, profitant d'une
pause opportune. Il somnole,
étranger à ces taches noires
sur fond blanc qui dessinent
un oiseau à mille lieues de ces
caractères enchaînés. Le lecteur
porte chapeau et veston.
Il ne sourit pas, tout aux affaires
de la nouvelle décennie, ignorant de
la vie qui, dans le midi, papillonne.
Invisible. Glissant entre les
mots d'un article serré,
perdu au cœur du grand journal
du soir. Son lecteur s'est assis
dans un square, profitant d'une
pause opportune. Il somnole,
étranger à ces taches noires
sur fond blanc qui dessinent
un oiseau à mille lieues de ces
caractères enchaînés. Le lecteur
porte chapeau et veston.
Il ne sourit pas, tout aux affaires
de la nouvelle décennie, ignorant de
la vie qui, dans le midi, papillonne.
Écrire et crier
La plume glisse et crisse,
comme un cri silencieux.
Odeur fade de l'encre,
mon index est souillé.
Je le porte à la bouche
et grimaçant m'écrie.
Que violette est la grotte
qui n'ose plus crier.
Il y a longtemps déjà,
la plume me blessait
et mon sang se mêlait
à l'encre bleue du soir.
La plume m'a quitté
et l'encre bleue est sèche
mais mon cœur se souvient
qui la saisit et crie.
comme un cri silencieux.
Odeur fade de l'encre,
mon index est souillé.
Je le porte à la bouche
et grimaçant m'écrie.
Que violette est la grotte
qui n'ose plus crier.
Il y a longtemps déjà,
la plume me blessait
et mon sang se mêlait
à l'encre bleue du soir.
La plume m'a quitté
et l'encre bleue est sèche
mais mon cœur se souvient
qui la saisit et crie.
Prendre le temps
Le temps m'avait abandonné,
refermant sa porte aux sourires
et aux pas. Des fenêtres s'étaient
ouvertes, dans la chaleur des voix
et des visages, mais l'essentiel
manquait. La marche lente, attentive,
le gravier sous la semelle, et les herbes
folles caressant le mollet. J'ai réappris
à marcher, une heure par jour, en devisant
avec la lune en plein jour. Le retour était
fourmillement, aussitôt couché sur le papier.
Alors j'ai décidé de prendre le temps, sans
nulle attention pour les frontières commodes
du jour ou de la nuit, et j'ai fait la planche,
yeux clos, dans une piscine bleu de France.
refermant sa porte aux sourires
et aux pas. Des fenêtres s'étaient
ouvertes, dans la chaleur des voix
et des visages, mais l'essentiel
manquait. La marche lente, attentive,
le gravier sous la semelle, et les herbes
folles caressant le mollet. J'ai réappris
à marcher, une heure par jour, en devisant
avec la lune en plein jour. Le retour était
fourmillement, aussitôt couché sur le papier.
Alors j'ai décidé de prendre le temps, sans
nulle attention pour les frontières commodes
du jour ou de la nuit, et j'ai fait la planche,
yeux clos, dans une piscine bleu de France.
Le deuil des cerises
Je n'ai pas voulu acheter de cerises.
Pas encore. Pas pour le moment.
Ni les acheter, ni les chaparder sur
le bord du chemin, comme nous aimions
le faire, Hadrien et moi. Les cerises,
dans mon souvenir, déclinent, sous les
doigts, la palette des rouges, depuis
la tendre enfance jusqu'à la bauxite
du couchant. Mon regard, à présent,
diffère le moment de les ravir, puis
de les croquer, yeux clos, en prenant
garde à ne pas avaler le noyau qui assure
la perpétuation de l'espèce. Ravissement.
Pas encore. Pas pour le moment.
Ni les acheter, ni les chaparder sur
le bord du chemin, comme nous aimions
le faire, Hadrien et moi. Les cerises,
dans mon souvenir, déclinent, sous les
doigts, la palette des rouges, depuis
la tendre enfance jusqu'à la bauxite
du couchant. Mon regard, à présent,
diffère le moment de les ravir, puis
de les croquer, yeux clos, en prenant
garde à ne pas avaler le noyau qui assure
la perpétuation de l'espèce. Ravissement.
Un château de cartes
Je dors peu, je suis gardien de nuit.
Mes murs ne sont pas de brique rouge,
ombreuse et épaisse, mais de bristol
brillant. Je veille sur un château de
cartes, sans figure ni chiffre, écrit
à la main, en lettres serrées et bleues.
Je veille sur des mots, de simples mots,
des mots uniques, clairs et emportés,
des mots aussi forts qu'un profil qui
taille la route ou qu'un étendard blanc
claquant au vent de mai finissant. Je suis
gardien de nuits, plus belles que des jours.
Mes murs ne sont pas de brique rouge,
ombreuse et épaisse, mais de bristol
brillant. Je veille sur un château de
cartes, sans figure ni chiffre, écrit
à la main, en lettres serrées et bleues.
Je veille sur des mots, de simples mots,
des mots uniques, clairs et emportés,
des mots aussi forts qu'un profil qui
taille la route ou qu'un étendard blanc
claquant au vent de mai finissant. Je suis
gardien de nuits, plus belles que des jours.
jeudi 28 mai 2020
Els quaderns de la mare / Les cahiers de ma mère
Els quaderns de la mare
no conten fets ni receptes,
però els escriu amb paciència,
dia rere dia, des del matí clar
fins a la nit més fosca. Callada,
concentrada, amb la lupa a la mà.
