samedi 29 novembre 2014

Entre-deux

Borges pensait au jaune et au noir
comme personne alors qu'aveugle il
ne pouvait les voir. N'y aurait-il
de vrai paradis que passé ?

La main de maman tenant la mienne
alors que nous allions au salon de 
thé prendre une part de tarte au flan. 
Tes yeux à l'angle du comptoir pendant 

qu'au dehors le déluge s'abat. J'aime 
l'entre-deux, l'entre deux êtres,
l'entre deux temps. Ce passé, lointain
ou récent, juste et délicat, le futur

incertain que le présent devine. Je tiens
devant moi les deux cartes à gratter que
tu as achetées hier, toi qui n'en achètes
jamais. Tu as ri quand tu as vu que je 

ne savais m'y prendre. Deux ASTRO dont j'ai
fait des marque-pages, l'un pour le roman de
Faïza Guène emprunté au Bar - le tien - l'autre
pour les Labyrinthes du vécu de Moles que

tu as trouvé au hasard de tes pas avant de me
le donner - le mien -. Toutes cases grattées,
avec des chiffres mirifiques - le tien - ou
dérisoires - le mien -, nous n'avons rien gagné,

nous avons tout raflé. Nos rires, le jeu des doigts
sur les cartons, la lecture appariée des qualités
censées nous définir. Tu serais intéressée et moi
endurant. Oui, mais pas dans les acceptions communes.

Dans celles que nous nous créons. Intéressée par tout 
ce qui passe alentour, endurant à l'heure de glaner
du monde les miettes signifiantes. Il n'y a pas de
hasard, dit-on - quand ça arrange -. Oui il y en a un,

deux, des milliers. Mais ce n'est que dans l'entre-
deux qu'il prend sens et saveur pour peu qu'on se laisse
guider ou qu'on le prenne à bras le corps. Alors d'objet
du désir ou de la crainte on devient sujet d'espoir et de

concorde.