lundi 13 octobre 2014

Doux oiseau - 1

L'après-midi s'effiloche sur la mer
et, noyée, y flotte à la dérive, pourrissant.
Les deux serveurs chargés de la terrasse
se tiennent droit,
ils attendent,
tenant leur plateau, les mains croisées,
contre leurs fesses : comme deux boucliers
sans bataille ou deux miroirs, brillants,
sur le point d'être présentés à la dame
vieille qui vient (après-midi finissante) de se lever.

Sur l'eau, l'après-midi pourrissante a formé
une tache de jours perdus. Le soleil
vient de faire son dernier effort et le 1er serveur en a profité
(en faisant tinter son plateau) pour envoyer un message en morse
à la patrouille de la côte. Le message dit :
"Ne cherchez plus, c'est moi qui l'ai tué."

Le 2e serveur présente son miroir à la vieille
dame et la dame frissonne. Le 2e serveur
affûte un coupe-papier (il dissoud le cyanure
dans un verre de Xérès) et, suivant ses instructions,
le lui sert au lit d'amours (il l'égorge), non sans lui
avoir donné le temps de se maquiller.

"Ne cherchez plus", répète
le 1er serveur ", c'est moi qui l'ai tué."

Esteve Miralles, Comme si tu avais le temps, traduit du catalan par M. Bourret Guasteví

***

La tarda cau a trossos sobre el mar
i, ofegada, hi sura a la deriva, s’hi podreix.
Els dos cambrers que atenen la terrassa
s’estan drets,
esperen,
i sostenen les plates, mans creuades,
contra el cul: com dos
escuts sense batalla o dos miralls, lluents,
a punt per ser presentats a la dama
vella que s’acaba (tarda-vespre) de llevar.

Sobre l’aigua, la tarda podrida ha format
una taca de dies perduts. El sol
ha fet l’últim esforç i el Cambrer 1 l’ha apro­fitat
(movent la seva plata) per enviar un missatge en morse
a la patrulla costanera. El missatge diu:
«No el busqueu més, el vaig matar jo.»

El Cambrer 2 li presenta el mirall a la vella
dama i la dama s’esgarrifa. El Cambrer 2
esmola un obrecar­tes (dissol el cianur
en un xerès) i, seguint instruccions d’ella,
l’hi serveix al llit d’amors (la degolla), després
d’haver-li donat temps de maquillar-se.

«No el busqueu més», repeteix
el Cambrer 1, «el vaig matar jo.»