Els mots s'hi creuen, amaguen,
desvelen, sota el seu llapis
agut. Memòria de la llengua i
de la nostra societat. Límpida
intel·ligència del somriure
matern que tanca el quadern.
***
Les cahiers de ma mère
ne racontent pas de faits ni de recettes
mais elle les écrit patiemment,
jour après jour, du matin clair
jusqu'à la nuit la plus noire. Silencieuse,
concentrée, la loupe à la main.
Les mots s'y croisent, s'y cachent et
s'y dévoilent, sous son crayon
aigu. Mémoire de la langue et
de notre société. Limpide
intelligence du sourire
maternel qui referme le cahier.
no conten fets ni receptes,
però els escriu amb paciència,
dia rere dia, des del matí clar
fins a la nit més fosca. Callada,
concentrada, amb la lupa a la mà.
Els mots s'hi creuen, amaguen,
desvelen, sota el seu llapis
agut. Memòria de la llengua i
de la nostra societat. Límpida
intel·ligència del somriure
matern que tanca el quadern.
***
Les cahiers de ma mère
ne racontent pas de faits ni de recettes
mais elle les écrit patiemment,
jour après jour, du matin clair
jusqu'à la nuit la plus noire. Silencieuse,
concentrée, la loupe à la main.
Les mots s'y croisent, s'y cachent et
s'y dévoilent, sous son crayon
aigu. Mémoire de la langue et
de notre société. Limpide
intelligence du sourire
maternel qui referme le cahier.
L'Hortus
À F.
On dit qu'il était autrefois
un abri de fortune pour l'homme
préhistorique.
Chez moi, à cent kilomètres de
son berceau, il se couche parmi
d'autres flacons, à l'abri d'une
cabane en carton. Verre lisse et
tiède, étiquette de vélin blanc,
le vin attend patiemment
la réunion sabbatique. Bien loin
du tonitruant Champagne, il clignera
de l'œil à la caviste enjouée,
de Teyran ou d'Alès, qui m'en a fait
présent et à deux, quatre ou huit
amis qui me feront compagnie.
On dit qu'il était autrefois
un abri de fortune pour l'homme
préhistorique.
Chez moi, à cent kilomètres de
son berceau, il se couche parmi
d'autres flacons, à l'abri d'une
cabane en carton. Verre lisse et
tiède, étiquette de vélin blanc,
le vin attend patiemment
la réunion sabbatique. Bien loin
du tonitruant Champagne, il clignera
de l'œil à la caviste enjouée,
de Teyran ou d'Alès, qui m'en a fait
présent et à deux, quatre ou huit
amis qui me feront compagnie.
Herbes folles
Cadenassées les portes,
les édifices noircissent
et les parcs s'ennuient.
En apparence. Selon les
vieux critères. En silence,
la nature exulte.
Autrefois tracées au cordeau,
les allées se laissent déborder
et les herbes folles, légères,
se peignent au vent de mai
finissant. Les rudérales qui,
naguère, portaient la voix
de la nature, entre les pierres
d'homme mal jointoyées, paraissent
soudain rabougries, insignifiantes.
Bientôt, la faux des cantonniers
y mettra bon ordre et la vie,
en apparence, reprendra. Comme
avant, comme il y a peu. Mais dans
mon âme, les herbes folles danseront
sous le vent de juillet.
les édifices noircissent
et les parcs s'ennuient.
En apparence. Selon les
vieux critères. En silence,
la nature exulte.
Autrefois tracées au cordeau,
les allées se laissent déborder
et les herbes folles, légères,
se peignent au vent de mai
finissant. Les rudérales qui,
naguère, portaient la voix
de la nature, entre les pierres
d'homme mal jointoyées, paraissent
soudain rabougries, insignifiantes.
Bientôt, la faux des cantonniers
y mettra bon ordre et la vie,
en apparence, reprendra. Comme
avant, comme il y a peu. Mais dans
mon âme, les herbes folles danseront
sous le vent de juillet.
Un petit-déjeuner
Et la lune a disparu,
au petit matin, noyée
dans un ciel laiteux
et froid. Tintement de
cuillère contre la dure
faïence de la voûte
céleste. Un nuage de thé,
souvenir de la nuit, et
le jour peut commencer.
au petit matin, noyée
dans un ciel laiteux
et froid. Tintement de
cuillère contre la dure
faïence de la voûte
céleste. Un nuage de thé,
souvenir de la nuit, et
le jour peut commencer.
mercredi 27 mai 2020
Jamais deux sans trois
Une marelle du soir,
de la terre à la lune.
À cloche-pied, sans
palet. Et un, et deux,
et trois. L'astre atteint,
les yeux commencent à se
fermer. Et que vive la nuit
et ses paupières demi-lune.
Poussière d'étoiles en guise de
maquillage, marchand de sable.
de la terre à la lune.
À cloche-pied, sans
palet. Et un, et deux,
et trois. L'astre atteint,
les yeux commencent à se
fermer. Et que vive la nuit
et ses paupières demi-lune.
Poussière d'étoiles en guise de
maquillage, marchand de sable.
Tombée du soir
J'aime le soir qui tombe tout à coup,
la lumière de la pièce qui boit et
efface la fenêtre derrière les rideaux
de percale et cette subite envie de
passer la porte et d'épouser la fraîcheur
soudaine de la nuit. Silence trompeur qui,
bien vite, cède le pas à de menus bruits.
