samedi 16 mai 2015

Correspondances enfantines

On écrivait sur des blocs de papier
épais parfumé dont j'apprendrais plus tard
l'austère classification DIN : A5. On me l'eût dit alors
que je me fusse écrié, assurément. «À cinq ? Mais à cinq,
on peut en faire des choses !» Sans nulle malice.
On écrivait à l'encre bleu des mers du Sud, avec des stylos
bon marché, invariablement jaune d'or et qui fuyaient, laissant
à l'index, parfois au pouce et au majeur, la trace âcre et pâle
du délicieux délit. L'enfance tardive ignorait les conventions
de sexe. La lettre rédigée, garçon ou fille, on la pliait en quatre, 
humectait religieusement du plat de la langue la face adhésive 
du timbre rouge - le vert était pour les avares ou les patients - 
et on  refermait le verso de formules aujourd'hui disparues : FPMB 
(«fermé par mille baisers»), PFPPCANAP («Petit facteur, presse le pas,
car l'amitié n'attend pas»). Les lettres tardaient à parvenir à leur
destinataire et à recevoir réponse. Avec ma correspondante finnoise 
cela mettait des semaines, parfois des mois. Notre anglais n'était
guère fameux - le sien assurément meilleur - mais j'arborais la missive
turquoise comme un noble étendard qui m'ouvrirait les portes de l'âge
adulte. - Dis, papa, tu t'en souviens ? - Et pourtant nous étions heureux.