mardi 12 mai 2015

Tante Marie

Je ne parle jamais d'elle. Sa folie supposée
me fait froid dans le dos. Et pourtant je devrais.
Elle était l'aînée de trois enfants. Ma grand-mère
Antoinette et mon grand-oncle Gumersind la traitaient
avec un infini respect. Elle fut chargée de l'éducation
de ma mère. Avec une inflexibilité de duègne que seul
mon père parvint à amadouer. On dit qu'elle aima un
commissaire de police. Mais qu'il n'en voulut pas.
Les années passèrent, elle ne sortait plus. Ses chevilles
enflaient des nuits sans sommeil à veiller les morts.
Elle nous adorait, mon frère et moi. Mais sa barbe piquait
et nous ne comprenions pas pourquoi elle se retournait
tout le temps pour marmonner des propos dans une langue
incompréhensible alors - le mahonnais - à l'intention de
présences fantomatiques dont j'apprendrais plus tard que
c'étaient ses propres parents. Elle ne survint pas longtemps
à la mort de sa sœur et de son frère cadets. Elle emporta
dans le caveau familial l'esprit du dernier recueil de l'oncle
Sindo réduit en confettis pour obéir aux morts.