Une vie neuve se lève et croît sous les
pointes fécondes de la lune en croissant.
la lumière de la pièce qui boit et
efface la fenêtre derrière les rideaux
de percale et cette subite envie de
passer la porte et d'épouser la fraîcheur
soudaine de la nuit. Silence trompeur qui,
bien vite, cède le pas à de menus bruits.
Une vie neuve se lève et croît sous les
pointes fécondes de la lune en croissant.
Un croissant de fin de mois
Comme un drapeau claquant au couchant,
la lune encroissantée. Deux pointes,
un sourire de guingois et c'est la nuit
qui amorce sa fête. Peu la voient, Dame
la Lune, mais les nuques qui se tordent,
en cachette, saluent l'astre du soir.
Les volets sont tirés, les habitants se
sont repliés, la nature s'éveille
autrement et pour qui tend l'oreille,
les commissures des lèvres, enjouées,
redessinent le visage de la lune,
unique, à la toute fin du mois de mai.
la lune encroissantée. Deux pointes,
un sourire de guingois et c'est la nuit
qui amorce sa fête. Peu la voient, Dame
la Lune, mais les nuques qui se tordent,
en cachette, saluent l'astre du soir.
Les volets sont tirés, les habitants se
sont repliés, la nature s'éveille
autrement et pour qui tend l'oreille,
les commissures des lèvres, enjouées,
redessinent le visage de la lune,
unique, à la toute fin du mois de mai.
mardi 26 mai 2020
Un oncle et son neveu
Quand tu es né, Jérôme,
Alain allait avoir l'âge
que tu avais encore
avant-hier. Un jour vous
sépare, car les ans, à
présent, ne comptent plus.
Gémellité des signes du
ciel et unité de vos deux
caractères. Enjoués, forts,
souples, avec une immense
conscience d'appartenir à
notre monde et de devoir
y jouer votre rôle. Toujours
avec le sourire, même en ces
mois où une bande de tissu
ne parvient jamais à les
effacer. Que la vie vous soit
longue et douce, à tous deux.
Alain allait avoir l'âge
que tu avais encore
avant-hier. Un jour vous
sépare, car les ans, à
présent, ne comptent plus.
Gémellité des signes du
ciel et unité de vos deux
caractères. Enjoués, forts,
souples, avec une immense
conscience d'appartenir à
notre monde et de devoir
y jouer votre rôle. Toujours
avec le sourire, même en ces
mois où une bande de tissu
ne parvient jamais à les
effacer. Que la vie vous soit
longue et douce, à tous deux.
samedi 23 mai 2020
Inoubliable
Quelques mots griffonnés
en espagnol, au dos d'une
carte postale de Grenade.
Le correspondant, oublieux
des conventions de la langue,
se dit inoubliable à mes
grands parents. Pedro Pérez
disparaît en traçant son nom.
Cent ans plus tard, il ressort
avant de rejoindre l'obscure
tiédeur d'un tiroir odorant,
à Perpignan, l'inoubliable.
en espagnol, au dos d'une
carte postale de Grenade.
Le correspondant, oublieux
des conventions de la langue,
se dit inoubliable à mes
grands parents. Pedro Pérez
disparaît en traçant son nom.
Cent ans plus tard, il ressort
avant de rejoindre l'obscure
tiédeur d'un tiroir odorant,
à Perpignan, l'inoubliable.
On la dit
On la dit si fidèle, la plus fidèle,
ma ville, avec sa citadelle rouge
et ses promenades vertes, la chaleur
accablante de mai et la liqueur sucrée
des cerises craquantes, débordant de
la bouche au dîner. Son marbre des
Pyrénées, rose et veiné, les courbes
en bronze de Maillol et l'amour en tout,
lieu, sur deux ou trois vers de Trenet.
ma ville, avec sa citadelle rouge
et ses promenades vertes, la chaleur
accablante de mai et la liqueur sucrée
des cerises craquantes, débordant de
la bouche au dîner. Son marbre des
Pyrénées, rose et veiné, les courbes
en bronze de Maillol et l'amour en tout,
lieu, sur deux ou trois vers de Trenet.
Nostalgie de la terre
Sous le chant des oiseaux,
dans le matin frais et calme,
le béton s'abolit et le goudron
se craquelle. Je revois les vignes
de l'adolescence, à un jet de caillou.
Les courses infatigables dans la terre
meuble, entre les ceps, pour éprouver
les chevilles et les renforcer. Rugby
toujours présent, dans le cartable ou
les songes de printemps. Au retour,
dans les yeux, mon nord magnétique :
le Canigou et ses blancheurs dégradées.
dans le matin frais et calme,
le béton s'abolit et le goudron
se craquelle. Je revois les vignes
de l'adolescence, à un jet de caillou.
Les courses infatigables dans la terre
meuble, entre les ceps, pour éprouver
les chevilles et les renforcer. Rugby
toujours présent, dans le cartable ou
les songes de printemps. Au retour,
dans les yeux, mon nord magnétique :
le Canigou et ses blancheurs dégradées.
Unes velles postals / De vieilles cartes postales
M'estan esperant al bufet, quietes,
lligades amb una goma. Dos paquets
bessons. Minuciosament classificades.
Arbres, ponts de ferro. Trànsit magre,
aturat pel fotògraf. Silenci sense
cares. I al dors, l'adreça dels avis
i unes poques paraules. De calor o
agraïment. Les llengües es barregen
i s'esposen. Els meus ulls les animen.
