La treille était encore sous le porche,
je me souvenais d'abord de quand elle fut vigne,
nom hérité par tant de jardins de nos îles
d'un temps où les ceps poussaient fièrement
avant d'être rasés par le sombre genêt
du grand phylloxera, ces vignes
qui changèrent le raisin pour d'autres arbres
fruitiers dans l'entrain de mains humbles.
Il ne venait pas de lîle, ce vin des coteaux
que nous buvions dans des virées péripatéticiennes
ou dans des silences consacrés quand nous entendions
le torrent débridé, élémentaire,
des vers de Salvat-Papasseit dits par Ovidi Montllor
ou les chansons de Mikis Theodorakis
dans la voix tremblante de Farnatouri,
la beauté et la douleur qui emplissaient des coupes
de ferments, de désirs et de moût antique.
Nous distillions des heures les mots
aimés des vers d'Ausiàs March
et nous connaissions le philtre du druide
qui nous abreuvait d'effluves de poèmes
enracinés dans la terre et dans le droit
de pouvoir être ce que nous sommes en plénitude,
sans la menace permanente d'être étouffés.
Simple et élémentaire comme de se lever
chaque matin, comme de faire l'amour ou de s'asseoir
autour d'une table, ou de contempler
le coucher du soleil sur la mer étale.
Il réchauffe encore, le vin de ces heures,
le désir dans la chair, la voix cassée
qui veut davantage et davantage de chant dans la certitude
de nous savoir bien vivants par la parole
d'entre la poussière sèche des coups de vent.
Ne crains jamais l'entaille amère qui succède
à ces vignes que nous avons perdues mais
la terre stérile et crue de l'oubli,
les restes froissés des sarments
qui n'enflammèrent pas, d'un coup, un dernier feu.
Pere Gomila, Géographies du vent, trad. du catalan par Michel Bourret Guasteví