« - Tu sais, j'ai trois grands-mères.»
Pour une fois je ne dis rien, je me tais,
venant de toi rien ne m'étonne.
Alors tu parles, avec amour et précision,
et je me force à oublier, un peu, ce que
tu dis pour pouvoir te le demander à
nouveau. Une ville se déploie devant mes
yeux avec ses pas de porte et ses enfants
nombreux. Des petits bonheurs qui naissent
du malheur. Les liens du sang et ceux du cœur,
ton sens de la famille que j'ai lu sur le visage
de ceux que tu aimes. Un jour, tout contre ta sœur
assise à la table qui jouxte le buffet, tu m'as dit
que toutes les femmes de ta famille étaient petites
en commençant par ta grand-mère. Laquelle ? (tu me
l'as dit plus tard mais je n'en dirai rien pour ne pas
faire de jalouses). Moment bref et que j'étire dans mon
souvenir pour retrouver un peu de ma famille sétoise où
les femmes non plus n'étaient pas grandes. Pour une fois,
les livres n'étaient pas au premier rang, ils t'entouraient,
pages béantes qui blanchissaient peu à peu. On eût dit que
les lettres les quittaient pour de tes trois grands-mères
ciseler le portrait en mots brefs et précis, comme toi seule
savais le faire. Alors si un jour je te le redemande, ne me crois
pas oublieux ou désinvolte, je voudrais tout simplement voir ton
visage s'éclairer à leur évocation et donner à ce lieu de rencontres
le sens du salon que ton frère, un midi, avec passion m'enseigna.