dimanche 10 mai 2015

Le football et les dominos

Je n'aime pas le football, je fais semblant, parfois,
pour faire plaisir à mes amis. Et pourtant j'y suis,
aujourd'hui. J'ai longé la rue Camus, la plus désolée
de Mahon, large, parsemée de terrains vagues,
de gymnases. Et du terrain du Club local.
Des cris d'enfants m'ont fait lever les yeux. Des maillots
de couleur et des ballons usés ont fait le reste.
Je ne comprenais rien au curieux découpage du stabilisé
en unités aux limites imprécises. Tirs hiératiques ponctués
de vibrants "putos". J'ai traversé la terrasse de l'ample café
de derrière les buts au rythme d'une salsa. Aux tables, des mères
et des enfants. J'entendais l'espagnol des lointaines Amériques.
A l'intérieur, le sexe, l'âge et l'accent changent. A ma gauche,
de vieux Andalous s'égosillent en jouant aux dominos. Bruit incessant,
comme de galets. Mais la mer est si loin et Lorca pourrit au bord du chemin.
A un moment, lancé par une main vigoureuse, un domino manque me toucher.
Paroles échangées, regards entendus, j'ai rangé mon appareil et mon café
refroidit. J'ai soudain envie de jols frits et de toi aussi, qui te reconnaîtras.
La vie suit son cours, je ne reverrai jamais ces gens. Non point : ces personnes.
Je m'attarde. L'un d'entre eux brise cette Andalousie déterrée. Il parle mahonnais.
Voix cassée par la fumée et le Sobejano qui trône sur le comptoir. A deux-cents mètres
de là, en 1910, mon arrière-grand-père, sur la terrasse de la maison familiale, montrait
à son petit dernier la queue de la comète de Halley. Un poète naissait. Il s'appelait Gomila.
Gomila Guasteví, comme me précisait avant-hier Lali, gardienne tutélaire de la lignée.