***
Elles m'attendent sur le buffet, tranquilles,
ficelées avec un élastique. Deux paquets
jumeaux, minutieusement classées.
Arbres, ponts de fer. Maigre circulation,
arrêtée par le photographe. Silence sans
visage. Et au dos, l'adresse de mes grands-parents
et de rares mots. Chaleureux ou de
remerciement. Les langues se mêlent
et s'épousent. Mes yeux les animent.
lligades amb una goma. Dos paquets
bessons. Minuciosament classificades.
Arbres, ponts de ferro. Trànsit magre,
aturat pel fotògraf. Silenci sense
cares. I al dors, l'adreça dels avis
i unes poques paraules. De calor o
agraïment. Les llengües es barregen
i s'esposen. Els meus ulls les animen.
***
Elles m'attendent sur le buffet, tranquilles,
ficelées avec un élastique. Deux paquets
jumeaux, minutieusement classées.
Arbres, ponts de fer. Maigre circulation,
arrêtée par le photographe. Silence sans
visage. Et au dos, l'adresse de mes grands-parents
et de rares mots. Chaleureux ou de
remerciement. Les langues se mêlent
et s'épousent. Mes yeux les animent.
vendredi 22 mai 2020
Un sonnet pour Valentine
Vingt-deux printemps, ni trop ni pas assez.
Un joli chiffre rond qui tombe un vendredi
le soleil brille enfin, on est déconfiné
et je crois que demain, tu verras ta mamie.
Ta mère aime la lune et tu es son soleil,
tu aimes les enfants qui me parlent de toi.
Aux yeux de ta maman, tu es la sans-pareille
et, à côté de toi, tes petits frères rois.
Que mai est donc joli qui te sourit sans frein.
Les jours s'allongent bien, tu roules découverte,
emmenant à la plage le sourire des tiens.
Et dans la mer si bleue, tu vois les coquillages
qu'ignorent tous les autres mais que tu sais choyer.
Souffle donc tes bougies, pour célébrer ton âge.
Un joli chiffre rond qui tombe un vendredi
le soleil brille enfin, on est déconfiné
et je crois que demain, tu verras ta mamie.
Ta mère aime la lune et tu es son soleil,
tu aimes les enfants qui me parlent de toi.
Aux yeux de ta maman, tu es la sans-pareille
et, à côté de toi, tes petits frères rois.
Que mai est donc joli qui te sourit sans frein.
Les jours s'allongent bien, tu roules découverte,
emmenant à la plage le sourire des tiens.
Et dans la mer si bleue, tu vois les coquillages
qu'ignorent tous les autres mais que tu sais choyer.
Souffle donc tes bougies, pour célébrer ton âge.
mercredi 20 mai 2020
Une petite chienne
On le tient pour un morceau de bravoure,
propre à juger des artistes à talent.
«Le petit chat est mort», dans la bouche
d'Agnès, ne m'a jamais ému, pas même
dans celle, troublante et déjantée, d'Adjani.
Mais qu'une amie m'annonce la mort de
sa petite chienne, que je ne connaissais pas
davantage, me bouleverse, tant elle est porteuse
de jours et de semaines d'absence et de douleur.
D'un côté, un excursus brillant et vide, les pages
refermées ; de l'autre, un livre ouvert, béant, et
dont les pages éplorées ne cessent de tourner.
propre à juger des artistes à talent.
«Le petit chat est mort», dans la bouche
d'Agnès, ne m'a jamais ému, pas même
dans celle, troublante et déjantée, d'Adjani.
Mais qu'une amie m'annonce la mort de
sa petite chienne, que je ne connaissais pas
davantage, me bouleverse, tant elle est porteuse
de jours et de semaines d'absence et de douleur.
D'un côté, un excursus brillant et vide, les pages
refermées ; de l'autre, un livre ouvert, béant, et
dont les pages éplorées ne cessent de tourner.
Es garrover / Le caroubier
Es garrover riu i plora al sol.
Un arc de Sant Martí de verdor.
Amb ses garroves com llàgrimes
de goig. Viu. Abaix, reposada,
sa font, enamorada de s'arbre
reial, púdica, verdeja.
***
Le caroubier rit et pleure au soleil.
Un arc-en-ciel de verdeur.
Avec ses caroubes comme des larmes
de joie. Vive. En bas, tranquille,
la fontaine, énamourée de l'arbre
royal, pudique, verdoie.
By courtesy of Joan Bagur Garrido
Un arc de Sant Martí de verdor.
Amb ses garroves com llàgrimes
de goig. Viu. Abaix, reposada,
sa font, enamorada de s'arbre
reial, púdica, verdeja.
***
Le caroubier rit et pleure au soleil.
Un arc-en-ciel de verdeur.
Avec ses caroubes comme des larmes
de joie. Vive. En bas, tranquille,
la fontaine, énamourée de l'arbre
royal, pudique, verdoie.
By courtesy of Joan Bagur Garrido
La terra engrunadissa / La terre émiettée
Un dels plaers del retorn a la vida
ha sigut el retrobament de la terra
engrunadissa, aquesta, tan clara,
que se'ns esmicola entre els dits
quan l'acariciem. Terra resseca, esperant
l'aigua salvadora de la regadera de llauna.
Terra dura on caminem pausadament, sense
por ni angúnia i on descansarem un dia
***
L'un des plaisirs du retour à la vie
a été de retrouver la terre qui
s'émiette, celle, si claire,
qui se défait entre nos doigts
quand nous la caressons. Terre très sèche, attendant
l'eau salvatrice de l'arrosoir en fer blanc.
Terre dure où nous marchons posément, sans
peur ni angoisse et où nous reposerons un jour.
ha sigut el retrobament de la terra
engrunadissa, aquesta, tan clara,
que se'ns esmicola entre els dits
quan l'acariciem. Terra resseca, esperant
l'aigua salvadora de la regadera de llauna.
Terra dura on caminem pausadament, sense
por ni angúnia i on descansarem un dia
***
L'un des plaisirs du retour à la vie
a été de retrouver la terre qui
s'émiette, celle, si claire,
qui se défait entre nos doigts
quand nous la caressons. Terre très sèche, attendant
l'eau salvatrice de l'arrosoir en fer blanc.
Terre dure où nous marchons posément, sans
peur ni angoisse et où nous reposerons un jour.
Feutres
Où est-donc passé le poil de lapin,
dont on les faisait autrefois ?
Les feutres de maintenant s'effilent
en nylon et s'imbibent d'une couleur
qui part à l'eau. On m'assure que la
pointe se bloque quand les enfants
s'avisent de peser dessus. Il n'en est
rien et c'est tant mieux. Alors je les
change à l'unité, gardant sous le coude
plusieurs de ces étuis en carton.
Et de l'éventail primitif qui est un arc
en ciel, j'appauvris le spectre et il ne
reste plus que les couleurs délaissées,
dont aucun enfant n'a jamais voulu et
avec lesquelles je vous écris ces quelques
maigres mots, quotidiens et chaleureux.
dont on les faisait autrefois ?
Les feutres de maintenant s'effilent
en nylon et s'imbibent d'une couleur
qui part à l'eau. On m'assure que la
pointe se bloque quand les enfants
s'avisent de peser dessus. Il n'en est
rien et c'est tant mieux. Alors je les
change à l'unité, gardant sous le coude
plusieurs de ces étuis en carton.
Et de l'éventail primitif qui est un arc
en ciel, j'appauvris le spectre et il ne
reste plus que les couleurs délaissées,
dont aucun enfant n'a jamais voulu et
avec lesquelles je vous écris ces quelques
maigres mots, quotidiens et chaleureux.
Blanches pivoines
De blanches pivoines envasées
et l'épaisse grille s'abolit.
Tranchant sur le vert obscur
et sauvage de leurs feuilles,
elles épanouissent leur pâleur
en un camaïeu de couleurs. Qui
a dit que le blanc, du deuil,
était la non-couleur, cauchemar
des lavandières et, plus tard,
des vaporeuses blanchisseuses ?
Jouant de la lumière rare, elles
déclinent savamment la vie. Et
qu'importe qu'au soir elles soient
fanées, la minute présente les exalte.
et l'épaisse grille s'abolit.
Tranchant sur le vert obscur
et sauvage de leurs feuilles,
elles épanouissent leur pâleur
en un camaïeu de couleurs. Qui
a dit que le blanc, du deuil,
était la non-couleur, cauchemar
des lavandières et, plus tard,
des vaporeuses blanchisseuses ?
Jouant de la lumière rare, elles
déclinent savamment la vie. Et
qu'importe qu'au soir elles soient
fanées, la minute présente les exalte.
Les rêves évaporés
Que reste-t-il des moments brefs
et délicieux, à la tombée du soir,
quand l'air fraîchit sur Llívia
ou que la tiédeur berce encore
les barques du couchant à Mahon ?
De la douceur et l'alcool sucré
du Pacharán ou âpre et fleuri du
gin Xoriguer. Le bruit léger des
conversations en trois langues,
le regard qui fond dans l'obscur
et les mains qui se frôlent. Bien
sûr, les rêves se sont évaporés dans
l'Europe confinée puis, frileusement,
déconfinée. Les sourires se suspendent
derrière les petits masques en papier
mais les yeux pétillent, avides de ces
moments d'absolue innécessité qui sont
le sel de la vie et le ferment de mes vers.
mardi 19 mai 2020
Ils avaient enrubanné
Je les ai aperçus qui traversaient la rue
pour rejoindre les Allées. Ils ne m'ont pas
vu. Masqués tous deux du même tissu tendu,
épaule contre épaule, les mains se serrant
fort, leurs yeux, sombres et brillants,
mangeaient le monde avec superbe,
sans précipitation. Loin de la mascarade et
de la sociale distanciation, ils avaient
enrubanné leur amour de gaze légère et marchaient
sans voir les bancs évaporés ni les regards
fuyants. Un instant, j'ai cru reconnaître
deux amoureux enfiévrés de la finale de 72.
Laisse-moi
Laisse-moi m'enivrer,
jouer à cloche pied,
et m'inventer un monde
qui jamais ne me gronde.
Une cour idyllique
sans prince ni valets
où rien ne mord ni pique,
sans mots, tout en vallée.
un constant bal masqué
où les visages pleurent,
sans que jamais ne meure
le rire alambiqué.
Laisse-moi m'imbiber
de la sueur divine
qui jamais ne s'avine
au seuil de mes pensées.
L'eau n'a pas de langue
L'eau n'a pas de langue,
qui lèche les pieds et
mord les chevilles.
Sensation de froid subit,
qui anesthésie et replie.
Le baigneur inopiné
s'assied sur le rivage,
entre sable humide et
croûte pâle. Sans mot,
il joue aux osselets avec
les coquillages brisées
et leur promesse d'arène.
Là encore, l'eau n'a pas
de langue, elle est cette
langue qui ravit et entraîne
vers les profondeurs où le
sable est bleu et sans nulle
température, froide ou chaude.
L'eau n'a pas de langue,
mais le baigneur oui, qui se
lève pour s'en aller écrire
dimanche 17 mai 2020
Sinus
J'aime les mots qui disent l'ineffable
ou l'instant révolu. À l'heure où les
plis des masques s'effacent délibérément
pour laisser glisser le virus aventureux,
je songe au sinus des anciens. Pas à cette
cavité dont nous prenons soudain conscience
dans la maladie, mais aux plis de la voile
latine qui disparaissent en se gonflant sous
le vent. Que sont les siècles pour les airs ?
ou l'instant révolu. À l'heure où les
plis des masques s'effacent délibérément
pour laisser glisser le virus aventureux,
je songe au sinus des anciens. Pas à cette
cavité dont nous prenons soudain conscience
dans la maladie, mais aux plis de la voile
latine qui disparaissent en se gonflant sous
le vent. Que sont les siècles pour les airs ?
Discursus
On me dit spécialiste de la langue,
des langues, ou du langage qui bruisse
dans chacune. Je ne m'attache qu'au
discours, à cette parole unique et
cependant familiale et familière de
chacun, avec son gras et ses silences
brusques, sa phonétique approximative
et sa graphie hésitante. Tel "h" aspiré
qui disparaît ou telle vibrante redoublée
soudainement simplifiée et grasseyée dans
la bouche de ma mère, à qui je dois ce goût
immodéré pour le discours, par delà les langues.
des langues, ou du langage qui bruisse
dans chacune. Je ne m'attache qu'au
discours, à cette parole unique et
cependant familiale et familière de
chacun, avec son gras et ses silences
brusques, sa phonétique approximative
et sa graphie hésitante. Tel "h" aspiré
qui disparaît ou telle vibrante redoublée
soudainement simplifiée et grasseyée dans
la bouche de ma mère, à qui je dois ce goût
immodéré pour le discours, par delà les langues.
Griffer la chair tendre du matin
sur un vers de Garfias
Nos pas me manquent, sous la pluie,
quand l'averse effaçait les traces
et gonflait nos souliers.
Et cependant, dans ma mémoire, nos pas
griffent la chair tendre du matin
et l'incisent, comme la gangue amère
d'une noix, ouvrant au fruit délicieux.
Que ronde est la terre à deux et qu'il
est doux de la circonscrire légèrement,
inconscients, tout aux fleurs ou aux
gouttes froides d'un automne impétueux
qui noie pour ne pas se laisser griffer.
Nos pas me manquent, sous la pluie,
quand l'averse effaçait les traces
et gonflait nos souliers.
Et cependant, dans ma mémoire, nos pas
griffent la chair tendre du matin
et l'incisent, comme la gangue amère
d'une noix, ouvrant au fruit délicieux.
Que ronde est la terre à deux et qu'il
est doux de la circonscrire légèrement,
inconscients, tout aux fleurs ou aux
gouttes froides d'un automne impétueux
qui noie pour ne pas se laisser griffer.
samedi 16 mai 2020
Boutons d'or / Ranuncles arrossegats
Sable ou poudre précieuse ?
Le bouton d'or est gras sous
les doigts qui le pincent
et s'en enivrent. J'ai sept
ans et j'apprends le monde
dans les pages du Larousse
des Débutants et les rumeurs
des adultes. Si le beurre est
si jaune, c'est qu'au printemps,
les bêtes en transhumance se gavent
de boutons d'or des prés. Penché
sur mon bol d'Ovomaltine, lentement,
je tartine ma tranche d'une épaisse
couche de beurre bien pâle à mes yeux.
Vile poudre ou sable précieux ?
***
Sorra o polsim preciós?
El ranuncle arrossegat és gras sota
els dits que el pessiguen
i se n'emborratxen. Tinc
set anys i m'aprenc el món
a les pàgines del diccionari
Larousse infantil i els rumors
dels adults. Si la mantega de llet
és tan groga, és que a la primavera
el bestiar transhumant s'afarta
de ranuncles arrossegats. Inclinat
sobre el bol de Cola Cao, a poc a poc,
unto la meva llesca amb una espessa
capa de mantega molt pàl·lid als meus ulls.
Vil polsim o arena preciosa?
Vol sense moure's / Vol sans bouger
a E. F.
L'Enric llegeix i les paraules
s'enlairen. Ritme pur de la dicció
desconfinada, per uns pocs minuts,
al balcó. Rere la seva mirada aguda,
llegida, endevinem tot un cel clar
de mots i silencis. Un mes de març
congelat entre les pàgines d'un llibre
i que torna a viure per un minut, deu,
cent, mil. Miracle de la tecnologia.
***
Enric lit et les paroles
s'envolent. Rythme pur de la diction
déconfinée, pour quelques minutes,
sur son balcon. Derrière son regard vif,
cultivé, nous devinons tout un ciel clair
de mots et de silences. Un mois de mars
congelé entre les pages d'un livre
et qui revient à la vie pour une minute, dix,
cent, mille. Miracle de la technologie.
L'Enric llegeix i les paraules
s'enlairen. Ritme pur de la dicció
desconfinada, per uns pocs minuts,
al balcó. Rere la seva mirada aguda,
llegida, endevinem tot un cel clar
de mots i silencis. Un mes de març
congelat entre les pàgines d'un llibre
i que torna a viure per un minut, deu,
cent, mil. Miracle de la tecnologia.
***
Enric lit et les paroles
s'envolent. Rythme pur de la diction
déconfinée, pour quelques minutes,
sur son balcon. Derrière son regard vif,
cultivé, nous devinons tout un ciel clair
de mots et de silences. Un mois de mars
congelé entre les pages d'un livre
et qui revient à la vie pour une minute, dix,
cent, mille. Miracle de la technologie.
Mots fléchés
À ma mère
J'aime les mots fléchés,
humble modalité des mots
croisés de ma mère.
J'en ai plusieurs cahiers
qui comptent bien des années,
d'une difficulté fort moyenne,
transparente à ses yeux bienveillants.
Je souris quand je résous un mot et
que les autres s'ouvrent sous mes yeux
ébahis, en cascade. Mais ce que je préfère,
ce sont les cahiers déjà anciens, où je
trouve des définitions surannées d'objets
alors inouïs et tombés depuis dans le banal
quotidien d'un consumérisme forcené. Laborieux,
obstiné, je les écris en capitales, comme l'on
tire un fil précieux d'une pelote ébouriffée.
Je me laisse alors emporter par ce mot, referme
le cahier et me mets à écrire, tout renouvelé.
J'aime les mots fléchés,
humble modalité des mots
croisés de ma mère.
J'en ai plusieurs cahiers
qui comptent bien des années,
d'une difficulté fort moyenne,
transparente à ses yeux bienveillants.
Je souris quand je résous un mot et
que les autres s'ouvrent sous mes yeux
ébahis, en cascade. Mais ce que je préfère,
ce sont les cahiers déjà anciens, où je
trouve des définitions surannées d'objets
alors inouïs et tombés depuis dans le banal
quotidien d'un consumérisme forcené. Laborieux,
obstiné, je les écris en capitales, comme l'on
tire un fil précieux d'une pelote ébouriffée.
Je me laisse alors emporter par ce mot, referme
le cahier et me mets à écrire, tout renouvelé.
Détails et blessures
J'aime dans le détail
et les blessures du
quotidien. Un ongle
cassé. Des yeux lourds
au réveil, des cheveux
en bataille, une voix
qui se brise, d'avoir
trop parlé, ou pas assez,
de s'être échauffée ou,
au contraire, rouillée.
Un accent, une lenteur
constante ou un torrent
saugrenu. Des yeux qui
s'arrêtent soudain pour
se poser sur la fugace
fumée de la tasse, et s'y
assoupir en m'oubliant.
J'aime dans le détail.
et les blessures du
quotidien. Un ongle
cassé. Des yeux lourds
au réveil, des cheveux
en bataille, une voix
qui se brise, d'avoir
trop parlé, ou pas assez,
de s'être échauffée ou,
au contraire, rouillée.
Un accent, une lenteur
constante ou un torrent
saugrenu. Des yeux qui
s'arrêtent soudain pour
se poser sur la fugace
fumée de la tasse, et s'y
assoupir en m'oubliant.
J'aime dans le détail.
Verd / Vert
De petit, no m'agradava el verd,
de cap manera. Frisava pel vermell
i el groc que m'oferien el batec
de la vida. Ara, confinat als afores,
trobo a faltar el verd de les fulles
i de l'herba tendra de maig. Recer de
tota una vida en petit, sabor incansable
de saba lleugera i d'aromes indefinibles.
Verd paradís de la tardor de la vida.
***
Petit, je n'aimais pas le vert, en aucune
façon. Je ne voulais que le rouge et le
jaune qui m'offraient le battement
de la vie. À présent, confiné en banlieue,
le vert me manque, celui des feuilles
et de l'herbe tendre de mai. Abri de
toute une vie en petit, infatigable saveur
de sève légère et d'arômes indéfinissables.
Vert paradis de l'automne de ma vie.
de cap manera. Frisava pel vermell
i el groc que m'oferien el batec
de la vida. Ara, confinat als afores,
trobo a faltar el verd de les fulles
i de l'herba tendra de maig. Recer de
tota una vida en petit, sabor incansable
de saba lleugera i d'aromes indefinibles.
Verd paradís de la tardor de la vida.
***
Petit, je n'aimais pas le vert, en aucune
façon. Je ne voulais que le rouge et le
jaune qui m'offraient le battement
de la vie. À présent, confiné en banlieue,
le vert me manque, celui des feuilles
et de l'herbe tendre de mai. Abri de
toute une vie en petit, infatigable saveur
de sève légère et d'arômes indéfinissables.
Vert paradis de l'automne de ma vie.
Verd paradís / Vert paradis
Al Lluc Bonet
No para de ploure.
«Les flors han quallat»,
em diu un amic car.
Ja li veig els sols
rodons de groc tendre,
a l'hivern quan em rep
a ca seva. Cafè calent,
un bocinet de torró i
converses cultes.
Per passar els mesos que
me'n separen, m'he guardat
a la nevera dues aranges.
I quan m'abandona l'esperança,
obro el calaix glaçat i me les
miro com a símbol del món etern.
***
Il ne cesse de pleuvoir.
«Les fleurs s'annoncent bien»,
me dit un ami cher.
Je vois ses soleils
ronds au jaune tendre,
en hiver, quand il me reçoit
chez lui. Café chaud,
un petit morceau de touron et
conversations cultivées.
Pour passer les mois qui
m'en séparent, j'ai gardé
au réfrigérateur deux pamplemousses.
Et quand l'espoir m'abandonne,
j'ouvre le tiroir glacé et je les
regarde comme un symbole du monde éternel.
No para de ploure.
«Les flors han quallat»,
em diu un amic car.
Ja li veig els sols
rodons de groc tendre,
a l'hivern quan em rep
a ca seva. Cafè calent,
un bocinet de torró i
converses cultes.
Per passar els mesos que
me'n separen, m'he guardat
a la nevera dues aranges.
I quan m'abandona l'esperança,
obro el calaix glaçat i me les
miro com a símbol del món etern.
***
Il ne cesse de pleuvoir.
«Les fleurs s'annoncent bien»,
me dit un ami cher.
Je vois ses soleils
ronds au jaune tendre,
en hiver, quand il me reçoit
chez lui. Café chaud,
un petit morceau de touron et
conversations cultivées.
Pour passer les mois qui
m'en séparent, j'ai gardé
au réfrigérateur deux pamplemousses.
Et quand l'espoir m'abandonne,
j'ouvre le tiroir glacé et je les
regarde comme un symbole du monde éternel.
vendredi 15 mai 2020
Un poisson bleu
Comme de fantaisie, sorti des pages
jaunies d'une vieille anthologie,
un poisson bleu joue de ses reflets
gras, ondoyant dans la main qui s'essaie
à le retenir, loin des côtes américaines.
Exil en cascade. Du poète, de son œuvre
publiée loin, publiée tard, d'une photocopie
oubliée dans un tiroir et qui revit sous la
lumière aveuglante d'un scanner, avant de
s'émietter entre les mailles d'un logiciel
de reconnaissance de texte. Le poisson quitte
sa grotte et le voilà qui joue avec son frère
à la couleur opposite, tout amour et toute
intimité. Les miettes sous les yeux, jouant de
mon clavier c'est l'âme d'un poète que j'entends.
jaunies d'une vieille anthologie,
un poisson bleu joue de ses reflets
gras, ondoyant dans la main qui s'essaie
à le retenir, loin des côtes américaines.
Exil en cascade. Du poète, de son œuvre
publiée loin, publiée tard, d'une photocopie
oubliée dans un tiroir et qui revit sous la
lumière aveuglante d'un scanner, avant de
s'émietter entre les mailles d'un logiciel
de reconnaissance de texte. Le poisson quitte
sa grotte et le voilà qui joue avec son frère
à la couleur opposite, tout amour et toute
intimité. Les miettes sous les yeux, jouant de
mon clavier c'est l'âme d'un poète que j'entends.
Une harangue
La traduction, parfois,
a besoin de suspendre
son cours et son rythme
pour se laisser gagner par
le discours de l'autre et,
paisiblement, s'y modeler.
En octosyllabes de romance,
martialement cadencés, comme
autant de canons dont l'écho
rond rythme les jours, Garfias
loge l'humanité dans ses recoins.
Si le nous associe et dissimule,
jouant de symétrie avec les autres
personnes du verbe, la ville autrefois
franche s'incarne dans sa terre exaltée.
a besoin de suspendre
son cours et son rythme
pour se laisser gagner par
le discours de l'autre et,
paisiblement, s'y modeler.
En octosyllabes de romance,
martialement cadencés, comme
autant de canons dont l'écho
rond rythme les jours, Garfias
loge l'humanité dans ses recoins.
Si le nous associe et dissimule,
jouant de symétrie avec les autres
personnes du verbe, la ville autrefois
franche s'incarne dans sa terre exaltée.
jeudi 14 mai 2020
Florence
Elle est celle qui est
et qui ne fut presque pas,
la présence qui me tient
chaud, l'hiver,au creux de
ma poche. Petite brune, aux
yeux de jais comme deux billes.
L'éternelle confinée, sans rire
ni course folle, et qui, chaque jour,
revit un peu dans mon encre florentine.
mercredi 13 mai 2020
Cariñito
Me has robado el corazón
entre verano y otoño, y,
desde entonces, camino por
las calles vacías, desalmado,
descorazonado, con la mirada
puesta en cada esquina, como si
ésta diera a una alameda apacible
dibujada por tus palabras precisas
como cinceladas al filo de la noche.
Me has robado el corazón
entre mar y océano, y,
desde entonces, navega mi pluma.
entre verano y otoño, y,
desde entonces, camino por
las calles vacías, desalmado,
descorazonado, con la mirada
puesta en cada esquina, como si
ésta diera a una alameda apacible
dibujada por tus palabras precisas
como cinceladas al filo de la noche.
Me has robado el corazón
entre mar y océano, y,
desde entonces, navega mi pluma.
MOTIFS
[Dimanche : les cloches...]
Dimanche : les cloches
éclatent sur la place.
L'air s'emplit de rythmes candides
Et la fiancée secoue ma tristesse
sur le champ
La montagne médite
L'étoile carillonne
L'arbre sourit
Pedro Garfias, trad. Michel Bourret Guasteví
Dimanche : les cloches
éclatent sur la place.
L'air s'emplit de rythmes candides
Et la fiancée secoue ma tristesse
sur le champ
La montagne médite
L'étoile carillonne
L'arbre sourit
Pedro Garfias, trad. Michel Bourret Guasteví
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